Mouvements de la société et partis politiques (par Henri Malberg, dirigeant national du PCF)

mercredi 26 mai 2010.
 

Ce qui suit est une réflexion sur le rapport entre le mouvement social, au sens large, et les partis politiques. Cette question est importante pour l’avenir.

Elle se pose après une élection régionale marquée par une abstention de masse, surtout dans les milieux populaires, qui a été interprétée comme un signal de dépolitisation et de méfiance envers les partis politiques. Elle pose la question du rapport entre le mécontentement politique actuel et son expression électorale.

A l’évidence une réponse claire et convaincante, affirmant une politique de gauche permettant de sortir de la crise changerait beaucoup de chose. C’est la question essentielle de la période.

Mais il y a encore un autre enjeu – sous-jacent – que je souhaite soumettre à la réflexion.

On entend dire que les partis politiques sont dépassés. Il faudrait se replier sur le concret qui serait seul porteur de vérité et refuser le général, le politique. L’avenir serait à d’autres formes d’organisation et d’expression. Le vieux débat sur « la forme Parti » rebondit.

Ainsi chez les « Verts » avec le sourd face à face entre Cohn-Bendit, censé défendre le mouvement réel et multiforme de la société – ce qu’il appelle créer une coopérative – et ceux qui défendent chez les Verts, la forme d’un parti politique avec des adhérents, un programme et des dirigeants élus. Cécile Duflot déclare, elle : « les formes Partis sont usées, mais nécessaires pour faire vivre la démocratie ».

Pour sa part, le NPA transformé en une structure large, par opposition au parti politique qu’était la LCR, connaît un résultat pour le moins mitigé. Au Parti socialiste, l’idée des « primaires » flirte aussi avec la dévalorisation de ce parti. Comme s’il avait besoin de ce détour pour choisir le candidat ou la candidate qu’il soumettra au suffrage universel. Pour le Parti communiste, la question a été posée et discutée lors du dernier congrès. Elle a trouvé une réponse très majoritaire en faveur du maintien du Parti communiste, maintien couplé à une réflexion sur les transformations à opérer en rapport avec les enjeux actuels.

On se souvient évidemment de l’expérience Italienne et de l’autodestruction du Parti communiste. En cassant l’existant, on a produit une profonde désorganisation de l’ensemble de la gauche. On voit aujourd’hui l’immense effort de ceux qui veulent reconstruire en Italie un Parti communiste influent.

A noter également dans l’Humanité, le débat entre Edgar Morin et Jean Tosel, comme l’article de Pierre Zarka. Ils abordent chacun à leur façon cette problématique. (1) Quant au Monde diplomatique, il vient de titrer une enquête : « Partis politiques, espèce menacée ». (2)

Mon opinion de fond sur ces questions est la suivante :

D’abord la longue mémoire du peuple a intégré, de façon explicite ou implicite, le double échec en Europe – à l’est et à l’ouest – des tentatives de changer la société par la conquête du pouvoir considérée comme la clé de ces transformations. Or, cette conquête n’a produit nulle part les espoirs placés en elle. Pas en URSS, à partir de l’idée de dictature du prolétariat considérée pendant longtemps par les communistes comme un point de passage obligé pour changer la société.

De ceci le Parti Communiste Français a pris acte et fait enseignement depuis longtemps. D’une toute autre façon la conquête du pouvoir par les partis sociaux démocrates européens n’a pas non plus réussi à changer la société et construire une société socialiste. Ce que vient de reconnaître un texte de référence de la direction nationale du Parti socialiste en avril 2010.

Donc la conquête de l’Etat, que ce soit par la guerre civile ou par les élections, n’a pas produit les effets espérés. D’où la dévalorisation du politique chez les travailleurs et à gauche. D’où la perte de confiance dans la possibilité de changer la société. On entend dire droite gauche « tous pareils », et même « finis les lendemains qui chantent ».

Evidemment cela est sérieux, grave et a donné au capitalisme un temps de répit et la base de sa formidable offensive des trente dernières années.

A l’évidence, quoiqu’on pense du bilan historique de l’URSS, ou de celui de la sociale démocratie européenne, il faut revisiter la question du changement de société, du pouvoir, des rapports entre réforme et révolution.

Le moment est favorable pour une telle interrogation car la crise actuelle rebat toutes les cartes. Elle met en cause le système capitaliste dans ses fondements, ainsi que les valeurs idéologiques qui avaient prévalu dans la période écoulée.

Il faut réfléchir à partir de la nouvelle situation. Que faire ? Comment sortir du capitalisme ? Comment construire des changements visant à la transformation de la société ? Que devrait être un nouveau socialisme ?

Car tout bouge, tout est en mouvement. Sous l’apparente banquise la société bouillonne et cherche un nouveau chemin.

