Guatemala : les truands génocidaires pro-US contestés

vendredi 28 mai 2021.
 

C) Guatemala : visé par un mandat d’arrêt, le président Pérez démissionne

Le président conservateur, un général en retraite de 64 ans au pouvoir depuis 2012, avait été privé mardi de son immunité par un vote à l’unanimité du Parlement, une mesure inédite dans l’histoire du Guatemala et célébrée par une foule d’habitants. Dès mardi soir, la justice lui avait interdit de sortir du territoire et mercredi, la Cour constitutionnelle a rejeté ses recours pour suspendre la procédure.

Otto Pérez est accusé par le parquet et une commission de l’ONU contre l’impunité (Cicig) d’avoir dirigé un système de corruption au sein des douanes, via lequel des fonctionnaires touchaient des pots-de-vin pour exonérer de taxes certaines importations.

La procédure à son encontre survient à un moment de mobilisation populaire sans précédent dans ce pays pauvre d’Amérique centrale et à quelques jours seulement des élections prévues dimanche, auxquelles Otto Pérez ne se représente pas, la Constitution n’autorisant qu’un seul mandat.

Le Guatemala, marqué par 36 ans de guerre civile (1960-1996), reste l’un des pays les plus violents au monde avec 6 000 morts par an, en majorité causées par le crime organisé lié au trafic de drogue.

B) Guatemala : un peuple et des truands (L’Humanité)

Suspecté d’implication dans un scandale de corruption, le président Perez a perdu mardi son immunité, dans un climat de contestation.

Qu’il semble révolu le temps où Otto Perez Molina fanfaronnait. Il y a quatre ans, à cette même période, cet ancien général à la retraite, qui en 1996, au nom de l’armée guatémaltèque, participait aux accords de paix, arrivait en tête du premier tour de l’élection présidentielle. L’homme à la chevelure blanche de 64 ans qualifiait alors son avance d’« historique ». C’est une tout autre histoire qui a rattrapé ce conservateur pétri de discours ultrasécuritaires. Inédit dans l’histoire de l’Amérique centrale, une majorité de 132 députés a voté mardi en faveur de la levée de l’immunité du chef de l’État, suspecté dêtre impliqué dans un vaste scandale de détournements de fonds. Lui, qui avait promis à ses concitoyens de renforcer de manière considérable les effectifs militaires et d’« investir » dans le renseignement pour nettoyer le pays du crime organisé et autres « pandillas », ces bandes qui sévissent dans le pays.

Otto Perez Molina en prend donc pour son grade. Lundi encore, il déclarait sur tous les tons qu’il ne démissionnerait pas avant la fin de son mandat, en janvier 2016. Pourtant, on voit mal comment celui qui fut chargé un temps du renseignement militaire durant la sale guerre civile (1960-1996) et accusé de violations des droits de l’homme va se dépêtrer d’une affaire qui a dégénéré en crise politique.

La vice-présidente déjà incarcérée

À croire les derniers rebondissements de ce litige politico-judiciaire, les cols blancs ont les mains bien sales. Ainsi, le ministère public (MP) et la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (Cicig), mise en place par les Nations unies pour nettoyer les sphères de l’État gangrenées, accusent Otto Perez Molina d’être impliqué dans un détournement de fonds portant sur les recettes des taxes douanières de la superintendance de l’administration tributaire (SAT). Dans le collimateur de la justice, on retrouve des fonctionnaires des douanes bien sûr, mais également des figures de premier plan du pouvoir, telle l’ancienne vice-présidente, Roxana Baldetti, contrainte de démissionner en mai dernier et depuis placée en détention préventive pour association de malfaiteurs, fraude et corruption. Elle aurait ainsi perçu près de 4 millions de dollars entre 2014 et 2015, d’après le ministère public. Son secrétaire particulier, Juan Carlos Monzon, considéré comme l’artisan des opérations, a pris depuis la fuite. C’est en avril dernier qu’a été mise au jour « la Linea » – littéralement «  la ligne  » en référence aux appels téléphoniques que se passaient les acteurs en vue de finaliser les opérations frauduleuses. Les importateurs négociaient des droits de douane sous-évalués – de l’ordre de 40 % – et s’acquittaient par ailleurs de pots-de-vin. « Personne n’est coupable. Tant que le contraire n’a pas été démontré, la présomption d’innocence existe  », s’est encore défendu lundi le président. Mais les écoutes téléphoniques, elles, ne laissent guère de place aux doutes, ni les factures, les billets d’avion et autres chèques qui prouvent des accointances entre le chef de l’État, sa vice-présidente, et le personnel de l’administration.

