Jean-Luc Mélenchon (2013) « Nous sommes capables de gouverner et de mener le pays »

jeudi 16 août 2018.
 

On voit le Front de Gauche aller de l’avant avec l’émergence de femmes et d’hommes politiques nouveaux, la formation d’un troisième pôle regroupant les formations plus éparpillées. Quelles sont les prochaines étapes dans cette dynamique conquérante ? Quelle est la perspective, alors que l’on est plongé dans une crise européenne, avec cette montée de l’extrême droite, afin de retrouver l’ambiance qui serait celle du mois de juillet 1935, faire front et arriver au pouvoir ?

Jean-Luc Mélenchon : C’est un travail qui va prendre du temps. Il ne faut pas être impatients. Les outils existent et nous travaillons. Quelle était pour moi le plan de marche depuis 2008 ? Quelles sont les étapes à franchir ? La première, c’était de constituer un front politique du « non » de gauche. La deuxième, qu’il conquière une crédibilité suffisante pour être attractif. Car, entre 2005 et l‘élection présidentielle de 2007 qui a vu se fracasser l’autre gauche explosée en 5 candidatures, cette autre gauche a eu à la fois le temps de se sentir force politique et en même temps de sentir les limites que lui imposait sa balkanisation. Il fallait franchir un seuil de crédibilité et seule la candidature commune aux élections présidentielles permettait de le vérifier. Ce n’est pas l’élection idéale pour nous du fait de la personnalisation que cela implique et qui n’est pas dans notre culture. C’est aussi offrir une cible aux médias du système qui s’acharnent avec une violence incroyable sur ce point de notre dispositif. Ils savent bien qu’il est nodal. La pression n’est jamais relâchée. Ils comptent sur le fait que les plus faibles dans nos rangs finissent par craquer en s’effarouchant de l’audace de ce que nous entreprenons.

Je pense que beaucoup de nos compatriotes ont compris que nous étions capables de gouverner et de mener le pays. Ils savent qu’ils n’ont pas seulement une personne qui serait une sorte de rock-star du Front de Gauche, mais toute une équipe. Les gens perçoivent d’ailleurs les autres visages. Au Parti de Gauche un effort est fait dans ce sens avec méthode. En dépit d’un mur de silence et d’étouffement, d’autres noms percent sur des champs culturels larges. Il en va de même des dirigeants de premier plan. Martine Billard, ma co-présidente, est un personnage de la vie publique du pays dorénavant. On peut signaler le personnage de Clémentine Autain dans la FASE. On peut aussi évoquer Pierre Laurent en tant que président du Parti de la Gauche Européenne, secrétaire national du PCF, Sénateur et conseiller régional. Le niveau des dirigeants, leur qualité d’engagement, jouent un très grand rôle. Pierre Laurent est un intellectuel, c’est l’ancien directeur de l’Humanité. Mais je pourrais citer d’autres noms. Au PCF Olivier Dartigolles ou Ian Brossat ou Marie-Pierre Vieu se montrent comme des nouveaux visages : ni étroitement héritiers ni opportunistes, ils font du neuf. Je ne veux pas avoir l’air de faire la promotion de mes camarades de parti mais vous savez que plusieurs d’entre eux se sont imposés sur la scène médiatique. Donc, nombreux sont les nôtres de tous âges qui émergent en tant qu’équipe que le peuple va bientôt être capable d’identifier.

Que va-t-il se passer ? Notre mouvement est éclaireur. Il éclaire la situation, il donne à voir. Et il donne à comprendre en donnant à voir. Ensuite, il est déclencheur. C’est-à-dire qu’il met en place des initiatives qui favorisent l’émergence de processus populaires autonomes. Déclencheur, quand il présente un candidat unique à l’élection présidentielle. Déclencheur, quand il propose une manifestation contre un traité européen qui est la première manifestation de gauche, qui plus est sous un gouvernement du PS, contre un traité européen. Déclencheur, lorsqu’il convoque le 5 mai pour la 6ème République, une quatrième manifestation de masse dans notre pays pour le changement des institutions. Donc, il est en train de franchir une nouvelle étape qui est celle d’être un mouvement politico-social. Puisque vous évoquiez la figure de 1935, la convergence des gauches ne se comprend pas si on ne sent pas derrière le travail qui, en profondeur, agitait le peuple et le poussait à se rassembler pour faire face à la menace fasciste qui montait de tous côtés et pour affronter le patronat qui était extraordinairement arrogant. Nous sommes en train de devenir cette entité politico-sociale qui s’est vérifiée à la manifestation contre le traité européen, mais aussi qui s’est manifestée par des gestes de fortes sympathies des militants syndicalistes à notre égard.

Et quelle est l’étape suivante ? Elle est électorale et politique. Si nous passons devant la social-démocratie, c’est nous qui aurons la responsabilité de faire la proposition d’un nouvel axe stratégique. Nous avons commencé à le faire de deux manières. D’abord en nous constituant en tant que front du peuple à chaque fois que nous sommes le déclencheur d’un événement politique de masse. Deuxièmement, parce que nous avons fait la proposition d’une majorité alternative aux députés qui composent actuellement la chambre.

