POUR LE PARTI MOUVEMENT

mardi 1er avril 2014.
 

S’organiser ne va pas de soi, tout au moins dans des structures et les cadres établis telles que les associations, les syndicats et les forces politiques : après tout, pour mener des luttes et participer à des mobilisations, ce n’est pas indispensable

Et ce point de vue est renforcé par la méfiance généralisée vis-à-vis de l’ensemble des cadres établis, c’est aujourd’hui une donnée lourde, liée au processus d’individuation mais aussi à la crise du projet d’émancipation et aux pratiques de manipulation des associations et des syndicats par les forces politique de gauche, toutes tendances confondues, tous éléments constitutifs de la crise de la représentation politique.

Pourtant, et c’est une évidence pour celles et ceux qui sont présent-e-s ici, s’organiser est indispensable : le patronat et les tenants du capitalisme financier le font, – de même que la droite qui est à leur service -, et ce depuis près de deux siècles, et la construction indispensable d’un rapport de force, pour résister et passer à la contre-offensive, nous impose de nous organiser.

C’est vrai de manière générale

Et c’est vrai aussi de manière particulière, sur le plan politique.

C’est ce qui fonde l’option du « parti-mouvement ».

Pour traiter le sujet de ce débat, quelques éléments de réflexion sur le lien entre ce « parti-mouvement » et les mobilisations, ainsi que le lien avec les institutions.

Pourquoi un parti-mouvement ?

Comment s’organiser ? Répondre à cette question exige de faire le lien avec le projet d’émancipation lui-même et la référence à l’autogestion à la fois comme pratique immédiate et coeur du projet alternatif de société.

Ce qui ne va pas de soi non plus : on peut d’une part pratiquer ou préconiser l’autogestion sans intégrer une structure organisée, et bien souvent d’autre part on constate une méfiance vis-à-vis des structures organisées plus forte encore chez celles et ceux qui sont favorables à l’autogestion.

D’où le défi de s’organiser en tenant le plus grand compte de la crise de la forme-parti

>Sur la crise de la forme parti, on rappellera ici qu’elle est ancienne : le « parti » réellement existant a fait l’objet d’interrogations et de critiques dans l’histoire du mouvement ouvrier depuis bien longtemps et en particulier il y a maintenant un siècle (R. Luxemburg, le jeune Trotsky), avant même le stalinisme.

Ces interrogations, ces critiques portaient sur sa bureaucratisation et son institutionnalisation quant elles visaient le parti social-démocrate allemand, sur son autoritarisme et son substituisme quant elles visaient le parti bolchevik.

Toutes interrogations et toutes critiques largement accentuées et élargies aujourd’hui (et depuis quelques décennies), visant aussi – sans même s’attarder sur la caricature stalinienne- leur transformation en machine électorale, en réceptacle de carriérisme voire d’affairisme, et de lieu à la fois de dépolitisation et de professionnalisation de la politique.

Une professionnalisation de la politique ouvertement défendue et assumée à droite, mais sur laquelle les partis classiques de gauche sont bien discrets.

Il est donc impossible de reproduire l’existant, davantage encore pour la gauche alternative et pour des autogestionnaires, pour qui la socialisation de la politique et la reconstruction d’une citoyenneté active sont des enjeux majeurs.

Dans le mouvement social, nombre de syndicalistes ou d’associatifs, avec qui nous partageons les aspirations et les options radicales et alternatives, pensent, en s’appuyant sur la crise de la forme-parti que l’organisation politique n’est plus nécessaire, et que s’organiser sur le plan syndical ou associatif se suffit à soi-même.

C’est une erreur : l’élaboration politique nécessaire à tout projet alternatif exige la construction de synthèses auxquelles ne peuvent prétendre, seules, les structures syndicales et associatives.

