La Sécurité sociale a 70 ans. Un acquis historique en péril (NPA)

samedi 24 octobre 2015.
 

Le vrai défi, celui auquel doit se confronter le mouvement ouvrier, c’est la défense de la Sécu, sa reconquête, son développement. En clair, la mobilisation contre ce gouvernement et tous les fossoyeurs de la Sécu.

Les commémorations officielles des 70 ans de la sécu ont débuté en mai. La ministre de la Santé Marysol Touraine a rendu hommage à « ce trésor national », tout en prétendant « adapter la sécurité sociale aux défis du 21e siècle ». Sans aucun doute la poursuite de sa politique d’adaptation et de soumission aux desiderata du patronat.

Les ordonnances de création de la Sécurité sociale ont été promulguées en octobre 1945. Chômeur ou PDG, chacun a pu se soigner et accéder à l’hôpital public. Les familles ont bénéficié des allocations familiales, et les travailleurs de leur retraites. Les fondateurs de la Sécu voulaient « libérer la classe ouvrière de la peur du lendemain ». L’objectif a été atteint et l’insécurité sociale a beaucoup reculé durant une trentaine d’années.

Au cœur de l’affrontement capital travail

Le patronat n’a jamais accepté une institution qui ponctionne ses profits, jamais accepté que « chacun cotise selon ses moyens et perçoive selon ses besoins », un principe qui préfigure partiellement un mode de répartition des richesses non capitaliste. Dès les années 50, il a publié de multiples rapports attaquant la Sécu. De 1953 (première tentative de réforme des retraites) à aujourd’hui (loi Touraine), les gouvernements de droite et de gauche se sont fait les relais du CNPF, puis du Medef.

Le droit à la santé a été rogné, les retraites réduites. De la grève générale des fonctionnaires en 1953 aux luttes des années 2000 pour les retraites, les contre-réformes se sont à chaque fois heurtées aux mobilisations des salariéEs scandant « la Sécu, elle est à nous, on s’est battu pour la gagner on se battra pour la garder », manifestant ainsi leur fort attachement à cette institution. Et si la Sécu existe toujours, c’est uniquement grâce à ces résistances.

Des principes fondamentaux pertinents

La Sécu s’est construite en 1945 sur des principes qui ont gardé toute leur valeur. Combattus par le patronat, plusieurs n’ont jamais été appliqués, d’autres abandonnés au cours des années.

L’universalité

« le but à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité » (Ordonnance du 4 octobre 1945). Les salariéEs sont protégés dès 1945 contre des risques sociaux (des événements nécessitant une prise en charge collective) : maladies, maternité, invalidité, décès, accidents de travail et maladies professionnelles, famille... L’ordonnance prévoyait même d’étendre la Sécu à « des risques ou prestations non prévus par les textes en vigueur ». Mais les gouvernements craignant des institutions autonomes et trop puissantes, l’UNEDIC (la caisse contre le risque chômage créée en 1958) et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNASA) ne seront pas intégrées à la Sécu.

La Couverture maladie universelle (CMU) et l’Aide médicale d’État (AME) créés en 1999 ont été présentées comme achevant la construction d’une sécu universelle. Mais de fait, les pauvres sont traités à part des autres assuréEs sociaux. De plus, les sans-papierEs reçoivent un traitement différent, privés de certaines prestations, et devant prouver un séjour d’au moins trois mois pour prétendre aux remboursements. Les précaires qui ne peuvent pas franchir les barrières administratives sont nombreux à ne pas avoir de couverture sociale.

L’unicité

L’objectif d’une seule caisse interprofessionnelle et pour tous les assuréEs s’est heurté dès la création de la Sécu à l’opposition de plusieurs catégories. Les agriculteurs, les professions libérales, les commerçants et artisans ont refusé d’intégrer la sécu des salariéEs et ont créé les régimes agricoles et celui des professions indépendantes.

