Les "grands hommes" des "Secrets d’histoire" tiennent plus de la basilique Saint Denis que du Panthéon

dimanche 13 août 2017.
 

- 4) Têtes dures contre têtes couronnées

- 3) Premiers commentaires d’Alexis Corbière sur cette réponse

- 2) Réponse de France 2

- 1) Lettre de Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière à la Présidente de France Télévisions Mme Delphine Ernotte-Cunci.

4) Têtes dures contre têtes couronnées (Alexis Corbière)

Hier soir, le Grand Journal de Canal + avait prévu de m’inviter à 19h20 pour un débat avec Stéphane Bern à propos de la lettre que nous avons écrit avec Jean-Luc Mélenchon au sujet des « Secrets d’Histoire » et des émissions historiques dans le service public audiovisuel. Je me réjouissais de cette rencontre et puis, au dernier moment, pour des raisons indépendantes de notre volonté, ce débat n’a pu avoir lieu. Partie remise nous a promis l’équipe du Grand Journal. Je l’espère vivement.

Cette rencontre eut été l’occasion de revenir sur les enjeux de ce que propose le service public à ceux qui le regardent. Parler des programmes TV n’est pas une façon de fuir les grandes questions sociales et écologiques. Le PG mène, en fonction de ses capacités, tous les combats à ce sujet. J’invite pour le vérifier à aller sur le site du PG, de Jean-Luc Mélenchon(toujours très complet) ou d’autres de mes amis. Epargnez donc moi les remarques qui considèrent qu’il y aurait une part de futilité dans cette controverse avec les producteurs de « Secrets d’Histoire ». Je ne suis pas d’accord. C’est l’inverse. Il s’agit essentiellement d’une extension du domaine de la lutte (pour reprendre le titre d’un célèbre roman). Et ici, la lutte est culturelle et idéologique. Donc déterminante en surplombant toutes les autres. L’expérience nous a appris qu’il ne suffit que l’Homme soit exploité férocement pour chercher mécaniquement les voies de l’émancipation. Encore faut-il que de belles idées lui en donnent la force et lui montre un horizon. C’est là tout l’apport des philosophes des Lumières. L’Homme n’est pas qu’un ventre, il est d’abord et surtout une conscience qui appréhende le monde en fonction de son univers culturel. Aussi, tous mes amis qui déplorent les renoncements et le désespoir qu’ils constatent dans notre peuple, et qui se traduisent par une faiblesse manifeste des luttes sociales et l’abstention, doivent en chercher la cause. D’où viennent ces défaites culturelles ? Précisément d’un discours idéologique balancé à gros jets par les programmes de télévision. Il faut donc nous en mêler. Je rappelle accessoirement que France Télévisions nous appartient à tous, nous payons tous une redevance de 136 euros par an, et que nous pouvons à bon droit donner notre opinion sur ces contenus.

Il n’est donc pas sans conséquence de proposer en permanence des programmes où le peuple est un acteur mineur, dont chaque mobilisation n’est qu’un inutile acte de brutalité, incapable de produire des femmes et des hommes agissant pour l’égalité et la justice, et que nous devons tout aux Grands Hommes (des monarques ou des puissants) dont les vies doivent être auscultées jusqu’à la chambre à coucher. Pas d’accord. Je n’accepte pas cette victoire de la presse people sur l’Histoire de France. Et la preuve que notre lettre ne cible pas en particulier Stéphane Bern et France 2 mais bien l’ensemble du service public, est l’émission « l’Ombre d’un doute » animée par Franck Ferrand et proposée hier soir sur France 3. On a eu droit à une « Guerre des dames à la cour du Roi soleil », détaillant la rivalité entre Mme de Maintenon et Mme de Montespan, pour gagner les faveurs de Louis XIV, avec forces détails.

« Guerre des dames à la cour du Roi soleil » Victoire de la presse people sur l’Histoire de France

3) Premiers commentaires d’Alexis Corbière sur cette réponse de France 2

1) Même si notre lettre est adressée à la Directrice de France Télévisions, je tiens d’abord à remercier France 2 de nous avoir répondu si vite. C’est pour moi non seulement la marque d’une certaine courtoisie mais surtout la preuve qu’il est légitime de débattre des contenus des programmes du service public audiovisuel qui est notre bien commun.

