Une grève civique… qui pour l’instant fait le jeu du FN

samedi 28 février 2015.
 

Il faut analyser sérieusement l’élection législative partielle qui s’est déroulée dans la 4e circonscription du Doubs. Pour cela, il importe de mettre au premier plan de toute réflexion le très haut taux d’abstention de dimanche, soit plus de 60 %. Où, pour le dire autrement, seulement 39 % des électeurs qui se sont déplacés pour voter. C’est à dire un gros tiers. Garder cela dans l’angle mort de sa pensée politique désarme radicalement pour comprendre ce qu’il se passe profondément dans le pays. J’insiste donc, c’est l’abstention qui bouleverse et surplombe toute la scène politique du moment. Aucun des évènements récents (je pense bien sûr aux terribles attentats), qui ont pourtant mobilisés beaucoup de nos concitoyens, les ont amené à acheter des journaux, à débattre, à manifester, ne sont venus fondamentalement modifier cette mise à distance des citoyens avec les élections.

Interrogé ce matin au micro de RFI (voir interview plus bas dans le texte), j’ai utilisé l’expression de « grève civique » pour décrire cet état de fait. Je suis près à en adopter une autre. Mais l’idée forte est là. Aussi les cris de joies du FN et aussi du PS, qui ont accueillis le vote de dimanche, doivent être regardés à la lumière de cette crise démocratique.

D’abord, oui, actuellement le FN est en dynamique. C’est indiscutable. Mais il reste à préciser ce que l’on entend par ce mot fourre-tout de « dynamique ». Pour l’essentiel, cela signifie que le FN garde beaucoup mieux ses électeurs que toutes les autres forces politiques, qu’il en perd moins que les autres. En 2012, le FN obtenait 9605 voix (ce qui représente pour lui le pic de voix dans cette circonscription), et cette fois ci il en obtient 8382 voix, soit 87% de ses électeurs. Mais surtout, il convient d’avoir une connaissance un peu longue des résultats électoraux du FN dans cette circonscription, pour comparer ce qui est comparable, et non seulement des pourcentages les uns avec les autres.

Rappel : il y a 18 ans, en 1997, dans la même circonscription, le candidat FN obtenait 7861 voix ce qui représentait alors 18,29 % des suffrages. Cinq ans plus tard, en 2002, alors que Jean-Marie Le Pen accédait au second tour de l’élection présidentielle, la candidate FN (qui était déjà Sophie Montel) obtenait 8053 voix (soit 19,61 % des suffrages) à quoi il convient d’ajouter un candidat du MNR (scission encore fraiche du FN) de Bruno Mégret qui obtenait 470 voix soit 1,14 % des suffrages et obscur candidat d’extrême droite qui obtenait 372 voix, soit 0,91 % des suffrages. Le total de toutes ces voix d’extrême droite en 2002 représente 8895 voix. En 2007, siphonné par la campagne très à droite de Nicolas Sarkozy, la candidate FN n’obtiendra que 3315 voix (soit 8,38 %).Quelles leçons peut-on tirer de tout cela ? Et bien que depuis 18 ans, dans cette circonscription, lors des élections législatives, le FN oscille en progressant entre 7861 et 9600 voix (à l’exception de « l’accident » de 2007). En rassemblant 8382 voix ce dimanche, le FN se situe dans la fourchette moyenne de ses voix depuis près de 20 ans. Rien d’extraordinaire donc, mais ce qui rend ce résultat exceptionnel, c’est l’effondrement des autres forces politiques.

Je veux aussi souligner au passage combien la candidature FN ne s’est pas du tout basée sur les questions sociales (censées expliquer le « virage » du FN sous la conduite de Mme Le Pen), ou sur l’euro ou je ne sais trop quoi, mais bien sur une campagne xénophobe « old school » montrant rageusement du doigt la présence de musulmans sur le territoire national. Une bonne vieille campagne contre le « péril islamiste », comme le tract ci-après en atteste. De plus, j’attire également l’attention que la candidate FN pour être députée, est actuellement une belle cumularde, puisqu’elle est déjà Députée européenne et Conseillère régionale (soit une indemnité de près de 9 000 euros pour ses seuls mandats) et annonce la profession de « chargée de mission » qui fleure bon le déguisement de permanent politique frontiste. Comme anti-système et candidate différente des autres, on fait mieux. Qui peut attendre un renouvellement des pratiques politiques d’un tel personnage ?