Les salariéEs sous statut qui bénéficiaient déjà de caisses professionnelles, ont craint le nivellement des prestations par le bas et ont ainsi obtenu le maintien des « régimes spéciaux » (SNCF, RATP, EDF...) avec l’appui de leurs fédérations professionnelles CGT, cela en opposition à la confédération qui défendait l’intégration de tous les salariéEs dans le même régime, avec un système complémentaire pour garantir les droits supérieurs du moment.

Le faible montant des pensions, le plafonnement des retraites des cadres expliquent la création de l’Agirc (Association générale des institutions de retraite des cadres) et de l’Arrco (Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés). La stratégie du patronat sera de contourner la sécu. Il refusera l’augmentation des cotisations vieillesse du régime général jusqu’aux années 70. Le montant des retraites du régime général sera maintenu à un taux très faible et le nombre d’affiliéEs aux régimes complémentaires va connaître une forte extension (500 000 en 1957, 5 millions à la fin des années 60). L’insuffisance des remboursements permettra aussi le développement des complémentaires santé, mutuelles et assurances.

Sous la pression du MRP (Parti « démocrate chrétien ») et de la CFTC, la branche spécifique « allocations familiales », d’abord provisoire, sera pérennisée par une loi de 1949. L’éclatement de l’institution sera imposé en 1967 par une ordonnance gaulliste qui affaibli la sécu en la divisant en branches (maladie et accidents de travail, retraites, famille et recouvrement.) avec des budgets séparés, répondant ainsi à une exigence du patronat.

L’uniformité

Contrairement aux assurances où les primes varient selon le contrat et la couverture choisie, la sécu garantit le même niveau de contribution à chacun – des cotisations en pourcentage du salaire – et des prestations identiques – même remboursements et allocations, règles de calcul des pensions identiques.

Mais la multiplications des attaques depuis une quarantaine d’année – déremboursements de médicaments, forfaits et franchises, non prise en charge de certains frais dans leur totalité, dépassements d’honoraires – détruit ce principe de base. Un tiers de la population doit renoncer à des soins (optiques, dentaires, etc.).

L’autonomie et la gestion ouvrière

La Sécu devait être indépendante : de l’État et du patronat. Elle devait gérer elle-même son budget, constitué en 1945 quasi exclusivement par les cotisations sociales. Ce principe connaît de sérieuses limites, car dès l’origine, le gouvernement et le Parlement décident du financement et des prestations.

La gestion des caisses devait être confiée aux représentants élus des assurés sociaux. La CGT est majoritaire, mais le patronat obtient 25 % des postes dans les conseils d’administration et gère de nombreuses caisses avec la CFTC. En 1967, les ordonnances gaullistes instaurent le paritarisme (c’est-à-dire la parité entre les représentants du patronat et les représentants syndicaux désignés par leurs organisations) et mettent fin à l’élection des administrateurs. La sécu sera ainsi cogérée par l’État et le patronat allié à FO, puis à la CFDT. La tutelle de l’État sur les caisses sera à plusieurs reprises renforcée.

Aujourd’hui, il n’y a plus de conseil d’administration des caisses primaires mais de simples conseils, le gouvernement contrôle tous les actes des caisses et peut refuser leur budget. Le projet de loi Touraine va encore plus loin en voulant « renforcer l’alignement stratégique entre l’État et l’Assurance maladie ».

Le financement socialisé

En 1945, les ressources de la Sécu provenaient en quasi totalité des cotisations sociales proportionnelles au salaire. Cette part du salaire, le salaire socialisé, est versée dans un pot commun (à l’URSSAF) et immédiatement redistribuée par les caisses sous forme de prestations pour satisfaire des besoins sociaux.

Mais dès 45, le système de soins est dominé par l’économie de marché, la médecine reste exercée par des médecins libéraux payés à l’acte, une partie du secteur hospitalier reste privée, l’industrie pharmaceutique est maintenue aux mains des trusts privés... cela alors que les banques, Renault, etc. sont nationalisés. Cette cohabitation entre un financement socialisé et la médecine privée est une des contradictions qui va miner l’institution. La division artificielle entre la part dite salariale des cotisations et la part dite patronale est une autre contradiction qui sert de justification aux patrons pour s’immiscer dans la gestion des caisses. Travail de sape au profit du privé

Toute une série de mesures depuis une vingtaine d’années favorisent une privatisation rampante de la branche maladie de la Sécu.