Tout a changé et change très vite.

Dans le monde, et en Europe, d’immenses développements économiques, scientifiques, techniques se sont produits. La façon de produire, les lieux où on produit, le travail, bougent tout le temps. Les moyens d’information, de communication, l’informatique et Internet, le téléphone portable – il y en a 60 millions en France – et voici maintenant que toutes les connaissances du monde sont transmissibles sur une plaquette de la dimension d’une feuille de papier. A l’horizon de cinq ans on prévoit que quatre milliards d’humains seront équipés de l’Internet portable. Tout cela change beaucoup de choses et même la donne d’une politique révolutionnaire.

Et cela de deux points de vue. D’une part, l’énorme diffusion des connaissances, le sentiment de l’universel créent une nouvelle aspiration à maîtriser sa vie, à développer tous les potentiels de chaque individu. Un irrépressible besoin de liberté, d’épanouissement personnel, de création et d’initiatives se cherche dans tous les domaines.

L’aspiration à mieux vivre, à construire du neuf, à gérer sa vie, à cogérer la société, est un facteur moteur de notre temps. Il faut en faire des leviers essentiels de la transformation révolutionnaire.

Mais d’autre part, en même temps, les moyens du pouvoir et des classes dominantes sont sans commune mesure avec le passé. La mondialisation du capital, la maîtrise des médias, la complexification des rapports de classe, la tendance universelle au pouvoir personnel, la déstabilisation du travail par la parcellisation donnent, au système capitaliste dans son ensemble, des moyens qu’il n’avait jamais eu de diviser, manipuler et garder les pouvoirs essentiels. Jusqu’à la répression quand c’est nécessaire et possible.

Du coup, le besoin de proposer une explication cohérente des divers mouvements de la société, de mutualiser les expériences, de dégager des perspectives est essentiel.

Et donc essentiel l’existence des lieux de débats et d’actions que structurent et développent par excellence les partis politiques. Oui il y a besoin de partis politiques qui expriment les intérêts de classe, les idéologies qui s’y rattachent. Des partis mobilisant les énergies militantes et porteurs de projets.

Il faut, à mon sens, considérer la « forme parti » comme un levier essentiel de la construction citoyenne, une grande invention progressiste. Il ne faut pas laisser se développer l’illusion que l’on pourrait changer la vie et la société en laissant de côté les partis, la conquête de l’Etat et des institutions. C’est une illusion de penser que le simple jeu des forces qui naissent dans l’activité sociale et dans le mouvement de la société, « morceaux par morceaux », suffit en l’occurrence.

Il me semble toujours vrai que spontanément les idées dominantes tendent à être celles de la classe dominante. Plus encore à l’époque des grands médias. Il faut donc défendre l’espace public politique, les partis politiques. Il faut montrer leur utilité démontrée par l’histoire des émancipations humaines. Il ne faut pas laisser les principales victimes du système actuel, abandonner la politique à ceux qui les exploitent et sont responsables de leur souffrance.

Il faut leur dire : attention, manipulation, dépossession. La politique est votre arme, faites en votre affaire.

Sans parti politique, pas de démocratie. C’est le règne du pouvoir personnel et des intérêts dominants.

D’ailleurs la droite n’aime pas la forme « de partis organisés et militants ». Ils se méfient même de leurs propres partis, jugés trop sensibles aux mouvements de l’opinion. Ils préfèrent les partis dits de rassemblement, vagues conglomérats sans structures, avec des chefs autoproclamés. Ils préfèrent les réseaux familiaux, sociaux et de complaisance. Ils aiment que les lieux de pouvoir réel soient opaques. En un mot, ils n’aiment pas la démocratie et cela se voit en ce moment.

C’est à gauche, dans les luttes de classe et l’histoire progressiste que la forme de partis organisés et militants a plutôt prévalu. Des Clubs de la Révolution française, au Parti socialiste de Jaurès et Guesde, du Parti communiste issu en 1920 de la majorité du Congrès de Tours au Parti socialiste issu de la minorité. Sans oublier les autres partis de gauche qui se créent à tel ou tel moment, et la tentative actuelle de structurer une grande formation verte.

La question n’est donc pas, après avoir « survalorisés » les partis politiques et la conquête de l’Etat – tout au long du XXème siècle – de considérer que ceux-ci sont devenus secondaires, et secondaire la conquête du pouvoir et des institutions.

Il ne faut pas tordre le bâton dans l’autre sens. Ce serait une formidable régression historique.

