Suède (prostitution) : la pénalisation des clients provoque un changement de comportement

dimanche 22 février 2015.
 

L’approche du phénomène de la prostitution montre que c’est dans les catégories les plus défavorisées et dans les pays pauvres que l’on trouve l’origine des personnes prostituées. Mais la prostitution s’exerce aussi dans le contexte orienté des rapports femmes-hommes puisque 100 % des clients sont des hommes et que la majorité des personnes prostituées sont des femmes. D’autre part, on observe aussi que la plupart des personnes prostituées ont été victimes de violences sexuelles avant d’être prostituées. Les causes de la prostitution s’articulent donc sur trois points  : le socio-économique, le culturel (la domination masculine) et le psychologique (les traumatismes antérieurs). On ne peut donc espérer voir disparaître la prostitution qu’en travaillant dans ces trois secteurs. La loi de lutte contre la prostitution actuellement en débat apporte certaines réponses mais c’est une transformation profonde de la société qui fera disparaître cette violence ancestrale.

En effet, expérimentée en Suède (et ensuite dans cinq autres pays dont le Canada), la pénalisation des clients provoque un changement de mentalité et de comportement. Une «  loi de comportement  » (comme l’obligation du port de la ceinture ou l’interdiction de la fessée) est d’abord considérée comme liberticide et difficilement applicable puisque, par exemple, on ne peut pas placer une caméra dans la chambre de tous les enfants. Les sanctions prévues sont rarement appliquées mais la norme, inscrite dans la loi, travaille les esprits au point qu’après quelques années, le citoyen du pays où elle a été votée estime que, finalement, elle relève du bon sens.

Il en va de même avec la pénalisation des «  clients  ». Après dix ans d’application de la loi, la plupart des Suédois considèrent la prostitution comme incongrue. Elle sort petit à petit de leur champ culturel. En revanche, dans les pays où elle est organisée, comme en Allemagne ou en Espagne, on voit de nouveau des hommes amener des adolescents «  se faire déniaiser  » dans les bordels où l’on sort entre amis. On observe donc que le choix politique adopté quant à l’attitude des «  clients  » 
modifie les comportements des hommes face à la prostitution mais aussi, plus généralement, dans leurs rapports avec les femmes. Car le rapport de domination masculine est un continuum dont chaque partie influence le reste du système  : des inégalités dans les tâches ménagères à la prostitution en passant par les inégalités professionnelles, tout se tient. Le rapport culturel de supériorité masculine est renforcé par tout élément qui le rend légitime.

En raison de quoi, une pédagogie efficace en direction de l’égalité femmes-hommes fera reculer la prostitution mais l’abolition de la prostitution permettra en retour l’établissement d’une norme plus égalitaire. D’autre part, l’aspect socio-économique joue un rôle essentiel. On a vu combien, en Grèce, la dégradation de la situation sociale a fait littéralement exploser le taux de prostitution. Le recul souhaitable de la prostitution passe donc aussi par des mesures sociales (meilleure distribution des richesses, régularisation de femmes prostituées sans papiers…). Enfin, dans le même ordre d’idées, l’aide apportée aux victimes (notamment aux enfants) de toutes formes de violences sexuelles permettra, en plus de soulager les souffrances, de faire reculer la prostitution qui se nourrit des traumatismes.

On voit donc à quel point une loi instillant aux hommes un interdit de louer le corps d’autrui, renforcée par des mesures sociales ambitieuses, notamment en direction des personnes prostituées, peut radicalement faire reculer la prostitution et promouvoir l’égalité. Il y a aujourd’hui en Suède, proportionnellement, vingt fois moins de femmes prostituées qu’aux Pays-Bas. C’est déjà une grande victoire.

par Patric Jean, cinéaste porte-parole de Zéromacho

B) Une loi avec de véritables moyens de réinsertion par Jacques Hamon, président du Mouvement du nid France

Les militant(e)s du Mouvement du nid rencontrent près de 20 000 lycéens et lycéennes par an dans toute la France ; nous discutons avec eux lors d’initiatives de prévention sur les enjeux de la liberté sexuelle, de la réciprocité du désir, des relations égalitaires et sans violence. Mais les jeunes ne sont pas longs à pointer la contradiction entre la promotion affichée de ces droits que nous valorisons et leur déni pour les personnes prostituées. Les «  clients prostitueurs  » peuvent piétiner leur sexualité à elles pour que continue de s’exercer une «  liberté  » sexuelle  : la leur. Comment faire prendre conscience à ces garçons, à ces filles que chaque individu a le droit de vivre une sexualité épanouie, égalitaire et indemne de violence dans une société qui accepte que ce même droit soit bafoué pour les personnes prostituées  ? Et comme la situation du vivre-ensemble serait différente si chaque enfant grandissait dans l’idée que, de même que l’on ne doit pas frapper ou voler autrui, il n’est pas permis de payer pour utiliser sexuellement une personne.

Nous n’attendons pas seulement de la loi qu’elle soit un puissant levier des mentalités. Le Mouvement du nid est en contact, dans toute la France, avec 5 000 personnes prostituées par an. Nous nous démenons pour les soutenir dans leurs démarches quotidiennes, liées à leur survie, et pour les accompagner, quand elles nous le demandent, vers une sortie de la prostitution, cet enfer fait de violence et de mépris. Si nous nous mobilisons pour obtenir une loi qui combinerait la répression des «  clients prostitueurs  » et des proxénètes, la décriminalisation des personnes prostituées et la mise en œuvre de véritables moyens pour la réinsertion, c’est avant tout en pensant à elles. La loi, ça signifie aussi un meilleur accès aux droits communs, à la santé et à la sécurité, au travail, à la justice, pour ces personnes qui sont aujourd’hui traitées comme des délinquantes par le délit de racolage.

Alors une loi, est-ce que cela nous garantit la réalisation de l’utopie pour laquelle nous nous battons, l’abolition du système prostitutionnel  ? Loin s’en faut. Nous avons été, dès 1937, parmi les premiers à démontrer que ce système d’exploitation est un bastion aux dimensions multiples, alimenté par les inégalités économiques et sexistes. Son abolition demande de tourner le dos au patriarcat, de construire l’égalité réelle dans tous les domaines pour les femmes, d’en finir avec l’exploitation des plus précaires. Ce qui au passage bénéficiera à l’ensemble des femmes et de la société. Tout en travaillant à atteindre ce but, nous nous saisissons avec pragmatisme de tous les outils possibles pour améliorer les conditions d’existence des personnes prostituées  : et la loi en est un. Elle est aussi un repère essentiel à fournir à la jeunesse pour qu’elle s’engage pour l’égalité, le refus de la violence sexuelle et du sexisme.

Dossier dans L’Humanité du jeudi 19 février 2015


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