« Il est urgent d’ouvrir 
une autre voie à gauche »

samedi 9 février 2013.
 

«  La tâche première des communistes 
et du Front de gauche doit être la remise 
en mouvement 
de toutes les forces qui ont souhaité le changement au printemps dernier  », déclare, à l’Humanité, le secrétaire national du PCF, candidat 
à sa réélection, 
qui indique que 
«  le congrès va lancer un appel  » en ce sens.

Les dernières semaines consacrées à la préparation 
du 36e Congrès du PCF ont-elles conforté votre ambition d’en faire un congrès historique  ?

Pierre Laurent. Toutes les conditions sont réunies pour que ce congrès marque l’accélération du renouveau et de la transformation du Parti ­communiste. Notre stratégie de ­rassemblement a créé un dynamisme fort pour le parti lui-même. L’importante arrivée de nouveaux adhérents se traduit par leur ­participation très active à la préparation de notre congrès et leur entrée significative dans les différentes instances du Parti. L’unité des communistes est maintenant très forte. Après l’adoption de notre base ­commune de discussion à près de 75 % en décembre, les débats des conférences locales et départementales de janvier ont encore enrichi cette adhésion. Le PCF peut ainsi entrer dans une phase ambitieuse de refondation et de renouvellement du projet communiste, ce que j’appelle un communisme de nouvelle génération. Je compte m’y investir personnellement avec les communistes, en favorisant le travail avec des secteurs entiers de la société intéressés à la ­relance d’un projet de transformation sociale du XXIe siècle.

Depuis les 34e et 35e Congrès,
tandis que l’ampleur de la crise 
s’est confirmée, les conditions 
de la défaite de l’ensemble 
de la droite ont été réunies 
mais pas celle d’un véritable changement. Dans ce contexte, 
quel peut être le rôle d’un Parti communiste qui ne participe pas 
au pouvoir  ?

Pierre Laurent. Notre travail a été décisif pour ancrer, au cœur de la majorité populaire qui a permis la victoire de François Hollande, une forte volonté de changement. Avec la ratification du traité budgétaire ­européen, le pacte de compétitivité et, maintenant, le soutien à l’accord sur la flexibilisation signé sous la pression du Medef, le gouvernement lui tourne le dos. C’est un cap 
que nous contestons parce qu’il ne ­permettra pas de sortir de la crise.

Dans ces conditions, je crois qu’en 2013, la tâche première du Parti communiste et du Front de gauche doit être la remise en mouvement 
de toutes les forces qui ont souhaité le changement au printemps dernier et qui peuvent aujourd’hui entrer 
à nouveau en action pour exiger 
du gouvernement sa mise en œuvre. C’est l’appel que va lancer 
notre congrès.

La contestation du cap actuel 
ne risque-t-elle pas d’ouvrir 
une brèche profitable à la droite  ?

Pierre Laurent. C’est la posture actuelle du gouvernement qui, si elle reste en l’état, nourrira la déception, la résignation et le sentiment d’impuissance, et qui ouvrira un boulevard à la droite et à l’extrême droite. Depuis leur défaite, la droite et le Medef essaient de clouer au sol toute mesure de rupture avec l’austérité et la compétitivité. Il serait suicidaire d’enfermer les forces de gauche dans cette alternative  : ou l’alignement sans broncher sur les choix actuels du gouvernement, ou le rejet dans le camp de la droite de ceux qui contestent ce cap. Il est urgent d’ouvrir une autre voie, pour d’autres solutions à gauche. C’est la vocation du Front de gauche d’animer ce combat.

Vous avez, à plusieurs reprises, appelé les citoyens à se mobiliser. Mais sur le terrain social, les luttes restent sporadiques…

Pierre Laurent. Il ne faut pas négliger les premiers signes de remobilisation. Les salariés qui ont voté dans leur immense majorité pour le changement ont voulu vérifier quelle direction prenait le gouvernement. Faute d’être écoutés, beaucoup retrouvent le chemin de l’action. La mobilisation convergente de salariés licenciés, celle des fonctionnaires, celle du monde éducatif, qui se conjuguent à celles pour le mariage pour tous ou pour le droit de vote des résidents étrangers, montrent que la pression populaire pour le changement se manifeste à nouveau. Nous voulons favoriser ce mouvement, lui ouvrir des perspectives. Nous allons redéposer à l’Assemblée nationale notre proposition de loi d’interdiction des licenciements boursiers. Nous allons mener le combat pour changer le projet de loi dit de «  sécurisation de l’emploi  » car il n’est pas question pour nous de l’adopter. La campagne du Front de gauche pour l’alternative à l’austérité tombe à pic et revêt une double ambition  : proposer et rassembler. Notre objectif n’est pas de camper dans le refus des orientations gouvernementales, nous voulons être offensifs pour rendre incontournables les exigences de changement.

