Que faire à gauche ? Quelles sont les réponses face à la crise de la politique ?

dimanche 19 juin 2016.
 

- A) Les conséquences à venir d’un triple échec

- B) Une conception nouvelle 
de la démocratie

- C) Un retour au peuple pour transformer le monde

- D) La réarticulation du social et du politique (par Roger Martelli)

- E) La réforme au service de 
la transformation sociale

par Michel Laurent Animateur 
du LEM, mouvement 
des idées et des connaissances Serge Wolikow Président 
du conseil scientifique de la Fondation Gabriel-Péri Michel Laurent Animateur 
du LEM, mouvement 
des idées et des connaissances Roger Martelli Codirecteur 
du mensuel Regards et Frédéric Hocquard Membre du conseil national du PS

A) Les conséquences à venir d’un triple échec

par Pierre Blotin Ancien dirigeant 
du PCF

C’est l’ensemble des partis politiques, «  la classe politique  », la politique, qui sont en cause. Réel et justifié, le ras-le-bol des promesses non tenues, de l’incompétence et de la corruption d’une partie du personnel politique ne peut à lui seul expliquer ce rejet global des «  élites  » politiques. Au cours des dernières décennies la défiance à leur égard a grandi au rythme où s’aggravait une crise dévastatrice dont les gouvernants se montraient incapables de protéger les peuples. Après 2008, elle est devenue rejet. L’éclatement, en 2007-2008, d’une bulle financière (on en annonce d’autres…) a révélé l’échec du néolibéralisme qui s’était imposé à la fin du XXe siècle comme seule voie possible pour l’humanité, après le double échec du «  communisme  » soviétique et de la social-démocratie traditionnelle. Les élites politiques mondiales de l’époque ont accepté de confier au capitalisme financier le pilotage de la mondialisation. Les partis de gauche n’ont nulle part trouvé les ressources idéologiques ni les moyens politiques pour proposer aux peuples une alternative mobilisatrice. Trois échecs de cette nature et de cette ampleur en à peine cinquante ans, c’est considérable  ! Ils discréditent aux yeux de centaines de millions d’êtres humains sur tous les continents les trois options autour desquelles se sont structurés les affrontements idéologiques, économiques, politiques, et souvent militaires, qui ont fait la vie des nations et du monde pendant la majeure partie du siècle dernier. Il est trop tôt pour que l’on puisse mesurer toutes les conséquences. Elles s’annoncent redoutables. Je pense aux soubresauts souvent dramatiques qui secouent le monde et ont à voir avec la colère et le désarroi des peuples à qui l’on a fait croire que c’est par la mise en conformité de leurs sociétés avec le modèle libéral plutôt qu’en cherchant à les développer sur leurs propres bases qu’ils accéderaient à la modernité. Elles peuvent aussi s’avérer prometteuses. On assiste sur tous les continents à un bouillonnement de mobilisations populaires souvent spectaculaires. Et aussi au foisonnement de «  petits  » mouvements ayant pour point de départ non pas la volonté d’appliquer des recettes tirées de grands projets, mais la recherche dans la vie réelle de solutions. Les acteurs de ces mouvements ne font pas que s’indigner ou se révolter, ils véhiculent des contenus politiques et revendiquent des pouvoirs nouveaux pour les salariés et les citoyens. Ils expriment souvent l’aspiration à voir se développer des formes nouvelles de mixité privé-public-coopératif dont on voit se dessiner des expérimentations menées avec la participation de salariés, d’élus des territoires, de dirigeants de PME et parfois de banques locales, qui demandent aux pouvoirs politiques de n’être plus spectateurs ou arbitres, mais partenaires engagés. Enfin, ces mouvements développent des pratiques politiques innovantes avec l’utilisation des réseaux multiples pour échanger et organiser. C’est la naissance de rapports nouveaux entre les individus et les collectifs, institutions, associations, syndicats et partis politiques compris. Cette crise n’est pas une catastrophe. Comme tout le monde, j’en vois des effets négatifs. Des potentialités existent aussi dans ce «  nouveau  » qui interpelle «  l’ancien  ».