L’augmentation des « restes à charge »

Depuis 1947, la presse évoque le « trou abyssal » de la Sécu et des dépenses excessives de santé. En réalité, la Sécu souffre d’un manque de recettes en raison de la faible croissance des salaires, du chômage, et des politiques gouvernementales (exonérations, baisse de cotisations dites patronales...). Sous prétexte du pseudo-déficit, on ne compte plus depuis la seconde moitié des années 70 le nombre de plans qui ont réduit les taux de remboursements et augmenté la part dite salariale des cotisations sociales (qui ampute le salaire net, à la différence de l’augmentation de la part patronale).

La sécurité sociale rembourse les ¾ de la consommation des soins et biens médicaux (CSBM), c’est-à-dire l’ensemble des soins (hospitaliers et ambulatoires), mais les soins courants (pratiqués par des généralistes ou spécialistes : pharmacie, infirmierEs libérales, kinés…) ne sont plus remboursés qu’à 55 % en moyenne. Le ministère reconnaît que la sécurité sociale « concentre son intervention en faveur du gros risque ». Cela montre clairement son objectif à court ou moyen terme : se débarrasser des « petits risques », les plus rentables pour les assurances...

Et en effet, les déremboursements des médicaments ou leur remboursement dérisoire (ceux à 15 % vont être déremboursés), le forfait sur les séjours hospitaliers, les forfaits sur les actes médicaux, les franchises médicales, le remboursement très faible de l’optique et de certains frais dentaires, la pénalisation des assuréEs qui ne respectent pas le parcours de soins, les dépassement d’honoraires, ont deux conséquences : le non recours à des soins pour 30 % de la population (un coût pour la sécu, car le recours tardif à l’hôpital avec des pathologies aggravées peut coûter cher) et l’obligation d’avoir recours à des complémentaires santé pour ceux qui le peuvent, ce qui réduit le périmètre de la sécu.

La fiscalisation

Le patronat a constamment mené la bataille pour la baisse et la suppression des cotisations sociales. La baisse du salaire direct est immédiatement visible avec la baisse du pouvoir d’achat. Par contre, la réduction du salaire socialisé, accompagné de la perpétuelle campagne sur la lourdeur des « charges sociales » n’apparaît pas directement comme une attaque frontale pour la population, les conséquences sur le pouvoir d’achat – augmentation d’impôts, des tarifs des complémentaires – étant ­différées dans le temps.

Michel Rocard a engagé la fiscalisation en créant la CSG en 1990. Cet impôt qui a remplacé la cotisation a constamment augmenté sous les gouvernements de gauche et de droite (de 1,1 % en 1990 à 7,5 % sur les revenus d’activité).

Les exonérations de la part patronale des cotisations sociales depuis le début des années 90, ont considérablement augmenté en 20 ans, pour atteindre 30,8 milliards en 2008. Elles ont diminué (25,7 milliards en 2013) avec la suppression des exonérations sur les heures supplémentaires, mais vont ensuite connaître une nouvelle progression avec les mesures du pacte de responsabilité en vigueur depuis le 1er janvier 2015 : baisse du taux de cotisation des allocations familiales (elles sont uniquement « patronales ») de 1,8 point jusqu’à 1,6 SMIC et suppression pour tous les salaires au SMIC de l’ensemble des cotisations « patronales » pour la sécu, la caisse d’autonomie et le fond d’aide au logement. Ces dispositions s’ajoutent au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi-CICE : 20 milliards).

Le basculement du mode de financement

La branche maladie n’est plus majoritairement financée par les cotisations sociales. Le pacte de responsabilité va accélérer ce processus qui s’étendra aux branches famille et vieillesse. L’étatisation de la Sécu franchit un nouveau pas.

Depuis le plan Juppé (1995), les recettes et les dépenses ne sont plus déterminés par les besoins mais elles sont fixées à l’avance par une loi annuelle de financement de la sécurité sociale (LFSS), votée chaque année au Parlement. Un dispositif d’alerte doit s’enclencher afin que des mesures d’économie soient prises si l’équilibre financier n’est pas atteint. La logique financière prime au détriment des besoins.