Ce serait un retournement de l’histoire, car c’est la chambre de 1939 qui ensuite a capitulé. Je dis la chambre de 1939, car il y avait des absents : les communistes qui étaient en prison. Et ceux qui étaient mobilisés. Soyons précis sur ce point si nous ne voulons pas nous-mêmes participer à certaines odieuses caricatures qui sont faites de la chambre du front populaire. Je veux dire que l’on voit bien comment, dans une assemblée élue d’une certaine façon, on peut trouver une majorité qui corresponde à une période politique. Le gouvernement actuel n’a pas de majorité réelle, ni dans les urnes ni dans les assemblées. Ce fait sera de plus en plus visible. Ou bien tout sera ruiné de la victoire contre Sarkozy, ou bien nous aurons constitué une majorité alternative avant.

Je rappelle qu’il n’y a pas un seul député socialiste ni un seul député du Front de Gauche à l’Assemblée Nationale qui n’ait pas été élu avec les voix des autres formations. Par conséquent, ces députés sont censés être la « propriété commune » de tous ceux qui les ont élus. Il n’est pas normal qu’il y en ait eu une appropriation privée, autoritaire comme celle à laquelle ont procédé François Hollande et Jean-Marc Ayrault, qui ont une conduite dure et brutale. Elle s’est concrétisée maintenant en passant à un autre stade qui est la violence et la division à l’intérieur du gouvernement, comme auparavant ils ont divisé les groupes au parlement ou les forces syndicales et les forces de gauche.

Pourquoi divisent-t-il ? Parce qu’ils portent une politique qui est contraire aux intérêts du grand nombre et sur laquelle le grand nombre ne peut pas se rassembler. Il n’y aura jamais d’unité contre les retraites, ce n’est pas la peine que les socialistes y comptent. Par contre, il peut y avoir une unité qui parte de nous et s’étende largement dans les rangs socialistes pour défendre les retraites. Voilà quelles sont les étapes programmées. L’élection européenne qui vient est le moment clef. Encore une fois, si nous passons en tête de la gauche, nous serons en responsabilité de proposer une alternative au gouvernement Ayrault avec la même assemblée nationale. Ou sinon il faudra en élire une autre. Donc, ce qui se présente devant nous, c’est la conquête d’une majorité politique à gauche.

Vous êtes à Porto à l’université d’été du Parti de la Gauche Européenne, ici aussi on fait front avec les partenaires de l’autre gauche du continent. Quelle est la perspective des liens pour les élections européennes en particulier avec ces partis de la gauche des pays de l’Europe du Sud qui apparaissent comme une alternative de plus en plus crédible ? Ces européennes vont-elles marquer une confluence de ces forces ?

Il y a ici deux questions dans une seule. La première, c’est la place singulière de l’Europe du Sud dans le processus actuel. Que se passe-t-il ? Pour caricaturer, les sociétés de culture de droit écrit romain sont des sociétés jumelles de celles de l’Amérique latine, à maints égards quand bien même les différences sont évidemment considérables. D’ailleurs, les différences sont aussi considérables entre les nations qui constituent cette Europe du Sud qu’à l’intérieur de l’Amérique latine. Mais nous avons là une zone tellurique parce que les politiques d’ajustements structurels qui sont en place y sont d’une violence particulière. Aucun autre pays n’est martyrisé comme l’est la Grèce ou Chypre ou l’Espagne et le Portugal. Le tour de l’Italie et de la France s’approche, à cette différence que le gouvernement français y consent sans que personne ne l’y oblige. Donc, cet arc des pays de l’Europe du Sud, qui se trouvent en résonance avec des processus de révolutions citoyennes qui ont commencé sur l’autre rive en Méditerranée, est la zone tellurique de ce qui va se produire inéluctablement : l’effondrement de cette chaîne qui tient dans un même enfermement les vingt-huit pays de l’Union Européenne. Par conséquent, la chaîne va craquer quelque part. Un facteur d’unification supplémentaire va intervenir pour harmoniser les processus de révolutions citoyennes : c’est justement qu’il existe une monnaie unique. C’est sans doute le plus grand service qu’elle nous aura rendu. Si le Portugal ne peut plus payer, si Chypre ne peut plus payer, l’euro et tout le système s’effondrent et non pas une partie du système.

Dans ces conditions, on voit bien que nous avons un rôle particulier. Il y a un rôle important à la construction d’un internationalisme actif qui a manqué à nos camarades de l’Amérique du Sud avant l’émergence de l’Alba. Ils l’ont constituée de fait par les réunions fréquentes des présidentes et présidents de leurs pays, dans le cadre de l‘UNASUR et du MERCOSUR, mais qui n’ont aucun pendant organisationnel. De ce point de vue, nous tirons les leçons de ce qui leur a manqué en construisant ce parti qui leur a fait défaut.

