Ce n’est pas un grain mais un sac de sable que l’élection de Donald Trump met dans l’engrenage de l’accord climatique que les puissances capitalistes ont péniblement porté sur les fonts baptismaux de la COP21 à Paris, il y a un an.
En effet, le nouveau président étasunien n’est pas seulement un milliardaire raciste, islamophobe, sexiste, complotiste, autoritaire et nationaliste : c’est aussi un porte-parole politique des « climato-négationnistes », cette nébuleuse de faux experts payés par le capital fossile pour prétendre que le changement climatique est un canular.
Au cours de la campagne électorale, Trump a déclaré que le réchauffement global était un « concept créé par les Chinois dans le but de rendre l’industrie manufacturière US non compétitive ». Une déclaration idiote, puisque la dépendance de l’économie chinoise aux combustibles fossiles est plus grande que celle de l’économie US. Mais passons…
Sept habitants des Etats-Unis sur dix pensent que le réchauffement est une réalité. Le problème est que cette majorité est fragile et tend à baisser quand elle craint que la protection du climat peut menacer ses conditions d’existence [1]. Trump n’a pas fait campagne sur le climat mais, quand il s’est prononcé sur le sujet, il l’a fait démagogiquement, en amalgamant les accords climatiques et les accords de libre échange, afin de détourner la colère des travailleurs des patrons pour l’orienter contre « les Chinois » et les écologistes.
Dans une de ses fameuses déclarations à l’emporte-pièce, le désormais président du pays le plus puissant de la planète s’est carrément engagé à « supprimer » la participation étasunienne à l’accord de Paris. L’auteur de ces lignes a déjà écrit et maintient que cet accord est insuffisant écologiquement et socialement injuste (et la contribution US encore plus) ; mais cela ne signifie nullement qu’un retrait de Washington et/ou un abandon des décisions de la COP 21 seraient insignifiants. Au contraire : si Trump passe à l’acte, il s’agira d’un crime climatique majeur.
Pour rappel, l’accord de Paris comporte de fait deux volets : une déclaration d’intentions en faveur d’un réchauffement limité bien au-dessous de 2°C, voire de 1,5°C, et des « contributions nationalement déterminées » (NDC), autrement dit les « plans climat » des différents pays pour lutter contre le changement climatique [2].
Conscients de la force du climato-négationnisme parmi les élus étasuniens, Républicains en particulier, les négociateurs de la COP 21 ont usé d’une astuce juridique pour que le texte de Paris ne doive pas être ratifié par deux tiers du Sénat US : ils en ont fait un accord subsidiaire dans le cadre de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) – et pas un traité international. Du coup, l’engagement d’Obama suffisait.
Par ailleurs, pour que le texte soit légalement contraignant, on a imaginé une procédure compliquée que tout Etat devrait suivre au cas où il voudrait se dégager de l’accord – un vrai parcours du combattant nécessitant trois ans de procédure [3].
Selon certaines informations, Trump voudrait s’attaquer très vite à ce dispositif, pour être certain que les engagements climatiques seront à la poubelle avant la fin de son mandat. A cette fin, il s’orienterait vers une dénonciation de la CCNUCC adoptée au sommet de la Terre de Rio, en 1992, et que les USA ont ratifiée. La procédure de retrait prévue par cette Convention ne dure qu’un an ; l’accord de Paris ayant été conclu dans le cadre de la CCNUCC, il serait alors automatiquement caduc… … et sur le « Clean Energy Plan »
Cependant, Trump ne peut pas se contenter de dénoncer la ratification étasunienne de l’accord de Paris. Il doit aussi et surtout démanteler les mesures prises ou prévues dans le cadre de la « contribution nationalement déterminée » des USA à la lutte contre le réchauffement.
Cette contribution se présente essentiellement sous la forme du « Clean Power Plan ». Toujours dans le but d’éviter un vote au Sénat, Obama a mis ce plan en route par décret, pas par loi. Il comprend une série de mesures de régulation édictées par l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA). Le but est de réduire les émissions de CO2 du secteur électrique (qui reste très dépendant de l’usage de la houille) de 32% d’ici 2030, par rapport à 2005.
Fin 2015, une coalition de quinze Etats charbonniers (dirigés en majorité par des Républicains et emmenés par la Virginie Occidentale) a attaqué le Clean Power Plan en justice en arguant que le président outrepassait ses prérogatives en interférant dans la politique énergétique des entités fédérées [4].
Les contestataires ont été déboutés mais ils n’ont pas renoncé à la lutte. Selon eux, le plan d’Obama a pour but de « tuer le charbon ». En réalité, c’est surtout la concurrence du gaz de schiste bon marché qui menace l’avenir des houillères. Mais on trouve toujours un bâton pour taper un chien, et plus de cent compagnies et 28 Etats de l’union ont intenté des actions en justice. La Cour Suprême devrait statuer au début de l’année prochaine.