A mon sens, la transformation sociale devrait être de plus en plus conçue comme une sorte de bataille et d’offensive généralisée dans la durée « par le haut et par le bas » par un mouvement social diversifié et par l’activité de partis politiques clairement définis. Il faut que se combinent les initiatives d’un mouvement multiformes « à tendance communiste » comme on le lit chez Badiou, et l’action de tous ordres de partis politiques s’affrontant démocratiquement dans l’opinion publique et visant à la conquête de positions dans les institutions du local au national. Et pourquoi pas international ?

Il faut défendre la politique. Combattre pour des partis politiques jouant leur rôle. Ce qui est en question, c’est la dérive actuelle des partis politiques en simples machines électorales, en instruments de pouvoir, leur coupure avec le peuple, en particulier, le monde du travail et la jeunesse, la mésestimation des militants, le rôle des appareils, le choc des ambitions personnelles.

Ceci est très visible à droite comme à gauche. Mais il arrive aussi que ce soit au Parti communiste. Et ce n’est pas normal chez nous. D’où, l’importance d’un débat sur de nouveaux statuts.

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Les Communistes

Les Communistes tiennent à leur parti. Ils y tiennent pour des raisons historiques profondes et parce qu’ils pensent à l’avenir et au combat pour changer la société. Ils sont conscients que tout ne dépend pas du Parti communiste, mais ils sont convaincus que sans activité politique des communistes, sans l’existence d’un Parti communiste, il est quasiment impossible d’avancer vers une issue anticapitaliste et de progrès.

La gauche, dans sa diversité, est une réalité profonde et durable avec ses différents courants. L’unité des forces de gauche et progressiste est aux yeux des communistes capitale. Et tout aussi capitale l’existence d’un Parti communiste. Le Parti communiste se veut un parti politique ayant des références théoriques fortes, un rapport avec la pensée de Marx et tout ce qui jaillit de la pensée progressiste contemporaine, un creuset de l’action et de l’intelligence militante, un fonctionnement efficace et cohérent, une démocratie permettant de faire vivre la diversité des opinions et se traduisant en des choix clairs repérables par le monde du travail, la jeunesse, le monde intellectuel et l’opinion publique.

A condition, comme la décision en a été prise, de regarder en face tout ce qui doit être changé pour que le Parti communiste puisse tenir sa place dans la nouvelle période qui s’ouvre en ce début de siècle.

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Quelques mots d’histoire

La question du rapport entre l’initiative populaire et les partis politiques n’est pas nouvelle.

A la fin des fins ce sont les peuples qui font l’histoire, avec ses flux et ses reflux, ses victoires et ses défaites.

Pour le meilleur, ce fut vrai en 1934 avec l’irrésistible aspiration à l’unité contre le fascisme qui emporta toutes les réserves. Vrai en 1936 avec la grève historique quasiment spontanée au lendemain de la victoire électorale du Front Populaire. Vrai en 1944 avec l’irrésistible insurrection nationale qui parcourut la France jusqu’au moindre village et qui constitua la base de l’application du programme du Conseil national de la Résistance. Vrai quand en 1962 le peuple signifia au général de Gaulle par une grève nationale et l’immense cortège aux obsèques des martyrs de Charonne que le moment était venu d’accepter l’indépendance du peuple Algérien. Vrai en mai juin 1968 avec la grève générale surgie en quelques jours de la volonté d’en finir avec le pouvoir gaulliste et en solidarité avec les étudiants. On peut parler aussi de la levée en masse des lycéens contre le CPE, des millions de manifestants du 1er Mai 1995 quand la menace de Le Pen se précisa. Mais aussi le Non au référendum constitutionnel européen de 2005 qui prit à contre-pied tous les médias, les formations politiques et les élites préconisant le Oui. Un raz de marée venu des profondeurs contre l’Europe du capital et « la concurrence libre et non faussée ». C’est à ce moment que le courant anticapitaliste actuel a commencé à grandir. C’était hier, il y a cinq ans.

Dans chacun de ces cas, souvent à l’initiative du Parti communiste, parfois de façon unitaire, et souvent de façon imprévue, quasiment spontanée, une fusion s’est faite entre le mouvement de la politique et le mouvement populaire. Mais qui peut dire que, hors des initiatives politiques, tous ces événements se seraient produits. A cet égard l’affaiblissement du Parti communiste dans la dernière période a été catastrophique pour toute la gauche en laissant libre cours à la pression du libéralisme.

Dès lors, y aurait-il pour les communistes rien de nouveau sous le soleil. Pas du tout.

Il y eut un temps où le Parti communiste, tout en valorisant les luttes et les mouvements populaires, a surévalué son rôle et s’est auto présenté comme la source de toute sagesse. Il s’attribuait un rôle d’avant-garde pour interpréter le mouvement, lui donner un débouché et mésestimé le caractère central du mouvement populaire. Cela a été vrai quand des difficultés se sont produites notamment dans les rapports unitaires et au gouvernement après 1997.