B) Une conception nouvelle 
de la démocratie

par Serge Wolikow Président 
du conseil scientifique de la Fondation Gabriel-Péri

La gauche est en première ligne, elle ne peut pas s’exonérer d’une réflexion sur elle-même… Les forces politiques sont parties prenantes du devenir de la politique en France avec sa configuration particulière, inséparable d’une bipolarisation qui a pris à plusieurs époques la forme gauche/droite. Mais pour combien de temps  ? Que la distinction perde de son acuité aujourd’hui, c’est indéniable, mais le reconnaître ce n’est pas nécessairement s’en féliciter, bien au contraire. La gauche a contribué à façonner un paysage politique – des règles de droit, une partie de la politique sociale, etc., d’un côté, mais, de l’autre, elle s’est intégrée dans des institutions qui lui étaient étrangères qu’elle a finalement acceptées mais qui ont contribué à modifier les règles du jeu de la politisation (la présidentialisation et le déclin des assemblées élues). Ce processus de longue durée s’est télescopé avec les bouleversements sociaux et économiques liés aux évolutions de politique économiques  : l’affaiblissement du tissu industriel accepté, sinon théorisé par une partie de la gauche  ; la mise en question du secteur public de ses finalités, et finalement du rôle de l’État. Les contradictions entre les attentes, le discours électoral et les pratiques ont creusé scepticisme et défiance, mais aussi perte de repères dans l’engagement et la pratique militante… Cela vaut inégalement pour les différentes forces politiques de la gauche même si leur responsabilité est en proportion de leur force et de leur influence. Que faire aujourd’hui  ? On est frappé par les prophéties autoréalisatrices des soi-disant lanceurs d’alerte sur l’avenir de la gauche. Le premier ministre actuel dont Clemenceau est le modèle parle évidemment en connaisseur quand il évoque le risque que la gauche cesse d’exister. Ce discours, au lieu d’alerter et de mobiliser l’électorat de gauche, contribue à la démobiliser, dans la mesure où il accompagne une entreprise de décomposition et non de reconstruction de la gauche au plan de ses idéaux, de ses pratiques et de ses projets. Tout au long du XXe siècle, la question de l’alliance des différentes gauches s’est posée autour du fonds commun et des différences. Pour les uns et les autres la capacité à être porte-parole mais aussi acteur d’un projet politique a conditionné la possibilité de l’alliance. Aujourd’hui cela passe par des formes en réseaux qui associent la mobilisation sociale autour des questions du travail, du logement, de la santé et de l’école, par exemple, inséparables d’une conception positive des objectifs sociaux appuyée sur une critique du néolibéralisme. Une conception critique et positive de la démocratie et des institutions, de la dialectique du national et de l’international permet d’ouvrir un nouveau chemin sur ces questions et le déblocage au niveau des pratiques militantes.

