Myanmar : Percée révolutionnaire ou cauchemar sans fin ?

mardi 7 janvier 2025.
 

Éclipsé par les guerres en Ukraine et au Proche-Orient, un conflit d’une brutalité sans précédent s’intensifie en Asie du Sud-Est. Depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, la résistance s’organise contre la junte. État des lieux.

Ce qui a commencé en février 2021 comme un mouvement spontané de protestations pacifiques et civiles de masse s’est transformé en un mouvement de résistance révolutionnaire hétérogène. Le rôle dirigeant joué pendant de nombreuses années par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Su Kyi, figure emblématique et ambivalente assignée à résidence depuis le coup d’État, appartient largement à l’histoire. Elle a été remplacée par un réseau lâche et pluraliste de partis politiques, groupes armés, syndicats et comités de grève.

Les « anciennes » organisations ethniques révolutionnaires (EROs) et les Forces de défense populaire (PDFs), créées en réaction au coup d’État et qui agissent au niveau local, luttent contre la junte, qui est de plus en plus sur la défensive – et y répond par une violence de plus en plus brutale.

Au niveau institutionnel, ces acteurs sont organisés au sein du Gouvernement d’unité nationale (NUG). Le NUG travaille en étroite collaboration avec plusieurs ERO et PDF locaux. Des structures intérimaires se sont ainsi formées pour coordonner les actions militaires et l’administration locale.

Catastrophe humanitaire

En mars 2024, le représentant des Nations unies pour les droits de l’homme, Volker Türk, a qualifié la situation au Myanmar de « cauchemar sans fin ». La junte bafoue systématiquement les droits de l’homme et entend réprimer toute résistance par la terreur psychologique et une stratégie de la violence.

Après plus de 30 ans, la peine de mort a été réintroduite pour permettre l’exécution de prisonnier·es politiques. Le dernierPlan de réponse humanitaire des Nations unies

(3/2024) prévoit qu’en 2024, 18,6 millions de personnes auront besoin d’une aide humanitaire, dont plus de six millions d’enfants. Cette situation désastreuse a été aggravée en mai 2023 par le cyclone Mocha et en septembre 2024 par le typhon Yagi, qui a provoqué des inondations dévastatrices.

Situation désastreuse

Le Myanmar est l’un des pays les plus pauvres du monde, malgré une phase d’expansion durant l’« ouverture démocratique contrôlée » de 2012 à 2021. Selon les prévisions de la Banque mondiale, la performance économique en 2024 sera inférieure d’environ 10% à celle de 2019 et l’inflation en 2023 s’élevait à près de 30%. Selon le Programme des Nations unies pour le développement, 76% de la population vit désormais sous ou à la limite du seuil de pauvreté.

Le conflit armé a interrompu les routes commerciales frontalières avec l’Inde, la Chine et la Thaïlande. D’importantes voies de communication sont bloquées, ce qui entraîne des pénuries de produits alimentaires de base sur les marchés locaux.

Des femmes et des personnes LGBTIQA+ s’engagent dans des activités civiles clandestines, en tant que combattant·es dans les groupes armés ou dans l’assistance médicale et sociale, souvent dans des fonctions dirigeantes. La junte réagit par une terreur systématique, des arrestations, des tortures et des violences sexuelles.

Quelques jours après le coup d’État, l’Organisation internationale du travail (OIT) a signalé des perquisitions chez des syndicalistes. Nombre d’entre elleeux se sont exilé·es ou sont entré·es dans la clandestinité.

Le 2 mars 2021, 16 syndicats ont été déclarés « organisations illégales ». En avril 2021, la représentante principale du syndicat des femmes STUM, Daw Myo Aye, a été arrêtée. Un mandat d’arrêt a été émis contre plus de 20 présidents de syndicats, rapporte Khaing Zar Aung, présidente de la Fédération des syndicats de l’industrie du Myanmar (actuellement en exil en Allemagne).

Les Nations unies, les États-Unis, la Russie…

En 2021, l’Assemblée générale des Nations unies a condamné le coup d’État militaire au Myanmar et a appelé à bloquer les livraisons d’armes à la junte. Les pays occidentaux ont réagi au coup d’État par des sanctions ciblées contre les membres de l’armée et ses organisations.

L’administration étasunienne joue un rôle de plus en plus actif dans la région – avec pour objectif premier de contenir l’influence de la Chine et de la Russie. Le gouvernement Biden tente de proposer bilatéralement une alternative à l’initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie (Belt and Road), de garantir la « liberté de navigation dans l’Indo-Pacifique » et de rendre les relations commerciales entre les États d’Asie et les États-Unis « libres, équitables et réciproques ». Cette stratégie de l’administration étasunienne, axée sur la limitation de l’influence chinoise, devrait prolonger l’instabilité persistante au Myanmar.

La Russie est actuellement le principal soutien de la junte militaire et la protège au sein des instances internationales. Le Myanmar et la Russie coopèrent dans le domaine de l’énergie nucléaire et prévoient la construction d’un réacteur au Myanmar. En contrepartie, la junte soutient la guerre de la Russie en Ukraine, non seulement sur le plan diplomatique, mais aussi par des livraisons d’armes.