2) Je considère néanmoins que cette lettre n’apporte aucune réponse sur le fond à la principale critique que nous adressons : pourquoi « Secrets d’Histoire », aujourd’hui devenu « la » principale émission historique du service public, propose-t-il un tel déséquilibre dans le choix de ces sujets en privilégiant outrancièrement le destin des rois et des reines, les favorites, leurs enfants, etc. ? Pourquoi si peu de personnages associés à la fondation de la République ? Pourquoi les femmes sont-elles à ce point sous valorisées ? Pourquoi aucun personnage partie prenante de notre histoire nationale liés aux Caraïbes, à l’Afrique du Nord ou sub-saharienne ? Pourquoi aucun philosophe des Lumières ? Pourquoi cet effacement des grandes mobilisations sociales et politiques qui ont tant marquées notre Histoire ? Etc. Ainsi, je ne peux pas être d’accord avec France 2 quand il nous répond à propos de cette émission : « L’histoire de France y est ainsi abordée dans toute sa diversité ». Non, désolé, ce n’est pas exact et j’invite chacun à aller consulter la liste (cliquer ici) de tous les thèmes abordés par Secrets d’Histoire depuis 2007 afin de vérifier si oui ou non, ce que nous pointons avec Jean-Luc Mélenchon est exact.

3) Je ne peux pas prendre au sérieux que les manques historiques en quelque sorte de « Secrets d’Histoire » seraient rééquilibrés par d’autres magazines culturels comme « Un jour, un destin » ou « Un jour, une histoire » présentés par Laurent Delahousse. Il s’agit là d’émissions ayant ouvertement un partie pris très « people » qui abordent la vie de gens célèbres exclusivement à travers leurs petits secrets, leurs blessures intimes (Par exemple : la maladie de Georges Pompidou, la vie privée de François Mitterrand, etc..) ou leurs vies sentimentales même quand il s’agit de personnalités politiques ou historiques. De plus, sur 78 émissions depuis 2007, seulement 10 sont consacrées à ces dernières. On ne peut considérer ce programme comme un complément réels à l’attirance obsessionnelle de « Secrets d’Histoire » pour les têtes couronnées. Sans quoi, c’est le triomphe de Closer sur l’Histoire de France.

4) Oui, il est indiscutable que le service public produit et diffuse des grands documentaires évènementiels, généralement de bonne qualité, en première partie de soirée, de façon exceptionnelle. Je suis toutefois preneur de la liste exacte de tous ces programmes et de leur régularité sur une année pour juger de quelle manière ils complètent l’offre historique sur France 2. Je fais observer que, de ce que j’en vois, il s’agit presqu’exclusivement de programmes ayant un lien avec la première ou la seconde guerre mondiale et parfois la guerre d’Algérie. C’est bien sûr fort utile, mais cela ne s’aventure guère plus loin. Cela illustre précisément ce que nous pointons dans notre lettre. L’Histoire de France ce n’est pas seulement l’addition du destin des Rois de France et les grands conflits militaires du 20e siècle.

5) Le fait que France Télévisions couvre les grands évènements mémoriels et les grandes cérémonies républicaines n’est que la moindre des choses. Toutefois, l’exemple récent du Panthéon est révélateur d’un problème potentiel. Le Président de la République dans son hommage aux grandes figures de la Résistance n’a pas souhaité y associer des résistants communistes (Henri Rol Tanguy, Missak Manouchian, Danielle Casanova, etc.). C’est une erreur. La seule retransmission des grandes cérémonies n’est donc pas suffisante, car elle place l’Histoire totalement entre les mains des dirigeants politiques du pays.

6) Il est un peu regrettable que France 2 utilise l’argument de l’audience comme « preuve » de la qualité de leur programme. L’exemple de programmes de chaines privées de qualité fort médiocre mais ayant une grosse audience atteste que cet argument à des limites et ne peut servir de seule boussole au service public.

7) Pourquoi France 2 réfute que les programmes, notamment ceux qui abordent l’Histoire, contiennent une orientation idéologique ? On ne peut étudier et transmettre l’Histoire sans cela. Faire croire l’inverse est soit naïf, soit malhonnête. En Histoire, la « neutralité » totale n’existe pas. Il est par contre utile que le service public maitrise et assume les partis pris idéologiques de certains programmes, le dise clairement aux téléspectateurs et assurent le fait que différentes opinions ou approches historiographiques puissent y être entendues, notamment en se confrontant. Il importe aussi que ce ne soit pas les thèses les plus farfelues ou mêmes les plus inacceptables qui trouvent dans le service public une caisse de résonnance au détriment des travaux de la grande majorité des historiens reconnus. Il importe enfin que ce ne soit pas le courant historique le plus nostalgique de l’Ancien régime qui gagne dans le service public une tribune permanente. Nous pensons que c’est ce qui n’existent pas, ou si peu, dans « Secrets d’Histoire ».