Des licenciements ont été annoncés chez Goodyear, le gouvernement appelle, là encore, 
à la négociation. Est-ce, selon vous, une voie légitime et efficace  ?

Pierre Laurent. Le gouvernement ne peut pas éternellement appeler au dialogue entre partenaires sociaux quand, du côté patronal, on ne cesse de répéter qu’il n’y a rien à négocier. Des mesures très concrètes peuvent être immédiatement décidées  : ­interdire les licenciements boursiers  ; donner aux comités d’entreprise le pouvoir de déclencher un moratoire sur les plans de licenciements collectifs avec l’obligation légale d’examiner les propositions alternatives ­présentées par les salariés et les syndicats  ; permettre, comme promis, la reprise de sites industriels abandonnés  ; engager un nouveau pilotage public de la politique industrielle. La puissance publique aux côtés du monde du travail doit se mêler des choix industriels nationaux. Sinon, la France restera le jouet des stratégies financières internationales.

Ces solutions peuvent-elles être utiles immédiatement aux salariés  ?

Pierre Laurent. Oui, car elles leur donneraient des armes nouvelles, alors qu’ils sont en situation de faiblesse et que l’accord dicté par le Medef propose de les désarmer un peu plus. Celui-ci légalise les accords compétitivité-emploi inventés par Sarkozy. Ce n’est rien d’autre qu’un chantage pour revoir à la baisse salaires et conditions de travail et pour ­faciliter les procédures de licenciements ­collectifs. À l’inverse, avec les mesures que nous proposons, un signe de force serait immédiatement envoyé en direction des salariés qui, dans ces dossiers, défendent non seulement leurs emplois mais l’intérêt national. C’est la responsabilité de la gauche. Il y a urgence.

Avant même le vote de telles lois, 
le gouvernement a-t-il des moyens 
à sa disposition pour empêcher 
ces plans  ?

Pierre Laurent. Quand, après l’annonce de 7 500 suppressions d’emplois chez Renault, Arnaud Montebourg juge que «  la ligne rouge n’a pas été franchie  », le gouvernement décide lui-même d’affaiblir le camp des salariés. Il y en a assez de cette petite musique permanente du renoncement. S’il mobilisait les énergies nationales, le gouvernement aurait le pays derrière lui. Et s’il mobilisait la France, il trouverait des alliés parmi de ­nombreuses forces sociales et ­politiques européennes. Le rapport de forces n’est pas inéluctablement en faveur des actionnaires, des marchés, des grands groupes.

À PSA ou à Renault, les emplois seraient menacés du fait d’une 
filière automobile en difficulté 
sur le marché hexagonal et européen. Est-ce un discours recevable  ?

Pierre Laurent. Mais qui est responsable des stratégies industrielles mises en œuvre jusqu’ici  ? Ouvrons les comptes de ces groupes. Ils ont versé quantité de dividendes à leurs actionnaires pendant des années. ­Ouvrons le débat sur la politique industrielle nationale. Les salariés et leurs syndicats sont, comme nous, prêts à mettre des propositions sur la table pour envisager un autre avenir que la mise en concurrence des centres de production à l’échelle européenne. Il faut entrer dans une nouvelle ère de la sécurisation professionnelle pour que les salariés passent non plus systématiquement par la case chômage mais par la case formation, avec des revenus qui leur permettent de vivre. Le renouvellement du parc automobile ancien pour des voitures propres suppose aussi du pouvoir d’achat populaire. Or, pour le moment, aucun de ces chantiers-là n’est ouvert.

Deux textes ont été portés à 
la connaissance des militants du Front de gauche, l’un sur sa stratégie, l’autre sur son fonctionnement. 
Ces questions seront-elles à l’ordre du jour du congrès du PCF  ?

