La fulgurante ascension de Podemos

mercredi 10 décembre 2014.
 

Lancée il y a moins d’un an, la formation de Pablo Iglesias bouleverse le paysage politique espagnol. Les sondages lui octroient une possible victoire aux élections générales de 2015. 
Ce parti est parvenu à capter le «  basta ya  » généralisé d’une société en rupture avec les institutions.

Dans la famille Caballero Gonzalez, commençons par Jordi. Mécanicien de soixante et un ans, il est au chômage, comme 6 millions d’Espagnols. Sans détour, il affirme qu’il votera, l’an prochain, lors des élections générales, Podemos. Interrogez Flora, cinquante-sept ans, femme au foyer, vous obtiendrez la même réponse. Idem pour leur fils, Javi, vingt-huit ans, technicien en systèmes informatiques. Le programme de la formation, qui a vu le jour il n’y a même pas un an, en janvier 2014, ne circule pas. En tout cas, pas entre leurs mains. Et pourtant, les Caballero Gonzalez voteront pour ce parti qui, cinq mois après sa création, a obtenu 1,2 million de voix aux élections européennes et envoyé ainsi cinq eurodéputés qui siègent depuis au sein du groupe de la Gauche unitaire (GUE). Pourquoi un tel succès  ? «  La mauvaise politique, la corruption, la réforme du marché travail qui a conduit à plus de chômage  », dit Jordi. «  Il peut y avoir un changement  », espère Flora. «  Après tant d’années de crise, ni le Parti populaire (PP, droite) ni le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) n’ont apporté de réponse  », déclare Javi.

Un récent sondage confirme les enquêtes de ces derniers mois  : Podemos se hisse en tête des intentions de vote avec 28,3 %, dépassant la droite, larguant, loin, le Parti socialiste, et laminant les autres formations qu’elles soient nationalistes ou à la gauche de la gauche, comme Izquierda Unida (IU). La formation est un phénomène, à l’origine d’un big bang. Le gouvernement de droite a été contraint d’organiser un débat au sein du Congrès sur la «  régénération  » de la vie politique. Le PSOE a procédé à des primaires pour élire un nouveau secrétaire général de quarante ans. Le jeune député d’IU Alberto Garzon a annoncé qu’il était candidat aux primaires au sein de sa formation après que le coordinateur fédéral, Cayo Lara, eut déclaré qu’il ne se présenterait pas. Le paysage politique ibérique vit un bouleversement sous l’effet Podemos. Pas un jour ne se passe sans la publication ou la diffusion d’un article, d’un reportage. Son secrétaire général, Pablo Iglesias, élu à la tête du parti en novembre, est omniprésent. Pas même la quarantaine au compteur, son ton mordant décape. Coup de pub, matraquage ou cabale médiatique, Nous pouvons – la traduction de Podemos – fait vendre. Cette ascension fulgurante est d’abord le fruit du rejet majoritaire de tout ce qui a représenté la vie politique depuis la fin de la dictature.

L’université Complutense de Madrid est un vivier de la formation. Ses principaux dirigeants y ont fait leurs classes. Obtenir un entretien avec l’un des leurs relève en ce moment de la gageure. Dans le bureau de Juan Carlos Monedero cohabitent sa carrière universitaire et ses valeurs, ses engagements. On y voit un poster du Che, des autocollants du drapeau de la République, une affiche du mouvement zapatiste, une photo d’Hugo Chavez, président défunt du Venezuela et figure du renouveau de la gauche en Amérique latine, lors de sa venue à la faculté, et une bibliothèque d’ouvrages portant notamment sur l’Allemagne. Le professeur en sciences politiques ne manque pas d’images pour expliquer le succès de Podemos. Le parti est une sorte de «  conte  » et pour que «  la fin soit heureuse  », les acteurs – «  les princes et les princesses  » – ne suffisent pas. Il faut un décor, une ambiance… «  En Espagne, nous avons une crise économique qui a explosé les coutures du régime de 1978 (la transition après la fin de la dictature – NDLR)  : la monarchie, l’idée d’Europe, l’ascension sociale, la question territoriale, la relation avec l’Église  », explique l’universitaire qui, il y a quelques années, a collaboré avec Gaspar Llamazares, député et ancien coordinateur fédéral d’Izquierda Unida.

Cathy Ceïbe


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