Sans complexe ni repentance, la République a le droit de voir sa tumultueuse mais passionnante histoire racontée et transmise dans le service public. Ceux qui ont donné leurs vies pour elle ne doivent pas être effacés au nom de l’audimat.

2) Réponse de France 2

Communiqué de France 2

Suite aux déclarations de Monsieur Jean-Luc Mélenchon relatives à l’émission Secrets d’histoire, la direction de l’antenne et des programmes de France 2 tient à apporter les précisions suivantes.

France 2 réfute tout d’abord très fermement toute orientation idéologique concernant les contenus de ce programme emblématique de son antenne depuis 2007.

La qualité de ce programme d’histoire et la très grande variété de ses thèmes sont régulièrement reconnues par les téléspectateurs, aussi bien sur le plan des audiences que des retours qualitatifs.

L’histoire de France y est ainsi abordée dans toute sa diversité, de Saint-Louis à Charles de Gaulle, en passant par Jeanne d’Arc, Louis XIV, Danton, La Fayette, Talleyrand, Napoléon, Victor Hugo, Clemenceau…

Par ailleurs, l’histoire sur France 2 va bien au-delà du magazine culturel « Secrets d’histoire ». France 2 propose très régulièrement en première partie de soirée des grands documentaires événementiels, qui réunissent un public large et familial : la collection « Apocalypse », « La destruction des Juifs d’Europe », « La chute du Reich », « La dame du 6″, « Marie Curie, une femme sur le front », « Guerre d’Algérie, la déchirure » ; sans oublier la collection « Un jour, une histoire » (Pétain, Klaus Barbie, Simone Veil), « Un jour, un destin » (Jacques Chirac, François Mitterrand, Georges Marchais, Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy, Georges Pompidou, Ségolène Royal…) et le rendez-vous documentaire hebdomadaire « Infrarouge », qui s’ouvre fréquemment à l’histoire (« Stalingrad », « Les pilotes français de l’Armée rouge : Normandie-Niémen », « Ils étaient la 2ème DB », « L’argent de la résistance », « Geneviève de Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion : l’honneur de vivre »…).

Plus généralement, les téléspectateurs de France 2 plébiscitent la couverture par la direction de l’information et l’antenne de France 2 des grandes commémorations : 70ème anniversaire de la capitulation allemande le 8 mai dernier ; les commémorations du 6 juin l’an dernier ; le 14 juillet ; le 11 novembre ; les 70 ans de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau le 27 janvier 2015…

A noter que la fiction de France 2 apporte une contribution importante au traitement de l’histoire sur la chaîne. Citons notamment « La loi » sur le combat de Simone Veil sur l’avortement, les 2 épisodes de 90 minutes de « Toussaint Louverture », « Brassens, la mauvaise réputation », « Le chapeau de Mitterrand », « Un homme d’honneur » consacré à Pierre

Enfin, France 2, encore aujourd’hui, avec l’édition spéciale de la rédaction « 4 résistants au Panthéon », montre une nouvelle fois qu’elle joue pleinement son rôle et ses missions de service public dans le domaine de l’histoire et de la mémoire collective.

Sur France 2, l’histoire est résolument en mouvement, vivante, citoyenne et républicaine.

1) Lettre de Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière à la Présidente de France Télévisions Mme Delphine Ernotte-Cunci

Avec Jean-Luc Mélenchon, nous avons décidé d’adresser la lettre qui suit à la nouvelle Présidente de France Télévisions Mme Delphine Ernotte-Cunci.

Concernant les récentes conditions de nomination de cette dernière, je ne peux que rappeler les propositions du candidat Mélenchon en 2012 :« Il faut faire une révolution citoyenne dans les médias ! Dans ce domaine aussi je propose que les citoyens reprennent le pouvoir. (…) Ce sera aux citoyens de désigner leurs représentants dans les conseils d’administration des chaînes. Ceux-ci choisiront les présidents de chaînes au sein d’une liste des professionnels qui ont l’expérience nécessaire pour cela car bien sûr le journalisme est un métier. »

Mais ceci est pour l’instant un autre sujet. Encore que...

Madame la Présidente,

Demain, à l’occasion de la cérémonie qui aura lieu au Panthéon, des femmes et des hommes qui ont lutté pour que vivent les valeurs de la République seront célébrés pour qu’on ne les oublie pas. Malgré cela, nous regrettons qu’en dehors de ces moments exceptionnels, le service public audiovisuel n’ait pas compris le rôle fondamental de l’Histoire et de la mémoire.