Pression sociale

L’annonce de la levée de l’immunité a été aussitôt saluée dans les rues de Guatemala Ciudad. Depuis le mois d’avril, la capitale est le théâtre d’une mobilisation des habitants excédés par cet énième scandale de corruption, qui fait suite à celui de la Sécurité sociale (IGSS) où le président de la banque centrale ainsi que son homologue de l’IGSS ont été arrêtés, accusés de fraude dans l’attribution trouble par l’organisme social de contrats opaques pour un montant de 14,5 millions de dollars, selon la presse latino-américaine. « La levée de l’immunité est une bonne nouvelle. Elle est le fruit de la pression sociale. C’est la première fois qu’un président perd cette protection. Elle montre surtout le réveil de la société guatémaltèque  », déclare Amandine Grandjean, coordinatrice terrain du ­Collectif ­Guatemala. Aux yeux de la militante, cet éveil de la société civile est d’autant plus important qu’il comble « le clivage existant entre les peuples autochtones et les paysans plus enclins à la résistance et à défendre leur territoire et les classes moyennes et urbaines  » qui se sont mobilisées ces derniers mois. Hier encore, cette nation renvoyait l’image d’une société empreinte de mutisme, après des décennies de violences qui ont fait 200 000 morts, et 45 000 disparus, et structurée par les inégalités sociales et le racisme.

Le printemps guatémaltèque contre la corruption – le pays est classé 115e sur 175 dans l’index de perception de la corruption de l’ONG Transparency International – ne chasse pas pour autant « l’establishment ». Le 6 septembre, les électeurs sont appelés à renouveler toutes les instances des pouvoirs  : présidence, Parlement, municipalités. Entre la droite, l’extrême droite et l’armée, le choix est des plus minces. Manuel Baldizon, du parti Lider, qui avait trébuché à la présidentielle de 2011, fait figure de favori. Contraint de ne plus faire campagne après avoir dépassé la limite des frais autorisés, il n’en aurait pas moins enjoint aux siens, lors d’une réunion à huis clos, de gaspiller jusqu’au « dernier centime pour gagner des votes », a rapporté il y a quelques jours Telesur. L’argent, encore et toujours.

A) Guatemala : le dictateur Rios Montt poursuivi, le président Peez Molina inquiété (Le Monde Diplomatique)

Efraà­n Rà­os Montt, ce nom ne dit rien aux Français surinformés par une pléthore de médias « libres et objectifs ». Entre 1982 et 1983 où ce général dirigea le Guatemala par suite d’un coup d’Etat appuyé par les USA, 200 000 Guatémaltèques (au moins) ont été assassinés. Constitution abrogée, tribunaux secrets, enlèvements, tortures, exécutions extra-judiciaires furent l’oeuvre de la junte militaire oeuvrant pour « la démocratie ». En décembre 1982, 440 villages furent entièrement rasés, 10 000 indiens abattus ou jetés vivants par hélicoptère dans l’océan Pacifique. Le 30 janvier 2013, un procès s’est ouvert contre Rios Montt, âgé de 85 ans.

Une première en Amérique latine : le 30 janvier s’est ouvert un procès pour « génocide et crimes contre l’humanité » à l’encontre de l’ancien dictateur guatémaltèque Efraà­n Rà­os Montt et de l’ex-responsable des renseignements militaires José Mauricio Rodrà­guez Sanchez.