Trump est en cheville avec ces milieux. Maintenant qu’il est élu président, le milliardaire va tenter de donner satisfaction à ses amis. Ce ne sera pas facile, car l’EPA a agi dans le cadre d’une importante législation environnementale – le Clean Air Act (1963), à laquelle les citoyen-ne-s étasunien-ne-s sont attaché-e-s, en raison de son impact positif attesté sur la santé publique.
Outre que de nombreuses mesures climatiques sont prises à d’autres niveaux (par des Etats, des villes « en transition », des secteurs verts du capital, etc), les mesures que l’EPA a prises en faveur du climat ces dernières années ne peuvent pas être rayées d’un trait de plume. Il y aura lutte, et il est clair que les associations environnementales et les communautés se battront pied à pied, devant les tribunaux et dans la rue. Il faudra les soutenir.
Dans cette lutte, trois voies sont possibles pour Trump : il peut 1°) désigner des juges pro-capital fossile à la Cour Suprême ; 2°) donner l’ordre à l’EPA de revoir ses mesures dans un sens plus favorable aux intérêts des charbonniers, et 3°) étrangler l’Agence budgétairement pour qu’elle soit obligée de réduire ses ambitions. Ces trois voies peuvent évidemment être combinées.
La décision de Trump de désigner le climato-négationniste Myron Ebell à la tête de l’EPA montre en tout cas que le milliardaire est bien décidé à en découdre, sans doute bien au-delà de la politique climatique [5] : en bonne sangsue capitaliste, la législation environnementale, en général, le gêne probablement au même titre que la législation sociale. On verra.
En attendant, il faut savoir que l’impact d’un retrait US de l’accord de Paris sur le climat serait tout à fait considérable.
Pour rappel, la « contribution nationalement déterminée » des USA consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 26 à 28% d’ici 2025, par rapport à 2005. Etant donné que les USA émettaient 7,38 GT de CO2 équivalent en 2005, l’objectif pour 2025 correspond donc à une diminution de 2 Gt environ.
Pour mesurer l’ampleur du crime climatique que Trump se prépare à perpétrer, on notera d’abord que ces 2Gt représentent à peu près 20% des réductions d’émissions promises de 2016 à 2030 par les 190 Etats qui ont ratifié l’accord de Paris… [6]
On peut compléter l’image de la scène de crime en jaugeant les 2Gt à l’aune du fossé entre l’accord de Paris et les plans climat nationaux (NDC).
Comme on le sait, en effet, il y a un fossé entre l’objectif de la COP21 – rester bien au-dessous de 2°C de réchauffement maximum par rapport à l’ère préindustrielle, ne pas dépasser 1,5°C si possible – et les projections sur base des engagements des gouvernements nationaux : ceux-ci mettent en perspective un réchauffement de 2,7 à 3,7°c d’ici la fin du siècle – deux fois plus que l’objectif.
L’accord de Paris stipule que les parties procéderont à des révisions périodiques afin de combler le fossé, et le Programme des Nations Unis pour l’Environnement (UNEP) publie chaque année un rapport sur l’évolution de celui-ci. L’édition 2016 vient de sortir. On y apprend que l’écart entre les prévisions d’émissions sur base de Paris et la trajectoire de réductions à suivre sera en 2025 de 5,3 Gt pour rester sous les 2°C et de 5,8 Gt pour rester sous les 1,5° (si tous les pays respectent leurs promesses de réduction, y compris celles qui sont conditionnées par les aides financières des pays riches à la transition et à l’adaptation des pays pauvres, par exemple) [7].
Abandonner les engagements climatiques US reviendrait donc de la part de Trump à mettre le reste de la planète devant le choix suivant : soit vous augmentez vos propres efforts de réduction des émissions de 20% pour compenser le fait que le pays le plus riche de la planète continuera à brûler des combustibles fossiles comme si de rien n’était, au nom du profit de son secteur fossile ; soit vous ajouterez 2Gt d’équivalent carbone à l’écart entre ce qui a été décidé à Paris et ce qu’il faudrait faire pour stabiliser le climat de la terre (soit un augmentation de 30 à 50% de la difficulté).
Il est tout simplement révoltant que ce choix soit imposé à 7,2 milliards de femmes et d’hommes par le dirigeant de la principale puissance mondiale, principale responsable historique des émissions de gaz à effet de serre… alors que ce dirigeant n’a été élu que par un quart des 240 millions d’électeurs de son pays, en majorité blancs et mâles, au terme d’une campagne truffée de mensonges démagogiques.
Au-delà de l’indignation morale, il faut bien voir que Trump accède au pouvoir suprême au moment où le climat de la Terre est sur le fil du rasoir. Le budget carbone pour 1,5°C (quantité de carbone qui peut encore être envoyée dans l’atmosphère pour avoir 60% de chance de ne pas dépasser 1,5°C de réchauffement) sera épuisé d’ici 2020, et le budget pour 2°C d’ici 2030. Autrement dit : alors que chaque minute compte, Trump menace de faire perdre à l’humanité quatre années qui feront toute la différence entre des catastrophes encore réparables (du moins, on l’espère…) et un désastre climatique de grande ampleur, irréparable, non maîtrisable et aux conséquences extrêmement dangereuses. C’est un crime contre l’humanité.