C’est à ce sujet que nous voulons attirer votre attention sur les contenus des programmes proposés par France Télévisions dédiés à l’Histoire et particulièrement l’émission « Secrets d’Histoire » diffusés sur France 2 qui rencontre depuis sept ans un succès d’audience grandissant. Cette dernière est aujourd’hui devenue pour nos concitoyens la principale émission d’Histoire qui rassemble régulièrement 3 à 4 millions de téléspectateurs.

Il va de soi pour nous que ce n’est pas aux responsables politiques de définir les contenus des programmes proposés par France Télévisions. Mais en revanche, nous croyons utile, que comme tout citoyen, nous fassions entendre notre opinion. De plus, à l’heure où un débat traverse notre société sur le contenu des programmes d’Histoire qui doivent être enseignés dans les collèges publics, pourquoi ne pas s’interroger sur les émissions proposées sur ce sujet par le service public audiovisuel ? Ces dernières disposent d’une audience bien plus importante que l’ensemble des enseignants d’Histoire de notre pays. L’enjeu est donc d’importance.

C’est donc sur l’émission mensuelle « Secrets d’Histoire » que nous souhaitons vous alerter. Elle est emblématique d’une tendance générale que l’on retrouve dans d’autres programmes de France Télévisions à vocation historique. Dans le dernier épisode du mardi 19 mai, consacrée à « Louis XVI, l’inconnu de Versailles », Louis Capet y est décrit sans nuances comme « un brave homme » aimant son peuple. On y présente sans pudeur tous les détails de sa vie intime et même les petites anomalies de ses organes génitaux. L’intérêt historique de ces anecdotes anatomiques est pourtant bien mince, vous en conviendrez. Par contre, il est « omis » de rappeler quelques moments plus sombres de son règne et s’ils sont évoqués de façon fugaces c’est pour être fortement minimisés. C’est le cas pour son action et sa correspondance afin de provoquer l’intervention militaire des puissances monarchiques contre la Révolution, activités qui sont au centre des accusations de trahison portées contre lui lors de son procès.

Parce qu’elle ne permet pas réellement au téléspectateur de réfléchir, cette façon si orientée et si caricaturale de présenter notre Histoire nous a convaincu de nous adresser à vous.

Nos remarques et critiques qui vont suivre ne portent pas sur la qualité de production de ce programme proposant toujours des images remarquables, ni sur la personnalité attachante de son animateur emblématique M. Stéphane Bern qui sait, mieux que quiconque, par sa faconde, faire aimer le sujet qu’il présente. Nos critiques portent sur les contenus idéologiques de ces émissions et le choix très orientés des sujets.

Depuis 2008, France 2 a diffusé 88 épisodes différents de « Secrets d’Histoire ». Sur ces 88 opus, plus de 60% sont consacrés exclusivement à des monarques et leurs favorites. Sur les moins de 40 % restant, dont l’essentiel est consacré à des artistes (écrivains et peintres), ou des personnages folkloriques et très secondaires de l’histoire universelle (Mata Hari, le chevalier d’Eon, Robin des Bois, la bête de Gevaudan, etc.) seulement 5 émissions, soit 6% ( !) de la totalité, ont été consacrée à des personnalités ou des lieux liés à la République. En voici la liste précise et exhaustive : le Général de Gaulle, Georges Clemenceau, Georges Danton, la journée du 14 juillet 1789 et le Palais de l’Elysée. C’est tout. C’est peu.

Sur l’ensemble de ces 88 émissions, seulement un tiers est consacré à des femmes qui ne sont souvent présentées qu’à titre de « femme de… » ou « favorite d’untel.. ». C’est une présentation pour le moins limitée de la place des femmes dans l’Histoire.

De plus il est navrant de constater qu’aucune des ces femmes ou hommes racontés dans ces « Secrets d’Histoire » n’a par exemple la peau noire ou est originaire des Caraïbes, d’Afrique du nord ou sub-saharienne hormis deux épisodes consacrés au roi et reine d’Egypte Toutankhamon et Cléopâtre ! Toussaint Louverture, Félix Eboué, Frantz Fanon ou combien d’autres, le choix ne manque pourtant pas dans notre histoire nationale.

Alors que deux épisodes sont consacrés à la vie de Jésus et quelques autres à des sujets religieux (notamment le Vatican) aucun ne présentent le moindre philosophe des Lumières où ne s’intéresse à une seule figure du combat pour l’émancipation laïque. Pourquoi passer sous silence les destins de Denis Diderot, Jean-Jacques Rousseau ou Voltaire qui donnent pourtant leurs noms à tant de rues, boulevards et écoles publiques ?

