La Russie tsariste de Nicolas 2 : un Etat autocratique capitaliste à caractéristiques pré-fascistes

jeudi 21 mars 2024.
 

Analyser les caractéristiques de la Russie tsariste (avant la Révolution de 1917) présente une grande importance pour au moins trois raisons :

- comprendre le contexte dans lequel le parti bolchevik s’est construit et a développé sa propre théorie concernant les structures et le rôle du parti

- comprendre les germes du fascisme déjà présents dans l’autocratie russe comme dans d’autres pays (Autriche, Allemagne, France...)

- La guerre menée pendant cinq ans contre la Révolution russe par les armées blanches et étrangères (allemandes, françaises, britanniques, américaines, polonaises, canadiennes, italiennes...) en soutien du tsarisme donne un élément de compréhension du prétendu libéralisme (une simple couverture idéologique) dont la raison d’être n’est autre que le profit maximum et représente un moment décisif dans la naissance du fascisme (par exemple en ce qui concerne l’antisémitisme).

1) Les tsars, une autocratie qui paraît sortie du Moyen Age

1a) Rappels sur les tsars

Le mot tsar est un dérivé du mot césar, titre qui était traditionnellement réservé à l’empereur de Byzance. Le titre de tsar confère au dirigeant un statut politique, religieux et militaire similaire à celui d’empereur.

Le premier tsar a reçu le surnom parfaitement adapté d’Ivan le Terrible. Il instaure le régime du servage pour les paysans et dirige de façon absolument despotique.

Alexis 1er publie en1648 un code règlementant le rapport de supériorité de la noblesse sur les serfs et paysans.

Avec Pierre le Grand, cette noblesse acquiert un rôle central dans la pyramide administrative du pays.

Au 18ème siècle, le régime de terreur se précise. Catherine II, tsarine de 1762 à 1796, se présente comme l’amie des philosophes mas la vie du peuple russe reste toujours aussi dure.

1b Les deux derniers tsars

« Alexandre 3 (1881 1894), colosse quasi-inculte, jusqu’à la fin de sa vie incapable d’écrire correctement en russe, voit dans la Trinité de l’autocratie, du nationalisme russe et de l’orthodoxie les trois piliers de son trône. Il se considère comme un monarque de droit divin, père omnipotent d’un troupeau de sujets qui lui doivent respect et obéissance » (Jean-Jacques Marie). Sa pratique du pouvoir illustre parfaitement ce qu’est un régime autocratique et applique de nombreuses mesures répressives : souhait de rétablir le servage, limitation des pouvoirs des institutions créées par son père, orthodoxie forcée des territoires conquis, surveillance accrue des intellectuels, etc.

Son fils Nicolas 2 (1894 1918) se vit également en empereur de source divine ; il le dit très bien lors de son accession au trône devant plusieurs centaines d’envoyés des zemstvos (assemblées provinciales) " Il m’est parvenu que, ces derniers temps, dans quelques zemstvos ont été formulés des rêves insensés sur la participation des représentants des zemstvos au gouvernement du pays. Qu’on sache bien que, consacrant toutes mes forces au bien du pays, je maintiendrai le principe de l’autocratie sans l’infléchir et aussi fermement que l’avait maintenu mon inoubliable père." Ce dernier tsar « très ordinaire, superstitieux, peu cultivé » (d’après Tolstoï) prend par exemple pour parole de Dieu dont il est responsable, la haine de la démocratie et l’antisémitisme.

La boisson, la chasse et les fêtes fastueuses apparaissent comme centrales dans le mode de vie des tsars. Entre 1884 et 1909, Nicolas et ses frères ont tué plus de 680 000 animaux durant leurs séances de chasse. Nicolas a personnellement tué 1 400 faisans. De telles chasses duraient des semaines et étaient très coûteuses, représentant une dépense annuelle de 30 000 roubles, soit le salaire annuel de 100 instituteurs réunis. Parmi les fêtes, signalons celle du couronnement de Nicolas 2 qui mobilise 85000 soldats et 24 tonnes de couverts en argent et en or.