Le Parti de la Gauche Européenne ne contient pas tous les partis de la gauche européenne. Le KKE grec ou le PC portugais ne sont pas membres du Parti de la Gauche Européenne, mais Syriza et le Bloco oui. Dans l’état actuel des choses, le PGE est la seule organisation multipartidaire cohérente du vieux continent et, progressivement, ce PGE lui aussi est en train d’homogénéiser ses concepts. C’est la raison pour laquelle notre délégation, ici à Porto, a travaillé sur des notions de révolution citoyenne et d’écosocialisme, parce que ce sont des idées que nous aimerions voir mettre en commun ; non pas parce que nous les portons nous-mêmes mais parce que nous les avons déduites de l’expérience de nombreux partis.

C’est pourquoi j’observe avec tellement de satisfaction que le Bloco de Esquerda portugais est sur la ligne de l’écosocialisme et qu’Izquierda Unida est sur la ligne de la révolution citoyenne. On voit que se combinent des synthèses partielles. Izquierda Unida en Espagne n’adopte pas le mot d’écosocialisme parce qu’il est revendiqué par d’autres forces politiques qui naturellement ne mènent pas la politique commune avec nos forces. Donc on peut comprendre qu’il y a là une sorte de blocage lexicologique. Mais sur le fond l’accord existe. Sur le plan des contenus, nous avons la même manière d’aborder les choses. Peut-être qu’il faudra traduire le mot différemment selon les pays. Ce n’est pas très grave. Ce qui importe c’est le processus de convergence idéologique de cette force européenne.

Je crois que ça aussi c’est une expérience sans précédent. Plus exactement il n’y a qu’un précédent, c’est la construction de la première internationale du vivant de Karl Marx qui unissait des anarchistes, des marxistes et toutes sortes de courants, comme les possibilistes ou autres qui ont aujourd’hui disparu. Mais cela s’est fait une fois dans l’histoire de rassembler les forces progressistes et là nous sommes en train de le faire pour la deuxième fois. Pendant ce temps-là, l’internationale socialiste s’effondre, elle qui est en train de se disloquer du fait de l’antinomie entre les politiques nationales menées par ses gouvernants. Il faut bien comprendre que quand on colle au capitalisme, on colle à une politique de compétition. C’est une politique de compétition entre les nations, les classes ouvrières et les capitalismes, par la force des choses. Donc, la social-démocratie s’auto-fracasse. Cela a été spectaculaire quand on a vu le capital financier attaquer l’Union Européenne en passant par la porte de la Grèce. Normalement, cela aurait dû être la porte la mieux fermée puisque le président du gouvernement grec, Geórgios Papandréou, était le président de l’internationale socialiste. Et, en réalité, c’est là que la prétendue muraille de « l’Europe qui nous protège » s’est effondrée en premier lieu. C’est là que le capital financier a pu entrer en Europe. Il a vite compris que toutes les spéculations y seraient autorisées, sous prétexte qu’il s’agirait de la « main bienveillante du marché ». Elle devait miraculeusement produire l’allocation correcte de ressources et autres boniments métaphysiques qui aujourd’hui montrent bien qu’ils ne valent strictement rien.

Pourtant, à l’époque, il y avait aussi les gouvernements Socrates au Portugal et Zapatero en Espagne. Il y avait donc les éléments de base qui auraient permis aux partis socialistes européens, dans l’Europe du Sud, de commencer à organiser une résistance. Ils ont été absolument incapables ne serait-ce même que de l’envisager. Par conséquent dans la crise – je n’aime pas beaucoup le mot – dans le grand bouleversement qui se dessine et qui s’avance vers nous, l’Internationale Socialiste est d’entrée de jeu disqualifiée. Ils ne feront rien et ne joueront aucun rôle, sinon un rôle d’aggravateurs de la situation comme en Amérique latine, en tant qu’auxiliaires du capitalisme financier transnationalisé. Par conséquent c’est sur nous que cela repose. Et, la merveille, c’est que justement nous sommes en train de nous préparer. Je connais personnellement Alexis Tsipras et Cayo Lara. Je rencontre régulièrement les présidents de l’Amérique latine de la vague démocratique. Ce sont des choses dont on ne mesure pas l’importance. Dans le passé, les choses ne se passaient pas comme cela. Jean Jaurès n’avait pas la possibilité de rencontrer à intervalles réguliers les dirigeants du parti social-démocrate allemand. Nous, c’est quasiment tous les mois que nous nous voyons et discutons exactement comme nous le faisons entre camarades à l’intérieur de nos pays. S’accumule là une très grande expérience historique, chacun observant l’autre et ses façons de faire. Et là, l’objet du travail du PGE c’est justement la rédaction d’un programme en commun.

Et faire campagne ensemble ?

Voilà. La campagne va avoir les mêmes mots dans toute l’Europe. Je ne sais pas si nous aurons des camarades d’un pays à l’autre sur les listes. Il y aurait là un côté un peu gadget et qui peut donner des frustrations inutiles dans nos partis. Mais je pense que la campagne va être de toute façon européenne !

Seconde partie de l’entretien réalisé pour Place au Peuple ! par François Ralle Andreoli à l’Université d’été du Parti de la Gauche Européenne –


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