Les complémentaires obligatoires

L’accord national interprofessionnel (ANI) rend obligatoire à compter du 1er janvier 2016 l’adhésion à une assurance complémentaire santé pour tous les salariéEs et leurs ayants-droits. Le gouvernement a fait ce choix plutôt que d’étendre le remboursement de la Sécu à 100 %. Les cotisations et couvertures seront variables d’une entreprise à l’autre, et pourront être limitées à un panier de soins. Les cotisations seront prises en charge à 50 % par les employeurs qui bénéficient d’une exonération de ces cotisations sociales en plus de la déduction de l’impôt sur les sociétés, alors que la déduction pour les salariéEs a été supprimée. Hollande a annoncé en juin que ce dispositif serait étendu aux retraitéEs d’ici 2017.

Les réseaux de soins

Après les assurances, les mutuelles ont la possibilité depuis 2013 de créer des réseaux de soins. Leurs adhérentEs sont mieux remboursés lorsqu’ils consultent un professionnel rattaché au réseau à partir du moment où la Sécurité sociale prend en charge moins de 50 % du remboursement. C’est donc réservé aux opticiens, dentistes et audioprothésistes... pour le moment. Mais les remboursements des soins courants n’ont cessé de baisser pour atteindre 55 %...

La montée des assurances privées

Les assurances se concentrent et proposent des offres alléchantes, parfois moins chères que les mutuelles. Les mutuelles s’adaptent en renonçant à leur principes pour proposer « une gamme d’offre de contrats ». Des mutuelles se démutualisent ou fusionnent avec des assurances. Des groupes de protection sociale comme Malakoff-Méderic rassemblent dans une même entité des institutions de retraites complémentaires, de prévoyance, des mutuelles, des sociétés d’assurance. Les mutuelles, au nombre de 5 780 en 1995, sont aujourd’hui moins de 500. Elles ne seront plus qu’une centaine en 2018 (Étude du cabinet SIA Partners, les Échos du 25 septembre 2014). De la privatisation rampante à la fin du monopole ?

Directives européennes, négociations du traité de libre échange USA-UE, l’exemple grec montre la brutalité avec laquelle ces institutions peuvent agir.

La commission européenne pour la libre concurrence

La gestion des services publics de l’Union européenne a été définie dans le traité de 2007 : « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général (SIEG) sont soumises aux règles de concurrence ». Le régime des SIEG est flou et est soumis à l’interprétation de la Cour de justice européenne. Jusqu’à présent, les multiples recours des libéraux qui veulent abroger le monopole de la Sécu ont été rejetés par la Cour qui rappelle que « les États membres ont la faculté de définir les principes fondamentaux du système de sécurité sociale ».

Mais la jurisprudence est évolutive et la commission à l’offensive. En 2011, elle a proposé, sans succès, un texte réformant les services publics en Europe qui propose en catimini dans une annexe que la sécurité sociale obligatoire fasse annuellement l’objet d’un « avis de marché » au terme duquel les pouvoirs publics choisiraient le meilleur des candidats parmi les opérateurs qui auraient postulé dans le cadre du « marché de la Sécu ». Des propositions de directives sur les contrats de concession et sur la passation des marchés publics voulaient assurer aux opérateurs économiques la pleine jouissance des libertés fondamentales dans la concurrence pour les marchés publics, en particulier dans les services sociaux, dont les services de sécurité sociale.

Le Tafta pour ouvrir le marché des services publics

Après l’échec de l’Accord multilatéral d’investissement (AMI), le traité commercial transatlantique discuté actuellement dans la plus grande opacité entre les États-Unis et l’Union européenne a pour objet de créer une énorme zone d’échanges marchands, d’ouvrir tous les marchés sans exceptions, d’établir des tribunaux arbitraux privés pour régler les litiges. La Sécurité sociale pourrait ainsi être jugée pour atteinte à la concurrence par un tribunal privé.

Dossier réalisé par la commission santé sécu social du NPA


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