1c) Eléments sur la vie du dernier tsar

L’épouse de Nicolas 2, Alexandra Feodorovna, est réputée encore plus bornée que lui dans la défense de l’absolutisme divin. Sur toutes les photos d’elle, elle apparaît particulièrement hautaine et revêche. Elle est aussi dépensière que la célèbre Marie-Antoinette d’Autriche, épouse de Louis XVI. Elle dépensait 40 000 roubles chaque année pour des vêtements et des bijoux (alors qu’un ouvrier d’usine gagnait dans le même temps environ 500 roubles. En 1914, elle a fait l’acquisition de joyaux pour un montant de 25 000 roubles.

Elle introduit dans le premier cercle du tsar le célèbre Raspoutine, mystique sibérien et doctrinaire imprévisible. Son plus célèbre précepte est « Pour se rapprocher de Dieu, il faut beaucoup pécher » ; voilà une obscure théorie justifiant son mode de vie mais particulièrement contradictoire avec la tradition chrétienne, même orthodoxe.

Les tsars, leur famille et leurs proches vivent dans une débauche de luxe.

Chaque jour, le souverain avait trois types de menus, entre lesquels il devait choisir : « simple », « fête », « parade ». Le menu « simple » comprenait tout de même « un petit déjeuner de 4 plats, un déjeuner de 5 plats et un diner de 4 plats ». Rien d’étonnant à ce que la table impériale ait coûté en 1901, 71 631 roubles, alors que le prix d’un cheval est alors de 100 roubles et celui d’un bon piano de 200.

Plus surprenant, la famille impériale est accro aux boisons alcoolisées. L’historien Igor Imine a calculé, qu’en mai et juin 2016, donc à un moment crucial de la guerre, le tsar et sa famille ont vidé quelque 1 107 bouteilles de différents vins, ainsi que 391 bouteilles de madère, 174 bouteilles de cherry, 19 de porto (presque exclusivement pour l’empereur), 14 de champagne (qu’ils ne consommaient que les jours de fête), 3 de cognac et 158 de diverses vodka.

2) La Russie tsariste, puissance et contradictions

La Russie tsariste présente une contradiction évidente du 17ème au début du 20ème siècle.

- Aux plans démographique (plus de 160 millions d’habitants en 1914), politique et militaire, c’est un Etat parmi les plus puissants d’Europe et du monde.

- Mais "force est de constater que la puissance allait de pair avec le retard de la société, de son économie, de ses structures, et que ce décalage faisait de cet énorme pays un colosse au pied d’argile" (Hélène Carrère D’Encausse).

Plusieurs auteurs d’orientation politique diverse ont bien analysé cette situation. La Russie "n’a pas partagé le legs de l’empire romain ; elle a ignoré le droit, la propriété, le contrat, tout ce sur quoi ce sera construite l’Europe civilisée au fil des siècles "

Le texte ci-dessous en italique est extrait de l’excellent livre de Pierre Broué intitulé "Le parti bolchevique".

2a) Un pays mi-européen mi-asiatique

Ce double caractère, européen et asiatique, se retrouve non seulement dans l’histoire, mais dans la vie sociale de la Russie. Née dans les clairières de la forêt tempérée, la civilisation russe a eu devant elle temps et espaces presque infinis. Jusqu’au XX° siècle, c’est la lenteur de son évolution qui paraît être la clef de son histoire - ainsi s’explique le caractère arriéré de son économie, celui, primitif, de sa structure sociale, la médiocrité de son niveau culturel. C’est un monde vaste, aux ressources abondantes, mais immobile et figé, qui prend au XIX° siècle, pendant la guerre de Crimée, la mesure de la civilisation occidentale : le tsar Alexandre Il peut éprouver alors les faiblesses de son empire et comprendre que la force d’inertie n’est plus capable de le mener aux victoires dont il rêve. En ce sens, l’évolution de la Russie au siècle dernier ne diffère que peu de celle des pays arriérés, coloniaux et semi-coloniaux, « sous-développés », comme on dit aujourd’hui. Le problème, pour elle, au début du siècle, est le même que celui qui se pose aujourd’hui à tant d’états africains, asiatiques ou sud-américains : l’assimilation par le pays arriéré des techniques et des structures des pays et des sociétés les plus avancées entraîne le développement simultané de phénomènes dont l’histoire avait enregistré auparavant ailleurs la succession, ce qui, par des combinaisons multiples, provoque un rythme de développement et des conjonctions originales. C’est là ce que les marxistes - les seuls à avoir donné une explication scientifique de ce processus - ont appelé la « loi du développement combiné ». que Trotsky a définie comme « le rapprochement des diverses étapes, la combinaison de formes distinctes, l’amalgame de formes archaïques avec les plus modernes », et qui constitue finalement la seule explication sérieuse de la révolution russe.