C) Un retour au peuple pour transformer le monde

par Michel Laurent Animateur 
du LEM, mouvement 
des idées et des connaissances

La crise de la politique exprime à la fois une crise de la représentation et l’abandon par les élites politiques de l’idée de transformer le monde. La gauche se retrouve en première ligne, avec tous ceux qui veulent que la politique serve à quelque chose et que le pouvoir donne des pouvoirs d’agir. Je dirais même qu’à gauche plus on veut changer les choses et plus on est confronté à cette crise de la politique. Les conservateurs et les tenants de l’ordre existant peuvent, eux, la souhaiter. Depuis plusieurs décennies, nous vivons un triple phénomène. D’abord, la finance se retrouve à diriger le monde. Comment en appeler ensuite au vote  ? Deuxièmement, ce transfert du pouvoir à la finance entraîne une dégradation importante de la vie des gens. Les électeurs confient le pouvoir aux politiques mais les choses ne changent pas, voire se dégradent. Comment ne développeraient-ils pas alors une défiance  ? Troisième aspect, les gens considèrent que la situation mériterait qu’on les écoute. Les travaux engagés depuis 1965 par les sociologues Michel Simon et Guy Michelat montrent qu’une majorité toujours plus grande (plus des quatre cinquièmes) pense que les choses iraient mieux si on les écoutait. Ce point est certainement le plus profond. Les gens se sentent compétents pour trouver les solutions et ont le sentiment qu’on ne tient pas compte de leur avis. Ce n’est d’ailleurs pas un sentiment, à l’image de ce qui est advenu après le vote du non au référendum de 2005. Dans ces conditions, si l’on veut parler de l’avenir, il faut prendre très au sérieux l’échec de toute idée de modèle, l’échec d’un certain messianisme. Et puisqu’il s’agit de regagner la confiance du peuple et de la crédibilité, il doit y avoir un retour au peuple. Pas un retour sans bagages, un retour discuté avec le peuple pour en faire l’acteur principal de la transformation sociale. Agir sur la politisation de la relation entre les organisations politiques et le peuple lui-même. Cette crise de la politique ne signifie pas que l’on n’aurait plus besoin de politique. Dans toutes les enquêtes d’opinion, la politique reste une dimension importante mais elle est considérée par le peuple comme confisquée par les dirigeants. Il faut répondre à ce besoin de politisation populaire par un travail de fécondation entre les mouvements sociaux, les partis politiques, les mouvements associatifs et intellectuels. Il s’agit de combattre un certain pessimisme désabusé. Il y a beaucoup de choses à réaliser à condition de se donner un objectif commun et de vouloir travailler ensemble à la transformation sociale du monde. Sans récupération. Ce terme, je le comprends, et en même temps je l’interroge. Si on fait appel au peuple, il faut bien que ses idées soient «  récupérées  », dans le sens d’une traduction politique. Dans cette période de crise de la politique, les rassemblements doivent s’établir sur des contenus travaillés en commun, sinon ils n’ont pas de durabilité.

D) La réarticulation du social et du politique (par Roger Martelli)

Codirecteur 
du mensuel Regards

Dans la crise actuelle de la politique, celle de l’identifiant droite-gauche compte pour beaucoup. Le clivage de la droite et de la gauche recoupe l’opposition entre deux grandes conceptions de la société. D’un côté, celle qui considère que l’inégalité naturelle oblige à de la hiérarchie et de l’autorité  ; de l’autre, celle qui considère que l’égalité naturelle des humains, couplée à la liberté et à la solidarité, est le socle du «  vivre ensemble  ». Depuis deux siècles, cette dualité s’exprime dans le face-à-face de la droite et de la gauche. À condition d’ajouter que cette polarité s’accompagne d’autres, à l’intérieur de chaque famille. À gauche, la principale porte sur les moyens de parvenir à l’égalité  : d’un côté, ceux qui estiment que, le capitalisme étant indépassable, il n’y a pas d’autre solution que d’en limiter les effets inégalitaires  ; d’un autre côté ceux qui pensent que, le capitalisme étant par nature inégalitaire, l’égalité implique que l’on remplace sa logique économico-sociale par une autre. Adaptation ou accommodement d’un côté, rupture/dépassement de l’autre. La polarité de la gauche et de la droite et la polarité interne à la gauche sont inséparables. Quelles conséquences en tirer pour aujourd’hui et pour demain  ? Premièrement, les frontières de la gauche et de la droite se brouillent, mais ceux-là mêmes qui doutent se situent sur l’axe droite-gauche. Se réclamer de la gauche est la manière la plus large, en politique, de dire que l’on est du côté de l’égalité et de la liberté. S’il faut rassembler le peuple sociologiquement dispersé, on ne le fera pas sans médiation politique  : le rassemblement de la gauche est, sur le terrain politique, la médiation la plus large et donc l’horizon politique d’un projet de peuple rassemblé. En second lieu, pour que la droite soit battue, il faut bien que la gauche se rassemble  ; mais si la gauche est dominée par l’esprit d’accommodement, elle perd son dynamisme, s’enlise et laisse la main à une droite de plus en plus dure. Savoir qui donne le ton à gauche est tout aussi fondamental que de se réclamer de la gauche. Enfin, assumer le parti pris de la gauche, c’est assumer ce qui le rend possible  : la rupture franche avec le social-libéralisme, la réarticulation du social et du politique, la redéfinition non étatiste du public, l’ouverture de nouveaux champs démocratiques, le renouvellement des mots, des pratiques et des formes d’organisation. Autant dire que la gauche en général et la gauche de transformation en particulier n’ont d’avenir que si sont pensés en même temps la continuité des valeurs («  l’égaliberté  », pour reprendre une belle expression d’Étienne Balibar) et le renouvellement du cadre politique. La gauche a trop souffert du balancement entre le renoncement et l’immobilisme. Pour se sortir de l’impasse, une seule façon de faire  : prolonger et transformer. Pourquoi ne pas dire «  refonder  »  ?