Pierre Laurent. Bien évidemment, le nouvel élan que nous voulons donner au Front de gauche fait partie de nos discussions. La coordination nationale qui réunit les partis du Front de gauche a adopté ces textes, qui étaient en discussion depuis la rentrée de septembre, en même temps qu’elle a décidé d’entrer dans la campagne pour l’alternative à l’austérité que nous avions proposée. C’est une bonne nouvelle qui nous fait entrer dans une nouvelle phase plus active. Ces textes livrent une analyse convergente de la politique gouvernementale. Le débat a davantage porté, et il continue, sur les conclusions à tirer de cette situation. L’important, à mes yeux, est que ces textes réaffirment notre ambition de rassemblement majoritaire pour faire avancer des solutions alternatives. C’est notre boussole, à nous les communistes, depuis le début. Ceux qui espèrent nous ramener dans le giron des politiques d’austérité se trompent. Ceux qui pensent nous entraîner dans une politique de division à gauche aussi. Lors du congrès, nous allons préciser comment nous entendons nous inscrire concrètement dans cette nouvelle phase. Les décisions du congrès seront souveraines et fixeront notre feuille de route.

Le congrès du PCF sera également l’occasion d’aborder les échéances électorales à venir. Les européennes de 2014 peuvent-elles être, comme l’affirme Jean-Luc Mélenchon, qui s’est déclaré candidat, l’occasion non seulement d’exiger une autre orientation européenne mais aussi un changement de cap politique 
en France  ?

Pierre Laurent. Un mot avant de ­répondre sur les échéances de 2014. Rien ne serait plus dangereux que d’enjamber 2013. Des millions de ­citoyens qui ont voté pour le Front de gauche et des millions d’autres dont le suffrage s’est porté sur François Hollande sont en train de se demander comment agir pour ne pas perdre le fil du changement. C’est maintenant qu’il faut leur répondre. Si nous réussissons cette année à redonner de l’espoir et de l’énergie aux forces qui n’ont pas envie de se résigner, nous aborderons les échéances électorales dans un climat très différent. Pour ce qui est des élections européennes de mai 2014, elles seront effectivement un rendez-vous très important parce que l’orientation austéritaire qui ­domine l’Europe est au cœur de la crise en France et dans toute la zone euro. Ces élections doivent permettre aux forces de gauche porteuses d’une alternative à l’austérité en Europe de converger et d’envoyer un ­message fort en vue d’une renégociation des traités et d’une refondation 
de l’Union. Nous allons nous y engager à fond.

Aux municipales, la droite espère 
tirer partie d’un vote sanction 
contre la gauche. Entre l’exigence d’alternatives aux politiques 
d’austérité et le rassemblement 
face à la droite, que choisirez-vous  ?

Pierre Laurent. Il n’y a pas à choisir. Le chemin que nous devons trouver est celui qui combinera le rassemblement face à la droite et la construction de majorités municipales de gauche porteuses de notre combat contre l’austérité. Ces premières élections seront structurantes pour la période politique suivante. Elles enregistrent le taux de participation souvent le plus important après l’élection présidentielle. La droite et l’extrême droite en ont fait leur prochain rendez-vous de combat contre le changement. Je récuse l’idée que l’une des deux échéances, européenne ou municipale, serait plus importante que l’autre. Le temps de la constitution des listes et des alliances viendra. Nous ne fermons aucune porte. Personne à gauche ne réussira le rassemblement en demandant aux autres de s’aligner sur ses seules positions. Aujourd’hui, l’urgence est d’engager un débat populaire sur le contenu des projets municipaux autour d’idées et de valeurs de combat pour le développement des services publics, de la démocratie dans les territoires, de la solidarité. Nous allons engager cette bataille avec confiance car si des idées de changement peuvent être majoritaires dans le pays, c’est encore plus vrai au plan local. Nous pouvons ancrer le centre de gravité des projets municipaux fortement à gauche. Nos exigences au plan national n’en auront que plus de force. La forte présence des élus communistes et du Front de gauche dans les territoires est un bien précieux et un atout pour mener cette bataille.

Entretien réalisé par 
Sébastien Crépel et Julia Hamlaoui


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