2b) Une agriculture arriérée

87 % des Russes vivent à la campagne, 81,5 % sont des paysans. Agriculteur aux techniques primitives, le paysan russe n’a nulle part dépassé la pratique de l’assolement triennal, amputant ainsi l’espace dont il pourrait disposer, et la pression démographique le contraint de plus en plus fréquemment à une culture continue, dévastatrice à brève échéance. Sa pauvreté, l’urgence des besoins qui l’ont contraint à renoncer en règle générale à l’élevage, le privent, en même temps, du fumier et de la force de travail du bétail. Ses outils, charrues notamment, sont le plus souvent en bois. Les rendements sont très faibles, le quart des rendements anglais, la moitié des rendements français ; ils sont sensiblement égaux à ceux de l’agriculture indienne. Entre 1861 et 1900, ils diminuent encore de 60 à 80%, le nombre de paysans sans chevaux ne cessant d’augmenter. Pendant l’hiver 1891-92, la famine touchera trente millions d’individus, faisant 100 000 victimes sur un espace de 500 000 kilomètres carrés. La Russie devrait importer du blé pour nourrir une population croissante. Or, par la volonté de ses gouvernants, elle est un pays exportateur. Les céréales, dont la moitié de sa production de blé, et les produits alimentaires représentent 50 % de ses exportations, et l’essentiel du solde, 36 %, est constitué par des matières premières. Parce qu’elle est un pays d’économie agricole arriérée, la Russie est ainsi dans une étroite dépendance à l’égard du marché mondial.

2c) Un milieu paysan primitif

Dans l’état de la technique, il faut de six à douze hectares pour le strict entretien d’une famille paysanne. Or, 15 % des paysans n’ont pas de terre du tout, 20 % ont moins de douze hectares, 35 % seulement ont une terre qui assure leur subsistance. Compte tenu des usuriers et des mauvaises récoltes, 40 à 50 % des familles paysannes ont un revenu inférieur à ce qu’on peut appeler le « minimum vital ». Elles sont, de plus, endettées pour des années, toujours obligées qu’elles sont de vendre au plus bas prix, dès la récolte, faute de réserves, toujours à la merci d’une mauvaise année ou d’un créancier exigeant. La minorité de paysans cossus, les koulaks, ne représente pas plus de 12 % du total. Enfin, 140 000 familles nobles possèdent le quart des terres. Au début du XX° siècle, on note une tendance nette à la diminution de la propriété des nobles, le plus souvent au bénéfice du koulak, intermédiaire entre le propriétaire noble et les métayers ou salariés qu’il emploie.

L’énorme majorité, 80 % au moins, des paysans, sont illettrés, et l’influence des prêtres de campagne, les popes, médiocres, ignorants et souvent malhonnêtes, s’exerce dans le sens de l’obscurantisme. Le moujik vit depuis des siècles à la limite de la famine, dans une superstitieuse résignation . il courbe humblement l’échine et se sent infiniment petit devant la toute-puissance de Dieu et du Tsar. Parfois, pourtant, peur et humiliation se changent en rage, et l’histoire agraire russe est une succession de brèves mais sauvages jacqueries férocement réprimées. En ce tournant du siècle, la faim de terre grandit au même rythme que le nombre de bouches à nourrir. Le moujik peut d’autant moins ignorer les terres des nobles qu’il y travaille souvent . sa lutte pour la terre sera l’un des moteurs les plus puissants de la révolution de 1917.

