Chez les enfants aussi, les inégalités explosent

dimanche 15 mai 2016.
 

Dans son 13e rapport consacré au bien-être des enfants des pays riches, l’Unicef constate une fracture de plus en plus béante entre les plus démunis et les autres. Un domaine dans lequel la France affiche des résultats particulièrement inquiétants (28è sur 35).

« Plus d’égalité pour les enfants »  : le titre du 13e rapport annuel de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation et l’enfance, rendu public cet après-midi à Paris, sonne comme un signal d’alarme. L’étude passe la situation de l’enfance dans 35 pays riches au crible de quatre critères  : revenus, éducation, santé, bien-être. Le bilan de l’accroissement des inégalités dans tous ces domaines, depuis la crise de 2008, est accablant. Véritable acte d’accusation des effets dévastateurs de l’austérité imposée depuis 2008, en particulier en Europe, le rapport épingle une dégradation encore plus flagrante dans ces différents domaines dans un pays comme la France. Un constat « préoccupant et troublant » pour Sébastien Lyon, directeur général d’Unicef France. Pour l’organisation internationale, réduire les inégalités de bien-être entre les enfants bénéficie à tous, et pas seulement aux plus démunis. Un vrai indicateur et enjeu de civilisation.

« Dans les pays riches, les 10 % d’enfants les plus pauvres sont de plus en plus laissés pour compte. » Tel est le résumé du rapport accablant que l’Unicef doit rendre public, cet après-midi, à la Bibliothèque nationale de France, à Paris, lors d’une conférence dont l’intitulé sonne comme une alerte mondiale  : « Plus d’égalité pour les enfants ». Cette treizième édition du Bilan Innocenti, du nom du centre de recherches de l’agence onusienne, basé à Florence (Italie), révèle des « inégalités accrues » entre enfants dans les pays dits « économiquement avancés », en l’occurrence ceux de l’Union européenne et de l’OCDE. Un constat particulièrement vrai pour la France, qui peine, c’est le moins que l’on puisse dire, à tirer son épingle du jeu. Situé dans le ventre mou des 35 pays étudiés en 2010, l’Hexagone a encore chuté cette année à une peu glorieuse 28e place. Effet retard de la crise et de politiques budgétaires marquées par l’austérité  ? Conséquences d’une action publique qui ne cible pas assez les enfants les plus défavorisés  ? Si les causes peuvent prêter à débat, le résultat est là  : la France maltraite ceux qu’elle devrait protéger le plus.

« Le débat public autour des questions d’inégalités a souvent tendance à se focaliser sur le cas des 1 % les plus riches, dont les revenus continuent d’augmenter plus vite que les autres, relève Sébastien Lyon, directeur général d’Unicef France. C’est certes un vrai problème, en quelque sorte la partie émergée de l’iceberg. Mais nous voulons attirer l’attention sur quelque chose de plus massif encore  : le décrochage qui touche les enfants des familles les plus démunies, y compris par rapport aux enfants situés dans la médiane nationale. » Dans le rapport, quatre domaines ont été étudiés de plus près  : les revenus, l’éducation, la santé et la « satisfaction dans la vie ». La France ne décroche la moyenne que dans le premier d’entre eux (elle est 13e sur 41 pays), grâce à « l’impact des politiques de transferts sociaux », note l’Unicef. Sans celles-ci, les écarts de revenus observés entre les familles pauvres et celles dans la médiane auraient été de 36 % supérieurs. Reste que la tendance n’est pas bonne  : « Entre 2008 et 2013, le revenu des enfants du décile le plus bas a augmenté plus lentement que celui des enfants dans la médiane », pointe le rapport. En clair, les inégalités se creusent.

Les fractures semblent de plus en plus profondes

Et dans les trois autres domaines, c’est pire  ! Avec une mention spéciale à l’éducation, au sein de laquelle les fractures semblent de plus en plus profondes. Fondés sur les enquêtes Pisa qui mesurent, tous les trois ans, les performances scolaires des adolescents en maths, en lecture et en sciences, les données du rapport Innocenti ne sont pas tendres avec notre système scolaire. « Entre 2003 et 2012, date des dernières statistiques disponibles, la performance des élèves n’a pas chuté de façon catastrophique, relève d’abord Céline Hein, chargée du plaidoyer à l’Unicef et spécialiste des questions éducatives. En revanche, l’écart s’est creusé de façon très importante et inquiétante entre les élèves les plus en difficulté et ceux dans la moyenne. Pour être clair, on peut dire que notre élite scolaire s’en sort toujours bien, mais que ceux d’en bas chutent encore plus » (1). D’où cette honteuse 35e place sur 37 de la France dans le classement des écarts de performance scolaire.

Dans le domaine de la santé, la position est à peine plus honorable (23e sur 35). À noter que les chiffres se fondent là sur une compilation de huit symptômes (douleurs à la tête, au ventre, au dos, difficultés à dormir, vertiges, stress…) déclarés par les enfants eux-mêmes. Or, plus de 30 % des enfants de 11, 13 et 15 ans signalent être « touchés quotidiennement par un ou plusieurs » de ces problèmes. « Seules la Roumanie et la Turquie ont un pourcentage plus élevé d’enfants signalant des troubles de santé », note le rapport, qui relève aussi « une augmentation de l’inégalité concernant la qualité de l’alimentation ». Prévue dans la loi votée le 1er mars dernier, la mise en place d’un médecin référent dédié à la protection de l’enfance dans chaque département pourrait ne pas s’avérer inutile…

Beaucoup accèdent certes à l’école, mais pas aux savoirs

« Ce rapport témoigne d’une fracture, d’un recroquevillement de la société française qui est directement préjudiciable aux enfants les plus démunis », analyse Jean-Pierre Rosenczveig, président du Bureau international des droits de l’enfant. « Beaucoup accèdent certes à l’école, mais pas aux savoirs, faute de pouvoir maîtriser les codes de l’éducation nationale. De même, beaucoup de familles précaires ne sont pas prises en charge par les services sociaux, qui ne vont pas vers elles. Pourquoi ne pas installer une sorte de permanence de ces services, dans l’enceinte scolaire, une fois par semaine  ? » suggère l’ancien magistrat. Qui plaide aussi pour une « approche politique » de ce rapport. « Un constat pareil devrait susciter un grand débat à l’Assemblée nationale et au Sénat », juge-t-il. Même tonalité au Secours populaire (SPF). « La Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’ONU en 1989, est régulièrement bafouée, nous le constatons quotidiennement en France, comme dans les 50 pays où nous intervenons », regrette Julien Lauprêtre, le président du SPF, qui appelle à un « sursaut » sur le sujet.

Europe  : des tendances «  décevantes  »S’il note que réduire les inégalités de bien-être entre les enfants bénéficie à tous, et pas seulement aux plus démunis, le rapport de l’Unicef ne peut que constater des « tendances globales décevantes », dans les quatre domaines étudiés (revenus, éducation, santé, satisfaction dans la vie). Sans surprise, l’accroissement des écarts de revenus a frappé durement l’Europe du Sud (Chypre, Espagne, Grèce, Italie, Portugal), conséquence directe de la crise économique. « Très peu de pays sont parvenus à réduire à la fois l’écart de réussite et le nombre d’élèves en difficulté en lecture », note l’Unicef, qui constate même une dégradation dans des pays hier cités en exemple comme la Finlande et la Suède. Quant aux inégalités de santé, elles se sont creusées dans 25 pays sur 35, avec des « hausses considérables » en Irlande, en Pologne, en Slovénie et à Malte.

Alexandre Fache, L’Humanité


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