Fait significatif, la Chine a été la première à mettre Trump en garde contre un abandon de l’accord de Paris. « C’est la volonté de la société globale que tous veuillent coopérer pour combattre le changement climatique », a déclaré un haut négociateur chinois lors de la COP22 à Marrakech. Surtout, Pékin dit clairement que le pays respectera ses engagements, même si les USA ne respectent pas les leurs [8]. L’Union Européenne s’est exprimée dans le même sens.
La réaction chinoise marque un renversement géostratégique complet par rapport à la séquence antérieure. Même l’Arabie saoudite est pour ainsi dire sur la gauche de Trump : elle s’engage à respecter les (maigres) promesses de sa contribution nationale à la lutte contre le réchauffement ! [9].
Il est évident que le vent a tourné dans les classes dominantes mondiales depuis les COP 15 et 16 à Copenhague et à Cancun, en 2009 et 2010. De fait, il ne faut pas s’y tromper : l’arrivée du climato-négationniste Trump à la Maison Blanche s’est faite contre la volonté de la majorité des représentants de la grande bourgeoisie, aux Etats-Unis et dans le reste du monde.
Cependant, il ne faut pas non plus se faire d’illusions. Primo, certaines réactions ne sont pas aussi fermes que celles de la Chine – l’Inde, par exemple, pourrait être tentée de prendre prétexte du retrait US pour relâcher ses efforts climatiques. Secundo, tous les gouvernements envoient des messages très polis de félicitations à Trump, comme si la dénonciation de l’accord sur le climat était une péripétie diplomatique sans grande importance. Tertio, et c’est décisif, aucun pays ou groupe de pays n’évoque la nécessité de prendre des mesures d’urgence pour compenser l’éventuel retrait US en développant face au risque climatique une politique à la hauteur de la menace.
Ce qui intéresse avant tout les gouvernements, c’est de savoir quelles seront les répercussions de la politique de Trump sur leur place dans la hiérarchie capitaliste et sur les possibilités de profit de « leurs » capitalistes. La Chine, par exemple, n’est pas motivée uniquement par sa vulnérabilité particulière au réchauffement, mais aussi par la perspective qui s’ouvre à elle de ravir aux USA le rôle de leader capitaliste mondial d’une transition énergétique que tous les responsables bourgeois dotés d’un peu de cervelle savent inévitable. La logique du productivisme capitaliste basé sur la concurrence et organisé en Etats rivaux est décidément implacable…
Il ne s’agit donc pas de défendre contre le méchant Trump les bons capitalistes qui respectent l’accord de Paris. Face à l’urgence climatique, il s’agit plutôt, dans l’immédiat 1°) d’exiger des gouvernements qu’ils isolent et condamnent catégoriquement le futur « gouvernement voyou » des USA ; 2°) de réclamer la création d’une cour de justice climatique internationale et menacer d’y traîner Donald Trump s’il met ses projets à exécution ; 3°) d’arrêter le train fou de la croissance capitaliste génératrice d’inégalités et de destructions pour y substituer des mesures de redistribution des richesses et de production dans le respect des limites de la planète.
L’accord de Paris est et reste mauvais, non seulement parce qu’il ne réduit pas assez les émissions [10], mais aussi parce qu’il tente de les réduire – et c’est en fin de compte la raison de son insuffisance – dans le cadre du productivisme capitaliste et au moyen de mécanismes de marché qui aggravent à la fois la crise sociale et la crise écologique.
A cet égard, il convient de taper sur le clou : la victoire de Trump n’est pas le produit de l’adhésion de la majorité du peuple étasunien à son programme, contre les « élites » mais le résultat du refus massif des électeur-trice-s d’encore voter pour le Parti Démocrate. Ce constat vaut aussi en matière environnementale. Car Obama, Clinton et Kerry, ce n’est pas seulement la ratification de Paris, c’est aussi le scandale du fracking, les forages pétroliers offshore en eau profonde (rappelons-nous la catastrophe de la plateforme BP Deepwater Horizon), les projets de pipeline pour acheminer le bitume de l’Alberta jusqu’aux raffineries du Sud-Ouest des Etats-Unis, etc.
La politique environnementale capitaliste, sur le climat en particulier, fait le jeu des populistes. La preuve est apportée à contrario par le trumpisme : des mesures anticapitalistes telles que la réduction du temps de travail sans perte de salaire, le développement du secteur public, la socialisation de l’énergie et du crédit ainsi que la suppression des productions inutiles ou nuisibles sont indispensables pour que la riposte au changement climatique marche main dans la main avec la satisfaction des besoins sociaux. Faute de telles mesures, l’insuffisante et injuste politique climatique capitaliste peut contribuer à paver le chemin de démagogues populistes prêts à tout pour s’emparer du pouvoir, quitte à précipiter l’humanité dans une tragédie dépassant les imaginations de la science-fiction la plus noire.
C’est un avertissement. Le dernier, peut-être. C’est surtout une invitation à reprendre le chemin de la lutte écosocialiste, en tout indépendance par rapport aux pouvoirs établis.
Daniel Tanuro
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