Jean-Luc Mélenchon se présente comme le candidat de la France insoumise, ce qui est une bonne formule et recouvre une large réalité sociale. Nous nous interrogeons ici sur la signification du mot insoumission dans le contexte économique, politique et social actuel. Il va alors apparaître que ce terme témoigne d’une certaine exigence qui se construit sur trois plans.
L’insoumission : antidote contre le fatalisme et outil pour l’émancipation
Brève de comptoir en guise d’introduction.
Alors que je dégustais une bière au bar auberge des trois faisans, deux acolytes (pas alcooliques) assez politisés, semble-t-il, discutaient près de moi
.– Tu as lu ce matin un article de Patrice Leclerc , maire communiste de Gennevilliers, paru sur le site du PG Midi-Pyrénées ?
– Non ! Malheureusement, je n’ai pu consulter le site aujourd’hui…
– C’est dommage ! Je me rends sur ce site tous les jours, et c’est marrant, à chaque fois, après lecture, je me sens plus intelligent !
– Intéressant ! Ça peut éviter de manger trop de poissons, car le poisson rend intelligent. Mais depuis le temps que tu lis les textes de ce site, maintenant tu dois être devenu un génie !
– Certainement. Dans cet article, Patrice Leclerc dit que la "France insoumise", c’est la "boutique" de Mélenchon ! C’est un petit peu méprisant non ? "Boutique" ça fait tout de même petit ! Je préférerais au moins "grande surface"… (voir l’article en cliquant ici ).
– Une grande surface ? Hyper surface ? Quelle taille ?
– Celle de Mélenchon, fait 550 000 km²
– Ah oui ! Cela fait une bonne surface ! Plus grande qu’un Leclerc !
– Tu deviens méchant !
Fin de l’historiette.
Suite à cette conversation, je me suis alors dit qu’il pourrait être intéressant de parler de la "France insoumise", et plus précisément de ce qu’est l’insoumission.
Être insoumis, ça veut dire quoi ?
Prologue
Cela fait maintenant 33 ans que le Parti Socialiste s’est engagé sur la voie de de l’économie néolibérale ne se différenciant pas fondamentalement des options économiques de la droite.
La loi sur la retraite à 60 ans votée pendant la législature de Pierre Mauroy qui prend effet au 1er avril 1983 et les lois sur les 35 heures votées en 1998 et 2000 pendant la législature de Lionel Jospin, revendications portées par les syndicats depuis de nombreuses années, ont été largement remises en cause notamment sous la pression du Medef et des forces politiques de droite.
Au cours des alternances politiques, un chômage "structurel" de masse s’est installé, la précarité des emplois n’a fait que croître, le salaire médian stagne, de nombreuses activités industrielles sont délocalisées. De nombreux jeunes travailleurs qualifiés sont contraints de s’expatrier pour trouver de l’emploi. La dette publique n’a fait qu’augmenter alors que des interventions militaires coûteuses, d’ efficacité contestable, se sont multipliées.
Pendant le même temps, les inégalités sociales n’ont fait que croître, notamment en termes de revenus de patrimoine. Les salaires des hauts cadres de la finance ont explosé… Pendant ce temps-là, la pauvreté et la délinquance en tout genre se sont développées donnant le prétexte à un contrôle social accru et mettant en danger les libertés individuelles fondamentales.
Les secteurs des petites exploitations agricoles, du petit commerce et des petites entreprises soumises à une concurrence aveugle sont aussi victimes de ces politiques néolibérales.
Par ailleurs, les contraintes des traités européens ont étouffé le pouvoir démocratique des parlements et n’ont aucunement organisé une harmonisation par le haut des droits sociaux et des politiques fiscales.Au contraire, l’Union européenne est devenue une véritable machine de guerre antisociale (voir la "loi travail"" pour ne prendre qu’un exemple) au service des intérêts des multinationales c’est-à-dire de l’oligarchie financière européenne.
Cette politique est à bout de souffle en raison de la baisse, tant au niveau national qu’au niveau européen, de la croissance moyenne annuelle du PIB. Le mode de production capitaliste entre en contradiction avec le développement des forces productives. Tout cela présente des aspects d’une situation prérévolutionnaire. La crise est bien systémique puisque le même phénomène a lieu au niveau mondial.
De nombreux citoyens sont conscients de cette situation et refusent de s’y soumettre. On assiste ainsi à de nombreux mouvements sociaux dans différents secteurs d’activité La luttes contre la loi travail a été sans doute l’un des pics de cette insoumission.
Quelle insoumission ?
Mais alors comment définir l’insoumission ?
Premier plan : le refus d’un certain nombre de données économiques, politiques et sociales.
– Refuser l’intrication du pouvoir politique, du pouvoir économique, financier et médiatique. Cette intrication va au-delà du lobbying : L’association française des entreprises privées (AFEP) réunissant les 122 plus grosses entreprises industrielles et financières françaises a une action directe sur la politique gouvernementale.
– Ne pas accepter le partage actuel inégal des richesses produites par les travailleurs de notre pays la part revenant aux actionnaires étant disproportionnée.
– Ne pas accepter la répartition actuelle des gains de productivité qui reste très inégalitaire et empêche toute réduction significative du temps de travail.
– Ne pas accepter la financiarisation de l’économie et redonner toute sa place à l’économie réelle.
– Ne pas accepter les institutions actuelles de la Ve République véritable monarchie présidentielle au service des puissants. Défendre donc l’idée d’une sixième république au service de l’intérêt général mise en place par la convocation d’une assemblée constituante redéfinissant l’ensemble des règles du jeu constitutionnel. Ne pas accepter notamment la subordination de la justice à l’exécutif.