2d) Une industrie arriérée et dominée par les capitaux étrangers

Le tiers des importations russes consiste en produits manufacturés de l’industrie occidentale. L’industrie russe, née au XVIII° siècle de la volonté d’« occidentalisation » des tsars, a très tôt végété, sur la base du travail servile. La « raison d’Etat », au XIX°, lui a donné une impulsion nouvelle. Les réformes sociales d’Alexandre II lui ont frayé la route : libérée du carcan du servage, la main-d’œuvre paysanne peut désormais affluer vers les entreprises industrielles où le rendement du travail « libre » est infiniment supérieur à celui du travail « servile ». Malgré la faiblesse du marché intérieur que ne parvient pas à compenser un étroit protectionnisme, elle bénéficie de l’apport des techniciens et des capitaux étrangers qui permettent un début d’équipement en moyens de communication dans la dernière moitié du siècle. Après 1910, elle bénéficie des commandes massives d’armement et, dans une certaine mesure, de l’extension du marché intérieur avec le développement des villes et de la vie urbaine. En 1912, elle produit quatre millions de tonnes de fonte, neuf millions de tonnes de pétrole, vingt mille tonnes de cuivre, les neuf dixièmes du platine produit dans le monde. En fait, cette industrie, voulue, encouragée et même, à certains égards, créée par l’Etat tsariste, lui échappe largement : ce sont des sociétés anglaises qui contrôlent l’extraction du platine, des capitaux français et belges qui dominent - plus de 50% - dans l’ensemble des investissements de l’industrie du Donetz, des capitaux allemands qui contrôlent l’électrotechnique. Dans ces conditions, le commerce extérieur est étroitement subordonné au marché mondial et dépend même, dans une large mesure, directement de capitalistes et intermédiaires étrangers. Ainsi que l’écrit le professeur Portal, « c’était le capitalisme international dans son ensemble qui faisait de la Russie, à forcer un peu les termes, une sorte de colonie économique »

2e) La classe ouvrière

Les ouvriers proprement dits sont environ un million et demi en 1900, trois millions en 1912. Rares, sauf peut- être à Saint-Pétersbourg, sont ceux qui ne sont pas fils de paysans, n’ont pas encore, à la campagne, de proches parents paysans qu’ils aident ou qui leur fournissent quelque secours quand ils chôment. Ils sont souvent proches d’eux, par leur niveau culturel et leur mentalité . illettrés et superstitieux, soumis d’ailleurs à des conditions de travail extrêmement dures. Les lois qui limitent la durée de la journée de travail à onze heures et demie en 1897, à dix heures en 1906 ne sont, en fait, pas appliquées. Les salaires sont très bas, bien inférieurs à ceux de l’Europe ou de l’Amérique. Ils sont fréquemment payés en nature, au moins partiellement, système qui permet au patron de substantiels bénéfices, de même que la généralisation et la lourdeur des amendes infligées pour des manquements à la discipline du travail, et qui abaissent, en moyenne, les salaires de 30 à 40 %. Les taux varient énormément d’ailleurs d’une région et même d’une ville à l’autre.