Celles-ci sont constituées sur la base d’un objet circonscrit et d’une délimitation précise : leur élaboration peut contribuer à un projet, mais ne peut aller plus loin

C’est la fonction des structures politiques que de tendre vers cette synthèse, c’est cela qui justifie leur existence et leur spécificité qui sont irremplaçables

D’où choix du “parti-mouvement“, c’est-à-dire d’une force politique qui tend à assumer la triple fonction nécessaire du parti politique d’autrefois dans ce qu’il a pu apporter de meilleur dans l’histoire ouvrière : l’ancrage populaire, la fonction de synthèse et de mémoire, la socialisation

Mais cette force doit alors et immédiatement rompre dès sa constitution avec la forme, le fonctionnement et les pratiques du parti d’autrefois, pyramidal et autoritaire, bureaucratisé et institutionnalisé / intégré à l’appareil d’Etat.

Ce qui exige la pratique de l’autogestion et de la plus grande démocratie en interne, un vrai pluralisme originel, un large droit à expérimentation, le principe d’égalité dans ses relations avec les autres structures associatives, syndicales et politiques les coopérations horizontales pratiquées dans les forums sociaux et le mouvement altermondialiste.

Ainsi, mi-parti (par la reprise des fonctions évoquées précédemment) mi-mouvement (par ses pratiques et son fonctionnement), cette force politique ne serait pas pour autant un simple mouvement, cette notion renvoyant à une dimension instable, non enracinée et sans prise sur le réel.

Parti-mouvement : quel lien avec les institutions, quel rôle dans les mobilisations ?

Dans l’optique de l’autogestion, nous devons démocratiser autant que faire se peut les institutions actuelles mais sans illusion sur la possibilité de les refondre radicalement dans la cadre actuel des institutions de la V° république, ce qui est pourtant nécessaire ; aucun changement de nature n’est possible dans le cadre de l’Etat bourgeois et d’une constitution réactionnaire

C’est une nouvelle architecture institutionnelle qui est à l’ordre du jour, dans un autre cadre constitutionnel.

En ce sens, le slogan de révolution par les urnes est une impasse absurde dans le sens qu’elle peut entretenir l’illusion sur les institutions existantes.

Mais même une refonte radicale des institutions combinée à un projet constitutionnel alternatif (à double échelle : elle doit se décliner aussi pour l’UE) ne suffit pas : la démocratie active et l’autogestion (avec un réseau de forums citoyens) doivent compléter la démocratie représentative, y compris dans une articulation conflictuelle.

Ne pas ignorer la démocratie représentative telle qu’elle est, ne pas se contenter des élections actuelles et d’une présence dans les institutions réduites à une tribune ? Bien sûr : on peut et on doit tenter dès aujourd’hui d’orienter différemment les politiques publiques, mais sans illusion sur les processus électoraux et encore moins sur les institutions actuelles

La vigilance s’impose d’autant plus que les institutions ont une redoutable capacité à digérer les contestations, à domestiquer les élu-e-s indociles : les pratiques clientélistes, le carriérisme et les connivences avec la droite ne sont pas hélas, à gauche, le domaine réservé des élus socialistes.

Cette vigilance doit s’exercer à un double niveau : celui de la cité (forums et conseils) et du « parti-mouvement » lui-même (avec le travail en équipe, le strict non-cumul des mandats, pas plus de 2 mandats consécutifs : pas d’élu électron libre).

Quant aux mobilisations citoyennes et aux mouvements sociaux, les unes et les autres doivent constituer la priorité d’un « parti-mouvement », mais en rupture totale et définitive avec le comportement hégémonique des partis classiques et la conception du parti-dirigeant/parti-état ,

Les membres du « parti-mouvement » animent, mais ne dirigent ni les luttes ni les structures associatives et syndicales dans lesquelles ils et elles proposent un fonctionnement autogéré.

Pas de fraction syndicale ou associative !

Pratiques altermondialistes, auto-organisation et souci de la démarche citoyenne, comme dans les forums sociaux, les campagnes de type TCE/poste/retraites dans lesquelles les collectifs citoyens permettent l’élargissement de la participation et le dépassement des cartels d’organisations.

L’ élaboration d’un projet alternatif exige la confrontation d’expériences à toutes échelles ; un « parti-mouvement » doit se lier à ces tâches, être prêt à son propre dépassement en toutes circonstances, et ces caractéristiques doivent accompagner son pluralisme dès sa constitution, rendant possible la participation à part entière de syndicalistes et d’associatifs à un tel projet politique.

Bruno Della Sudda (Les Alternatifs 06)


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