– Refuser une économie productiviste et ultra consumériste énergivore détruisant les écosystèmes et mettant en danger la santé humaine.
– Ne pas se soumettre aux privatisations de l’appareil productif (et financier) et de l’espace public.
– Refuser l’état actuel de la rédaction des traités européens qui doivent être renégociés au profit des travailleurs européens et de la coopération entre les États par opposition à une mise en concurrence mortifère.
– Refuser une politique étrangère à la remorque des intérêts états-uniens et refuser le maintien de la France dans l’OTAN. Redonner à l’armée française et au gouvernement des cadres de pensée autonomes en matière de défense.
Il n’est pas alors nécessaire de compléter la liste par : refuser la politique d’austérité, refuser précarisation de l’emploi, ne pas accepter la détérioration des services publics, ne pas accepter la stagnation des salaires, etc. puisse que ceux-ci sont des conséquences de ce qui est dénoncé précédemment.
Second plan : penser qu’une alternative réalisable est possible.
Il n’est pas suffisant, pour être insoumis, d’être d’accord avec ces non –acceptations ci-dessus.
Encore faut-il penser que ces refus sont réalisables c’est-à-dire que des alternatives sont possibles.
Ainsi, il est fréquent de rencontrer un citoyen dénonçant le caractère nocif de certaines mesures européennes, mais d’ajouter aussitôt : il n’est pas possible de modifier les traités notamment en raison de la puissance économique de l’Allemagne et de l’intransigeance du gouvernement allemand. La France ne peut rien faire seule.
Un autre accepte volontiers l’idée qu’il faut des définanciariser l’économie mais que c’est impossible en raison de la puissance des banques ou encore à cause de la mondialisation des échanges.
Un autre encore, est d’accord pour ne pas accepter la détérioration du service public mais considère qu’il n’est pas possible de s’y opposer en raison de la dette publique.
On retrouve ici les "arguments– barrages " dont nous avons fait la liste dans un autre article.
Ceux– là voteront blanc, s’abstiendront ou voteront au mieux pour un socialiste "contestataire".
Rappelons tout de même que les puissants de ce monde ne peuvent voir que d’un œil favorable le vote blanc ou l’abstention dont ils ne redoutent absolument pas l’ampleur, bien au contraire.
Il faut une grande naïveté politique pour croire en l’efficacité transformatrice d’une telle posture électorale et avoir très peu de connaissances historiques.
Les propositions de Jean-Luc Mélenchon, lorsqu’elles sont connues, peuvent ainsi être reçues favorablement mais ne pas faire l’objet d’une adhésion en raison de leur caractère supposé irréaliste.
Les médias sont parfaitement conscients de cette situation, font et feront évidemment tout pour empêcher d’expliquer comment ces propositions sont réalisables.
La politique médiatique est toujours immuable :" there is no alternative".
L’insoumission ne signifie donc pas simplement ne pas accepter la situation actuelle et même se battre ponctuellement pour arracher une revendication syndicale, professionnelle ou sociétale mais consiste en outre à considérer qu’il existe un débouché, une solution politique réalisable pour changer la société dans le sens souhaité.
Et c’est là que réside probablement la plus grande difficulté que doit résoudre Jean-Luc Mélenchon et le mouvement politique qui l’accompagne.
Les militants ne peuvent se contacter de vagues généralités mais doivent être capables de répondre à des questions précises.
Par exemple : "vous voulez sortir des traités européens : ? Et concrètement que proposez-vous et comment faites-vous ?". Répondre à cette question est d’importance car Jean-Luc Mélenchon veut être "le candidat de la sortie des traités". Cliquez icipour plus d’informations
Autre exemple : "Vous voulez une meilleure répartition des richesses produites : concrètement comment vous y prenez-vous ? En limitant les revenus ? En nationalisant les autoroutes ? En augmentant les salaires mais alors comment est-ce possible ? Attaquez-vous aux patrimoines des grosses fortunes ?"
"Vous voulez améliorer les services publics : où allez vous trouver l’argent pour embaucher de nouveaux fonctionnaires et augmenter leur pouvoir d’achat ?"
On pourrait ainsi multiplier les exemples. Et il est bien évident que les médias sauront souffler les questions aux citoyens qui ne les auraient pas envisagées !
Et c’est là que l’on voit tout l’intérêt du livre qui paraîtra en décembre complétant "L’humain d’abord "et aussi un livre comme celui de Jacques Généreux : "Nous, on peut !" (chapitre 3 et 4 notamment) paru en 2011 aux éditions os du Seuil.
Troisième plan : vaincre la peur d’un changement radical.
Mais évidemment, il existe un autre obstacle à l’insoumission : la peur du changement, la crainte de perdre une partie de ce que l’on a, considérant que les changements préconisés par Jean-Luc Mélenchon, s’ils se réalisaient, provoqueraient une réaction destructrice des forces économiques dominantes pour empêcher la remise en cause de leurs privilèges. On peut alors évidemment imaginer différents scénarios catastrophes.
Ainsi l’insoumission nécessite non seulement une non acceptation de la domination financière, des inégalités, etc. mais aussi la force de penser qu’une autre alternative est possible , réalisable et enfin le courage d’affronter le changement, de contribuer à une action collective.
Développer une telle qualité au sein d’une large population nécessite donc l’engagement d’une force militante considérable utilisant toutes les techniques modernes d’information en synergie avec les techniques traditionnelles du militantisme de terrain.
L’insoumission peut donc être aussi une laborieuse construction.
Hervé Debonrivage
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