Il faut repenser tout cela aujourd’hui, dans la crise, alors que le mouvement général pour en finir avec le système, traverse, de fait, tout le corps de la société.

Comprendre ce nouveau, le marier avec le travail politique, être à l’écoute, chercher à travailler à un mouvement diversifié et d’ensemble doit être de plus en plus le rôle des partis politiques de gauche. Et pour ce qui le concerne du Parti communiste.

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L’initiative populaire

Une nouvelle figure du collectif

Beaucoup font remarquer la montée dans la société d’un fort individualisme porté vers le repli et les satisfactions personnelles. On fait remarquer aussi le recul du collectif et des consciences de classe. Il y a du vrai en rapport avec l’échec des transformations sociales et la montée de l’idéologie d’un capitalisme triomphant qui a fait de l’individu et de sa réussite, fusse sur le corps de son prochain, le cœur de son idéologie.

Pourtant, dans les profondeurs de la société monte une nouvelle figure du collectif en rapport avec l’intérêt général.

C’est un mouvement multiforme et complexe. Il faut en prendre la mesure.

Il faut noter en premier lieu le regain d’activités syndicales et d’autorité du syndicalisme, malheureusement pas encore accompagné d’une grande syndicalisation. Les phénomènes de solidarité – Restos du cœur, Secours populaire, Secours catholique – sont visibles. Solidarité aussi avec la grève des travailleurs immigrés sans papiers et la lutte des enseignants et parents d’élèves dans le Réseau Ecoles Sans Frontières. Il y a tout ce qui bouge avec Droit au Logement, Droit Devant, Attac, Act Up, le domaine des coopérations avec l’AMAP, association de consommateurs en rapport avec les agriculteurs… Il y a des recherches d’autogestion dans des entreprises menacées, un nouveau féminisme, des universités populaires un peu partout, des cafés politiques, philosophiques.

Le succès des auto entrepreneurs – ils sont de centaines de milliers – expriment un besoin de relance d’activités diverses artisanales. Le pouvoir tente de les récupérer pour masquer le chômage. Mais à y réfléchir, c’est une forme d’initiative du rapport au travail. La coopération en place des rapports d’exploitation a un grand avenir. Ceci en rapport avec l’idée de nationalisation qui a repris tout son sens. Il y a des formes de convivialité qui se cherchent, et tout un tissu vivant qui cherche à dépasser le chacun pour soi contre tous, et cela concerne dans le pays des millions de personnes.

Ceci va de pair avec un puissant retour de la pensée critique dans le monde intellectuel. Un livre d’histoire, de philosophie, de sociologie paraît quasiment chaque semaine en mettant en cause le système capitaliste et explorant de nouvelles réponses. La pensée de Marx est de retour lit-on dans de nombreux articles. De retour et continuée.

Très important est l’immense bouleversement notamment dans la jeunesse, que représente la magie de l’Internet. Des millions de personnes s’informent, discutent, échangent comme si le monde était à portée de la main. Elles sont en rapport avec des cercles de relations et des blogs. De façon contradictoire Facebook, Twitter rapprochent les gens. Cela peut être pour le meilleur ou pour le pire. Comme des bouteilles informatiques à la mer. Sans cesse apparaissent de nouvelles inventions, d’ouvertures avec des personnes connues ou des inconnues, des dialogues parcourent le monde.

Il y a en tout cela beaucoup de politique implicite qui a besoin de devenir explicite. Le passage du non dit aux mots est toujours capital dans les luttes de classes. Une autre façon de vivre, de communiquer change les mentalités et peut finir par déboucher sur un mouvement irrésistible de changement.

Je viens sur le même sujet, après la manifestation du 1er mai, de discuter longuement avec un jeune militant d’Act Up. Electeur communiste il m’a expliqué que son activité à Act Up était sa façon de faire de la politique et son hésitation à s’organiser en politique, en l’occurrence à venir au Parti communiste. Toute la conversation a porté sur le besoin de participer en même temps à une organisation dont on se sent proche et à l’activité d’un parti politique si on veut peser d’une façon et de l’autre pour changer la société. Cette discussion imprévue venait ainsi au moment même où j’écrivais cet article. Ils sont comme ce jeune homme des dizaines de milliers et leur arrivée dans le Parti communiste peut changer beaucoup de choses.

La question de l’utilité des partis politiques, et pour nous du Parti communiste est dans l’air du temps. Il est capital qu’elle débouche de façon positive. Et c’est possible.

Ceci est ma vision optimiste des choses. Pourquoi pas ?

(1) Humanité des 17 et 20 avril 2010. (2) Le Monde diplomatique 1er mai 2010.

Henri MALBERG


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