L’éléphant dans la pièce

La Chine, « l’éléphant dans la pièce », a traditionnellement misé sur l’armée du régime, mais systématise de plus en plus ses contacts avec d’autres acteurs. Ainsi, selon différents rapports, l’« opération 1027 » de l’Alliance des Trois Frères, lancée le 23 octobre 2023, a été tacitement tolérée, voire soutenue.

Les intérêts stratégiques de la Chine au Myanmar sont massifs – du pillage des ressources au transfert de pétrole et de gaz, en passant par le développement du port en eau profonde de Kyaukpyu, élément central de la Nouvelle route de la soie maritime (accès à l’océan Indien ; route commerciale alternative au détroit de Malacca en cas de conflit avec Taiwan).

Les dirigeants de Pékin doutent de plus en plus de la capacité et de la volonté de la junte à être un partenaire fiable pour garantir ces projets et endiguer le crime organisé dans la zone frontalière. Un changement de stratégie modifierait radicalement et probablement de manière décisive les rapports de force au Myanmar.

Les Rohingyas dans la ligne de mire

La loi sur la citoyenneté de 1982 désigne 135 « populations indigènes » du Myanmar.

Les Rohingyas musulman·es (appelé·es de façon raciste « Bengali ») sont officiellement apatrides. Les Nations unies les classent comme la minorité la plus persécutée au monde. Durant l’été 2017, plus d’un million de Rohingyas ont été chassés du Myanmar. Ils ont fui les pogroms, les viols collectifs, la torture et les meurtres, souvent initiés ou soutenus par des fanatiques bouddhistes.

Leur fuite les a principalement conduits à Cox Bazar au Bangladesh, considéré comme le plus grand camp de réfugié·es au monde avec environ 1,35 million de personnes. Human Rights Watch estime que 600000 autres Rohingyas sont restés au Myanmar et sont « détenus par la junte dans un système d’apartheid ».

L’une des tâches les plus urgentes et les plus difficiles du mouvement démocratique est de surmonter le racisme profondément ancré, surtout de la part de la population majoritaire (bouddhiste – environ 70% d’une population totale de 55 millions), à l’encontre de ce groupe ethnique. L’intervention récente du président en exercice du NUG, Duwa Lashi La, qui s’est prononcé en faveur de la reconnaissance des Rohingyas en tant que citoyen·nes, est porteuse d’espoir.

Crime organisé

Les écosystèmes du Myanmar comptent parmi les plus intacts du monde. Le danger est d’autant plus dramatique que, comme le décrivent des expert·es lors de la COP28, « De plus en plus isolée de l’économie mondiale et à court d’argent, la junte militaire a accéléré l’exploitation des ressources naturelles du Myanmar, notamment le bois, le jade et des terres rares, pour financer ses violations des droits de l’homme. L’extraction croissante des ressources, souvent non réglementée et facilitée par l’armée ou d’autres groupes armés, dégrade l’environnement, pollue les sources d’eau, ravage les forêts et exacerbe les risques liés au changement climatique ».

Le Myanmar occupe actuellement la première place mondiale du Global Organized Crime Index. L’un des principaux moteurs de la criminalité est le trafic de drogue. En 2023, le Myanmar a détrôné l’Afghanistan en tant que plus grand producteur d’opium. À cela s’ajoute une vaste industrie de trafic d’êtres humains et de fraude sur internet, gérée par des syndicats du crime et des triades (chinoises). « Ce qui n’était au départ qu’une menace criminelle régionale s’est transformée en une crise mondiale de la traite d’êtres humains. », a déclaré Jürgen Stock, secrétaire général d’Interpol.

Perspectives et solidarité

Le sommet des pays de l’ASEAN qui s’est tenu début octobre a appelé les différentes parties au conflit à entamer des négociations de paix impliquant la junte militaire.

German Solidarity Myanmar (GSM) considère que cet appel comme vain et en méconnaissance totale de la situation au Myanmar : « Les peuples du Myanmar souffrent depuis sept décennies sous la domination des militaires. On ne peut pas leur demander de s’asseoir à une table de négociations avec des assassins et des criminels de guerre alors que ceux-ci ont encore les armes à la main. Un avenir fédéraliste et démocratique pour le Myanmar n’est possible que libéré de la junte », a déclaré Nyein Chan May, directrice générale de GSM.

Le Dr Sasa, ministre de la coopération internationale du Gouvernement d’unité nationale, partage également ce point de vue. La situation actuelle au Myanmar présente de plus en plus les caractéristiques d’un double pouvoir (Le Parlement européen, par exemple, reconnaît le NUG comme gouvernement légitime du Myanmar, ndlr).

La lutte civile et armée contre la junte a été menée au cours des années qui ont suivi le coup d’État – en particulier par la jeune génération – avec une résilience, une imagination et une détermination admirables. Elle mérite notre solidarité et notre soutien inconditionnels !

Wolfgang Kremer


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