Les ouvriers constituent pourtant une force autrement redoutable que la masse paysanne qui les écrase de son nombre. Très unis, car les salaires sont uniformément bas et les privilégiés rares, ils sont groupés dans de grosses entreprise. En 1911, 54% des ouvriers russes travaillent dans des usines employant plus de 500 ouvriers, alors que le chiffre pour les Etats-Unis est de 31% ; 40 % dans des entreprises employant de 50 à 500 ouvriers ; moins de 12 % seulement dans des entreprises de moins de 50 ouvriers. A la différence du paysan, enfermé dans un cadre borné, les ouvriers circulent, passent d’une usine, d’une ville, d’un métier à un autre, bénéficient d’un horizon plus large. Par sa concentration, ses conditions de travail, de vie, le caractère moderne des machines qu’elle utilise et de son activité sociale, la classe ouvrière russe constitue un prolétariat moderne, plus spontanément porté à la révolte et à la lutte violente qu’à la négociation et au marchandage, plus fruste, mais plus combatif que celui d’Europe occidentale, lié au monde rural et encore uni, sans véritable « aristocratie ouvrière » de spécialistes.

2f) Une bourgeoisie russe ?

C’est une poignée de familles qui constitue l’oligarchie financière et contrôle l’activité industrielle. La crise de 1901-1903 a accéléré le phénomène de concentration et a mis l’industrie aux mains des monopoles. Ainsi, dans la métallurgie, la société de vente Prodamet, fondée en 1903, devenue un véritable trust de l’acier, contrôle-t-elle 17 % des entreprises, soit les trente plus importantes, 70 % du capital, plus de 80 % de la production, occupant 33 % de la main-d’œuvre. A la veille de la guerre, elle est présidée par Poutilov, par ailleurs président du conseil d’administration de la Banque Russo-Asiatique, dominée par des capitaux français (60 %), étroitement lié au groupe Schneider et en rapports suivis d’affaires avec Krupp. Dans les entreprises de l’industrie textile, les capitalistes russes ont le plus souvent la majorité, mais en règle générale les entreprises industrielles sont dominées par les banques, et les banques elles-mêmes par des capitaux étrangers. Ces derniers constituent 42,6 % de ceux des dix-huit plus grandes banques : le Crédit lyonnais, la Banque allemande pour le commerce et l’industrie, la Société générale belge sont les véritables maîtresses du crédit, et, par lui, de l’industrie russe.

Il n’y a donc pas. de véritable bourgeoisie russe, mais - et c’est encore un trait commun à tous les pays arriérés - une oligarchie qui mêle étroitement, dans une même dépendance à l’égard de l’impérialisme étranger, capitalistes et propriétaires ; ceux-ci se retrouvent également au sommet de l’appareil d’Etat. En 1906, vingt dignitaires du Conseil d’Empire possèdent 176 000 hectares de terres arables, soit une moyenne de 8 000 par famille. Ainsi que l’écrit le professeur Portal, « l’administration supérieure, dans son ensemble, se recrutait parmi la noblesse foncière », et les travaux de Liachtchenko ont montré la compénétration entre les sommets de la bureaucratie et de la noblesse d’une part, et ceux des sociétés industrielles et bancaires, d’autre part : des grands-ducs sont actionnaires des chemins de fer et les ministres et hauts fonctionnaires quittent le service de l’Etat pour celui des banques quand lis ne se contentent pas simplement de les servir dans leurs fonctions officielles. C’est le caractère étroit de la bourgeoisie russe, sa connexion avec l’aristocratie terrienne, sa faiblesse économique par rapport à la bourgeoisie mondiale dont elle dépend, qui sont l’un des traits les plus caractéristiques de la société russe. Entre l’oligarchie et la masse des ouvriers et des paysans ne s’intercale qu’une poussière de classes moyennes, petits bourgeois des villes, koulaks des campagnes, intelligentsia des professions libérales, de l’enseignement, et, dans une certaine mesure, des couches inférieures de la bureaucratie. Privilégiées par rapport aux masses du fait de leurs possibilités d’accès à la culture, tenues à l’écart de toute décision politique par l’autocratie, ces couches sont traversées de courants divers et subissent des influences contradictoires sans pouvoir aspirer, faute d’assises, à un rôle indépendant devant lequel, d’ailleurs, elles reculent le plus souvent, à cause de leurs contradictions.

3) Le tsarisme était une véritable dictature

- "Le tsarisme est cent fois pire que le kaisérisme" (empire allemand du kaiser) affirmait Lénine.

