Phénomènes climatiques extrêmes : l’œuvre du réchauffement ?

lundi 24 février 2014.
 

Vendredi 14 février, Barack Obama s’est rendu en Californie pour constater les dégâts de la sécheresse exceptionnelle qui y sévit depuis le début de l’hiver. Pour ce faire, il a dû traverser des régions tout juste remises d’une tempête polaire très inhabituelle – la deuxième en moins de deux mois. Le même jour, le Royaume-Uni se préparait à affronter une nouvelle tempête hivernale, ainsi qu’une aggravation des inondations historiques dans lesquelles le pays se débat depuis plusieurs semaines [1]. Quant à la France, elle a été, elle aussi, frappée par ce coup de tabac, après avoir subi depuis fin décembre la submersion répétée de plusieurs villes bretonnes.

Plusieurs de ces événements s’inscrivent dans la tendance lourde du réchauffement, même si aucun ne peut isolément être attribué au changement climatique. Dans un monde plus chaud, les scientifiques prévoient une intensification de certains extrêmes météorologiques, comme l’aggravation des sécheresses dans les zones arides, l’intensification des fortes précipitations dans les régions humides ou encore la submersion plus probable des zones côtières.

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LES CERNES DES GRANDS SÉQUOIAS CALIFORNIENS

« C’est la sixième année de suite que nous connaissons une telle situation, explique Lynn Ingram, professeure de géosciences à l’université de Californie à Berkeley, à propos de la situation californienne. Il y a bien sûr des cycles, mais il y a, en plus, la tendance liée au réchauffement. » Selon elle, « la sécheresse en cours est en passe d’être la plus sévère depuis environ cinq siècles ». Les cernes des grands séquoias californiens gardent la marque d’un épisode de pénurie d’eau exceptionnel qui remonte à l’an 1580 : « Ce qui se passera au cours des deux prochains mois permettra de dire si ce record sera battu », ajoute Mme Ingram. La situation californienne, bien qu’extrême, n’est pas isolée : environ 40 % du territoire américain – surtout dans l’Ouest – étaient mi-février en état de sécheresse.

« De manière générale, on s’attend à ce que, avec le changement climatique, il pleuve de moins en moins dans les zones arides, et qu’il pleuve de plus en plus dans les zones où il pleut déjà beaucoup, explique Robert Vautard, chercheur (CNRS) au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. Nous avons, par exemple, la quasi-certitude que les précipitations augmenteront en Europe du Nord. »

Selon un rapport spécial publié, le 10 février, par le Met Office, la probabilité de précipitations extrêmes sur le Royaume-Uni a notablement augmenté ces dernières décennies. Un épisode de forte pluie qui avait une chance sur 125 de se produire entre 1960 et 1970 a désormais une chance sur 85 d’advenir. De fait, selon le Met Office, le cumul actuel des précipitations hivernales sur les îles Britanniques est « l’un des plus importants, sinon le plus important, depuis au moins 248 ans ».

PAS UN UNIQUE PHÉNOMÈNE

L’ouest de la France pâtit aussi de ces pluies interminables et d’inondations. « Ce genre d’événements extrêmes n’arrive pas par le biais d’un unique phénomène, précise le climatologue Christophe Cassou, chercheur (CNRS) au Centre européen de recherche et de formation en calcul avancé. Pour ce qui s’est produit en Bretagne, il a également fallu que ces précipitations surviennent au moment des grandes marées. »

A l’avenir, l’élévation des mers – autre conséquence du changement climatique – aggravera encore ce point. Le Met Office note que, en un siècle, le niveau de la Manche est monté de 12 cm et que « 11 cm à 16 cm de plus sont à attendre d’ici à 2030 ». Ce qui gênera l’écoulement des fleuves et augmentera la probabilité de crues.

Des travaux plus exploratoires cherchent à déterminer si la circulation atmosphérique elle-même est en cours de changement. Pour Stefan Rahmstorf, professeur à l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique, une part des étrangetés météorologiques de ces dernières années ont une cause commune : une tendance du « jet stream » à onduler plus que d’usage.

LE TRAJET TORTUEUX DU JET STREAM

Ce courant atmosphérique d’altitude tourne d’ouest en est autour de la Terre en ondulant, et « ce sont précisément ces méandres qui apportent de l’air très froid à certains endroits et de l’air chaud à d’autres, explique cet ancien conseiller du gouvernement allemand pour le climat. Il semble qu’il y ait plus fréquemment des situations dans lesquelles le jet stream décrit un trajet très tortueux. Or ce sont ces sinuosités qui conduisent à des événements météorologiques extrêmes. »

« Nous avons analysé les inondations de l’Elbe en 2002, la canicule de 2003 sur l’Europe de l’Ouest et celle de 2010 sur la Russie, les inondations au Pakistan en 2010 ainsi que les récentes canicules américaines, ou encore la dernière grande crue du Danube, de juin 2013, explique M. Rahsmtorf. Nous pensons que tous ces phénomènes sont liés aux méandres de plus en plus marqués du jet stream. » L’analyse des phénomènes qui ont marqué l’hiver en cours reste à faire, mais elle pourrait révéler, selon M. Rahmstorf, une connexion semblable.

Quant à savoir si ces sinuosités accrues du jet stream sont liées au changement climatique, certains chercheurs en doutent. Pour d’autres, à l’instar de M. Rahmstorf, le lien pourrait s’expliquer par le fort réchauffement de l’Arctique, qui favoriserait le phénomène. Dans ce cas, explique le chercheur allemand, il ne faudrait pas s’attendre systématiquement à des inondations en Grande-Bretagne ou à des sécheresses en Californie, mais à une météo de plus en plus étrange.

Stéphane Foucart Journaliste au Monde


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