E) La réforme au service de 
la transformation sociale

par Frédéric Hocquard Membre du conseil national du PS

Le point de départ de la crise de la politique est d’abord une conséquence de la crise économique. Crise du système économique qui commence avant 2008 et la crise des subprimes, mais la crise de la politique est liée à la réponse apportée par la gauche sur un temps court. C’est le sentiment que la gauche n’est pas capable de juguler cette crise et de faire face à un système économique basé sur l’objectif de la captation du profit pour le plus petit nombre. On se retrouve alors face à  : «  Il n’y a pas d’alternative.  » Le deuxième élément est constitué de la crise de la représentation et des partis politiques. C’est une crise institutionnelle. Il faut que nous réfléchissions à gauche par rapport à ces institutions de la Ve République. Construites par la droite pour garantir un régime stable, ce qui est une qualité, ces institutions ont toutefois enfermé la gauche dans une certaine ossification, une difficulté à faire vivre le débat démocratique lorsque nous exerçons le pouvoir. Cela a aussi déteint sur le fonctionnement des partis politiques, leur rapport à la population et leur capacité à agir. Les socialistes sont bien sûr concernés mais aussi tous les partis politiques de gauche qui ont participé aux expériences gouvernementales. Plutôt que d’avoir une discussion sur la pertinence des politiques menées on se retranche derrière des institutions qui certes donnent de la stabilité, mais qui empêchent le débat de fond d’avoir lieu. Le troisième aspect est que nous sommes dans une crise de confiance par rapport à la gauche. Il y a l’impression que le clivage droite-gauche n’existe plus même si dans la société, du point de vue de la défense des intérêts et de la façon que les gens ont de réagir à certains sujets politiques, ce clivage n’a pas vraiment disparu.

Suivant ce triple enjeu, il faut retrouver de la confiance. Cela passe d’abord par tenir ses engagements. Il faut ensuite réfléchir à un nouveau projet institutionnel. Ce n’est pas simplement le débat sur la VIe République mais il y a lieu de réfléchir à la manière dont les forces politiques s’emparent du pouvoir, des allers et retours à instituer avec la population et les citoyens, leur représentation, tel le débat à l’Assemblée nationale. Enfin, il y a un cheminement commun à organiser à gauche. Cela doit se faire grâce à la réalisation d’expériences communes. La gauche politique doit continuer à formuler des pensées et des pratiques visant à changer et à transformer la société. Sinon, elle sera durablement marginalisée. Je prends l’exemple de la municipalité parisienne où socialistes, communistes et écologistes forment ensemble une dynamique politique. De la même manière, celui des combats politiques de gauche face à la mondialisation, à l’exemple de la défense de l’exception culturelle et le Tafta, il faut remettre la réforme au service de la transformation sociale.


Signatures: 0

Forum

Date Nom Message