La Russie du tsar représente en effet un système d’oppression totalitaire sur la fin du 19ème siècle et le début du 20ème, "une autocratie gendarmeresque" selon l’excellente définition de Kropotkine :

* un exemple type d’autocratie, de dictature politique interdisant toute velléité de démocratie représentative avec des empereurs aussi réactionnaires qu’intellectuellement obtus

3a) un exemple type de dictature policière

La police politique secrète nommée Okhrana constitue la colonne vertébrale de ce régime. Sa fonction consiste à éradiquer par tous les moyens tout foyer de propagande de type socialiste. Elle étend ses ramifications dans toutes les organisations et mouvements suspects d’opposition. Après la révolution russe Victor Serge travailla sur 35000 fiches d’agents doubles touchant régulièrement de l’argent de la part du régime. Ainsi, Evno Azev, chef de l’organisation de combat du Parti Socialiste Révolutionnaire et exécuteur de plusieurs assassinats (dont le ministre de l’intérieur), travaillait pour cette police.

* un exemple type de subordination de la justice à la police, les oppositionnels étant systématiquement emprisonnés ou déportés en Sibérie.

Cette déportation en Sibérie représente une sanction judiciaire fréquente pour tout suspect de sympathie social-démocrate. Imaginons un lycéen qui se retrouve ainsi à Tchita surnommée la "ville des exilés" où la température oscille entre –49,6 °C et + 43,2 °C, astreint au travail forcé 14 à 16 heures par jour, avec des conditions de vie (nourriture, logement...) terribles.

3b) un exemple type de régime raciste utilisant l’oppression de groupes minoritaires pour essayer de souder le reste de la population contre eux et non contre le pouvoir. Ainsi, les Juifs se voient assignés à résidence, privés de droits civiques, interdits d’accès à plusieurs métiers.

* un exemple type de dictature colonialiste imposant la russification des territoires, de la Pologne à l’Océan pacifique, du Caucase à la Finlande.

3c) un exemple type d’organisation par l’état de groupes pré-fascistes dont la fonction est de terroriser ces minorités et les oppositionnels. Ils naissent en 1903, au moment où le tsarisme sent que la société commence à échapper à sa contrainte. Les autorités locales créent puis subventionnent des centuries noires (les Cent noirs). Notons parmi ces groupes paramilitaires d’extrême droite : l’Union du Peuple russe, l’Aigle à deux têtes, le Parti monarchiste russe, l’Union des Russes... Ils assassinent plusieurs centaines d’étudiants, d’ouvriers, de militants sociaux-démocrates. Vis à vis des Juifs, ils procèdent à des assassinats, des incendies de maisons, de grands pogromes comme à Kichinev en avril 1903, à Gomel sous la direction du ministère de l’intérieur (août 1903)...

* 3d) un exemple type de dictature idéologique et cléricale. Le régime crée des écoles paroissiales orthodoxes dans tout le pays et réprime leurs concurrentes... Dans tout le pays, cette Eglise contribue à l’antisémitisme d’état, à la surveillance et à la répression des opposants, à l’organisation de la société dans ses propres réseaux communautaristes.

Un tel pays aurait pu connaître une transition durant le règne de Nicolas II. Mais celui-ci n’en est pas capable. Un historien spécialiste de la Russie, cité par Carrère d’Encausse, le campe bien : " Il gouverne sans passion et sans projet. Indifférent à la misère de son pays et à l’évolution de son temps, incapable de formuler un projet politique cohérent et adapté aux exigences de l’Etat, il abandonna la chose publique au Seigneur qui l’avait oint, et se réfugia, loin des contraintes, dans un espace privvé."

Histoire de la Russie d’Ivan IV (16 janvier 1547) à 1905 : quelques remarques

1) Un développement économique, culturel, sociétal et politique en retard sur le reste de l’Europe

2) Le développement historique différent de l’Europe occidentale et de la Russie

3) L’Etat tsariste d’avant 1905 présente un aspect bureaucratique autocratique avec des caractéristiques pré-fascistes


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