Le général putschiste Rà­os Montt dirigeait le pays depuis un an lorsque, le 14 mars 1983, un reporter du New York Times rend compte de son séjour dans le pays : « Nous n’avons cessé d’entendre la même histoire : des soldats du gouvernement en uniforme arrivent dans un village, rassemblent les hommes et les femmes et les mitraillent. Mais, apparemment, ils ne gaspillent pas leurs balles à tirer sur des enfants. Ils les attrapent par les pieds et leur écrasent la tête contre un mur. Ou encore, ils leur nouent une corde autour du cou jusqu’à ce que mort s’ensuive par strangulation. Nous avons entendu parler d’enfants jetés en l’air puis passés à la baïonnette ». Pour se justifier, Rà­os Montt se contente de répondre : « Nous ne pratiquons pas une politique de la terre brûlée, mais une politique de communistes brûlés ».

Rà­os Montt est à son tour renversé en août 1983. Pourtant, son nom reste associé à la période la plus sanglante de la guerre civile guatémaltèque (près de quarante ans et environ deux cent mille morts et disparus), au cours de laquelle les militaires guatémaltèques reçurent l’aide active de la Central Intelligence Agency. Après tout, Washington n’avait-il pas décidé le renversement du président Jacobo Arbenz, élu en 1951, coupable d’avoir promulgué une réforme agraire ayant conduit à l’expropriation partielle de la compagnie bananière United Fruit ?

Trois ans après la signature des accords de paix de décembre 1996, la Fondation Rigoberta Menchú déposait une plainte pour « génocide, tortures et crimes contre l’humanité » contre Rà­os Montt, devant les tribunaux espagnols. Sans succès.

A l’époque, l’oligarchie terrienne « a tout intérêt à voir se perpétuer le chaos », écrivait Maurice Lemoine dans nos colonnes, en mai 1996. Sous l’effet d’une singulière réconciliation entre les acteurs du conflit " à l’exception de l’Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG) ", le Guatemala est devenu peu à peu « le pays où la droite est reine ». L’impunité s’est installée, tout comme la criminalité organisée : la violence a dépassé le niveau qu’elle avait atteint durant le conflit armé.

Après un premier frémissement en octobre 2012, l’ouverture du procès contre Rà­os Montt et Rodrà­guez Sanchez signe un premier succès pour les organisations de défense des droits humains et de lutte contre l’impunité dans le pays.

Le gouvernement du président Otto Pérez Molina, un ancien militaire, s’est refusé à tout commentaire. En 1982, Pérez Molina participait aux campagnes militaires menées dans la zone de l’Ixil, l’une des plus touchées par la répression selon la Commission d’éclaircissement historique (CEH) des Nations unies. « Deux documents, le plan de campagne militaire dit "plan Sofia" (1982) et le film Titular de hoy : Guatemala (1), montrent M. Pérez Molina agissant en tant que responsable d’unités militaires d’intervention dans les communautés de la région », rappelait Grégory Lassalle (« Guatemala, le pays où la droite est reine », La valise diplomatique, 28 octobre 2011), qui ajoutait :« Connu en temps de guerre sous le nom de "commandant Tito" et de "Capitán Fosforito" ("Capitaine Allumette" ) pour sa disposition à brûler les maisons dans les villages qu’il rasait, M. Pérez Molina nie : "Il n’y a pas eu de massacres. Quand j’étais là -bas, au contraire, les gens ont retrouvé le moral. Ma présence a changé la situation de la guerre en Ixil." »

La justice le conduira-t-elle à réviser son souvenir ?

Le Monde Diplomatique,

mercredi 6 février 2013.

(1) Le « plan Sofia » est un document de campagnes militaires daté d’août 1982, rendu public récemment. « Titular de hoy : Guatemala » a pour sa part été tourné par le journaliste Mikael Wahlforss en 1982.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message