La grande famille intellectuelle du socialisme et communisme, qui a tant marqué l’histoire de France, est totalement effacée puisque ni Jean Jaurès, ni aucun autre n’était présenté. Aucun révolutionnaire français (hormis le controversé Georges Danton dans un épisode d’ailleurs plus court que tous les autres) mais Charlotte Corday qui assassina Jean-Paul Marat aura bien droit à un épisode élogieux puisant dans la tradition contre-révolutionnaire. A l’exception de l’émission consacrée au 14 juillet 1789, aucune des nombreuses Révolutions et grands moments de mobilisations sociales et politiques (1830, 1848, 1870, 1936, etc.) qui ont marqué notre pays, l’ont fait connaître dans le monde entier, et qui s’incarnent dans les destins de femmes et d’hommes remarquables n’a droit à un seul épisode. Auguste Blanqui, Louise Michel et combien d’autres sont ainsi gommés de notre Histoire. Même la famille Romanov a droit à deux épisodes qui rappellent sa fin tragique, ainsi que l’illuminé Raspoutine qu’ils accueillaient dans leur cour, mais aucun « Secrets d’Histoire » ne présentera les personnages majeurs de la Révolution russe de 1917 qui a pourtant fortement davantage marqué l’histoire du 20ème siècle que celle du Tsar.

Au total, quand on examine dans le détail cette longue liste des thèmes choisis par « Secrets d’Histoire » on est frappé par la manière dont elle efface méthodiquement des pans entiers de notre Histoire de France et universelle. D’une façon déséquilibrée, chaque épisode valorise de façon quasi systématique et outrancière des rois et reines, et même la principauté d’opérette et paradis fiscal de Monaco, au détriment de tous ceux qui ont lutté pour l’égalité et la justice.

Ne croyons nous pas qu’il existe des femmes et des hommes ayant consacré leur existence au progrès, à la recherche, à l’émancipation humaine, dignes d’être mieux connus par nos concitoyens ? Pourquoi valoriser avec obstination des personnages qui bien souvent n’ont fait rien d’autre que « de se donner la peine de naitre » ? Finalement, avons nous si peu d’estime pour la République et celles et ceux qui ont lutté pour elle ?

En procédant ainsi, c’est l’Histoire réelle de notre pays que l’on ampute et que l’on déforme. De cette Histoire tronquée, nostalgique des rois et reines, présentant le peuple comme un acteur historique secondaire et brutal quand il se mobilise, rien de bon pour l’avenir ne sortira. Et puis, ce que l’on nomme « les Grands Hommes » ne sont grands finalement que parce qu’ils occupent une place dans le structure sociale où sont concentrées d’immenses ressources qui sont le fruit du travail collectif des peuples.

Il nous semble qu’il est plus que temps que la direction de France Télévisions fasse un rappel à l’ordre aux producteurs et concepteurs de ces émissions. Nous aimerions savoir pourquoi les choix idéologiques qui dominent ces programmes sont toujours ceux de la sous-valorisation des principes républicains et laïques ?

Car quel intérêt à faire entrer au Panthéon les dépouilles de quatre grandes personnalités républicaines, comme l’a décidé le Président de la République, si la principale émission historique ne semble vouloir promouvoir essentiellement que des personnages liés à l’Ancien Régime. Etrange paradoxe, non ? Cette longue liste de « Grands Hommes » couronnées constitue au final presque un Panthéon télévisuel. Mais si les révolutionnaires de 1789 ont créé le panthéon, c’est justement pour ne pas y mettre les rois ! Ce que fait « Secrets d’histoire » est à rebours du processus qui depuis le 18e siècle a d’abord conduit les hommes des Lumières à construire la figure du « grand homme » pour lui faire une place dans la galerie des rois, pour ensuite considérer que tous les rois ne sauraient être des grands hommes, avant de montrer que bien souvent, les « Grands Hommes » sont les victimes des rois ! Finalement, « Secret d’histoire » tient plus de la basilique Saint Denis que du Panthéon.

Nous pensons soulever là des questions qui ne sont pas secondaires. Nous sommes profondément convaincus que le passé que l’on enseigne révèle toujours le futur que l’on veut construire. Aussi, nous souhaiterions maintenant que le service public d’audiovisuel joue pleinement son rôle de service public, plutôt que d’être le promoteur de la valorisation de valeurs et d’idées antirépublicaines souvent très réactionnaires.

Nous espérons vivement que ce courrier soit utile à cette réflexion et nous sommes disponibles pour en débattre avec vous.

Respectueusement,

Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière


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