Birmanie : Les persécutions des bouddhistes contre les Rohingya "s’apparentent à la définition d’un génocide"

vendredi 13 novembre 2015.
 

A l’approche des résultats officiels de l’élection en Birmanie organisée dimanche 8 novembre, le parti de l’opposante Aung San Suu Kyi est déjà assuré de remporter largement la majorité des sièges au Parlement. Si ces résultats marquent une première pour un pays dominé par une junte militaire pendant près d’un quart de siècle, ils tendent à reléguer à l’arrière-plan la situation des Rohingya persécutés dans le pays. Ils sont ainsi plus de 800 000 membres de cette minorité musulmane de Birmanie à n’avoir pu voter, puisqu’ils sont privés de papiers d’identité.

D’où viennent les Rohingya ?

Entre 800 000 et 1,3 million de Rohingya vivent actuellement dans l’Etat de l’Arakan, à l’ouest de la Birmanie. Un pays dont 80 à 90 % des 51 millions d’habitants sont bouddhistes. Comme le rappelle Le Monde diplomatique, certains historiens considèrent que les Rohingya descendent de commerçants et de soldats arabes, mongols, turcs ou bengalis convertis à l’islam au XVe siècle.

Dans le pays, l’origine même du nom de Rohingya est controversée. Les historiens birmans soutiennent que personne n’en avait entendu parler avant les années 1950. Ceux-ci renforcent la position du gouvernement qui estime que les Rohingya sont arrivés au moment de la colonisation britannique à la fin du XIXe siècle et qu’ils sont donc des immigrés illégaux du Bangladesh voisin.

Apatrides depuis 1982

Une loi de 1982 instaurée par la dictature militaire a rendu les Rohingya apatrides. Ils n’ont pas été reconnus comme faisant partie des 135 ethnies répertoriées en Birmanie. Le gouvernement birman ne reconnaît en effet que les « races nationales », celles présentes dans le pays avant l’arrivée des colons britanniques en 1823.

Sous pression des pays occidentaux et de l’ONU, le gouvernement birman a accepté avec réticence, fin 2014, le principe d’un « plan d’action » consistant à laisser la possibilité à ces résidents sans citoyenneté de demander leur régularisation. Les Rohingya voulant faire cette démarche sont cependant contraints de se déclarer comme « Bengalis » auprès de l’administration et donc de reconnaître être des immigrés illégaux.

En mars, le gouvernement a révoqué les cartes d’identité temporaires accordées jusqu’alors à des centaines de milliers de membres de la minorité musulmane, les privant du droit de vote pour les élections législatives du 8 novembre.

Selon un rapport de la Commission européenne, « il existe des tensions de longue date » entre les Rohingya et « la communauté bouddhiste de l’Arakan concernant le partage des terres et des ressources ». Le document met en avant de nombreuses restrictions auxquelles les minorités musulmanes doivent se plier : « Ils ne peuvent pas voyager sans autorisation, ni travailler en dehors de leurs villages, ni même se marier sans l’autorisation préalable des autorités, et n’ont pas accès en suffisance à la nourriture, aux soins de santé et à l’éducation. » Des lois votées cette année au Parlement obligent en effet les futurs époux pratiquant un culte différent à demander l’autorisation des pouvoirs locaux avant les noces.

En 2012, des violences intercommunautaires avaient éclaté dans l’Etat d’Arakan, faisant plus de 200 morts, principalement chez les musulmans. Des milliers d’entre eux avaient dû quitter leur domicile. Plus de 140 000 personnes ont été déplacées et vivent toujours dans des camps. Des milliers tentent chaque année de fuir la misère et les persécutions.

L’ONG Human Rights Watch accuse les autorités birmanes, des membres de groupes arakanais et des moines bouddhistes d’avoir commis des crimes contre l’humanité en menant « des attaques coordonnées contre des quartiers et des villages musulmans en octobre 2012, afin de terroriser la population et de la déplacer de force ». L’organisation estime que les autorités birmanes ont participé à la destruction de mosquées, lancé des vagues d’arrestations accompagnées de violences et bloqué l’accès des organismes d’aide humanitaire aux personnes déplacées.

Fin octobre, un rapport publié par l’université Yale a jugé qu’il existait de « solides preuves » pour dire qu’un génocide est en cours contre les Rohingya. Les étudiants en droit ayant mené une enquête juridique établissent une liste des violences subies par la minorité musulmane : viols, meurtres, restrictions imposées sur les naissances et instauration de conditions ayant pour conséquence de détruire le groupe (vie dans des camps, privation de nourriture, de soins…). Le rapport estime que tous ces actes s’apparentent à la définition d’un génocide.

Les Rohingya se sont enfuis en masse au Bangladesh à plusieurs reprises pour fuir la répression de la junte birmane alors au pouvoir – notamment en 1978 et en 1991-1992. Plusieurs centaines de milliers de Rohingya vivent encore aujourd’hui dans les camps de réfugiés au Bangladesh, dans la misère absolue.

Aujourd’hui, cette minorité musulmane fuit encore massivement le pays par la mer pour rejoindre la Malaisie, formant le plus grand exode de la région depuis la fin de la guerre du Vietnam. En mai, des centaines de Rohingya fuyant sur des bateaux de fortune s’étaient retrouvés piégés dans le golfe du Bengale après une désorganisation des filières de passeurs clandestins passant par la Thaïlande.

Les élections vont-elles améliorer leur situation ?

Selon l’ONU, il existe un risque que ces élections aient marginalisé encore davantage les minorités religieuses :

« Au cours des derniers mois, les Rohingya ont été privés de leur droit de vote ; leur liberté d’association a été réduite, ce qui les empêche de former ou de joindre des partis politiques ; et leurs représentants ne sont plus autorisés à se présenter pour des sièges au Parlement. »

La question des Rohingya est d’ailleurs restée taboue durant la campagne électorale ces derniers mois. Peu de candidats se sont clairement engagés en faveur de la minorité musulmane, afin d’éviter de froisser les bouddhistes nationalistes, très puissants dans le pays. Quelques jours avant les élections, le populaire moine bouddhiste extrémiste U Wirathu et son mouvement radical Ma Ba Tha (Association pour la défense de la race et de la religion) tenaient encore des discours alarmistes sur une supposée invasion du pays par les musulmans.

Celle dont le parti devrait sortir largement gagnant des élections, l’opposante Aung San Suu Kyi, a été critiquée pour son silence sur la situation des Rohingya, silence motivé par une volonté de ne pas froisser son électorat majoritairement bouddhiste. En juin, son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), avait cependant déclaré vouloir « régler la question de la citoyenneté » des Rohingyas apatride.

Romain Geoffroy Journaliste au Monde


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