Dans ce cadre-là, le score (surprise ?) du candidat PS qui obtient 7416 voix, alors qu’en 2012, son candidat rassemblait 19311 voix, n’exprime en rien un regain d’intérêt pour la politique menée par le gouvernement actuel. Concrètement, le PS perd 62 % de ses électeurs dans la circonscription de Pierre Moscovici, aujourd’hui Commissaire européen, qui était pourtant une des grandes figures de la rue de Solférino. Ceux qui feignent de voir là un « effet Charlie » ou bien la preuve que les français se seraient réconciliés avec François Hollande qui aurait « pris de la hauteur » sont des farceurs. Rien dans ce vote ne démontre que le PS est en dynamique, les chiffres que je présente plus haut me semblent attester de l’inverse. Ce parti dévisse électoralement élection après élection et la 4e circonscription du Doubs le démontre encore.

La surprise vient que c’est l’UMP qui fait les frais de la bonne tenue électorale des votants FN. Si glissement d’électeurs il y a vers le FN, ce sont ceux de l’UMP et non ceux issues de la gauche comme certains le répètent ad nauséam. Cette réalité explique pourquoi l’UMP et Nicolas Sarkozy auront bien du mal à trouver une position qui ne les déchire pas à propos du second tour.

Et maintenant ? D’abord, il faut faire barrage au FN, c’est une évidence et nous l’avons dit avec clarté. Mais, il faut surtout bâtir la nouvelle force politique tant attendue. 76 % des électeurs n’ont voté ni pour le PS, ni pour le FN. Mais, je n’esquiverai pas nos propres problèmes et erreurs. Hier, dans le Doubs, comme c’était prévisible, le candidat communiste, militant courageux, qui portait les couleurs du FDG a fait ce qu’il a pu dans ce contexte difficile où il est évident que pour toute une série de raison déjà développées sur ce blog ou ailleurs, nous ne sommes pas mécaniquement l’incarnation française de ce qu’est Syriza en Grèce. Son score démontre que nous devons changer de méthode. Il importe à présent de se mettre à l’école de nos camarades grecs et espagnols. Cela nous impose lucidité et modestie. Ne nous jetons pas du sable sur la tête, nous disposons d’atouts considérables à commencer par la visibilité et la cohérence maintenue de celui qui fut notre candidat en 2012 à savoir Jean-Luc Mélenchon. Mais, il faut élargir cela à d’autres forces et surtout permettre l’intervention citoyenne de ce que nous faisons. Une simple addition de sigles ne réglera pas par enchantement les soucis rencontrés. Sans mobilisation électorale de ceux qui s’abstiennent, nous ne résoudrons aucun problème. Dans ce contexte confus, ne perdons pas de vue que Jean-Luc est encore un porte-parole connu dans tous les pays, ayant rassemblé 4 millions de voix et toujours apprécié par près de 10 % des électeurs. Qui ne voit pas que le FN par exemple, bénéficie beaucoup que Marine Le Pen exerce un leadership cohérent sur son camp ? Sur les affiches du FN, le visage de la présidente semble remplacer toute autre forme de slogan et programme.

Mais il faut se battre pour changer les règles du jeu démocratiques, faire prospérer l’idée que nous pouvons obtenir de nouveaux droits démocratiques qui nous sortiraient enfin du statut de sous-citoyens actuel, populariser le thème d’une Assemblée Constituante pour tracer les contours d’une 6e République. Par ce travail opiniâtre, nous arriverons à convaincre qu’il faut savoir terminer une grève… civique. Clin d’œil de ma part, bien évidemment. Mais, comme toujours, ce n’est possible qu’une fois que l’on a obtenu satisfaction sur ses revendications. Sur le terrain social comme démocratique, les figures de styles se ressemblent parfois.


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