Stélios Kouloglou : « Je pense que Berlin veut renverser le gouvernement grec »

lundi 19 décembre 2016.
 

Après la décision de l’Eurogroupe de suspendre les négociations sur la dette grecque en raison des mesures sociales prises par le gouvernement Tsipras, le député de Syriza, Stélios Kouloglou, en appelle à de nouvelles élections en Grèce.

Les mesures prises par le gouvernement d’Alexis Tsipras n’avaient pourtant rien de très subversif. Il s’agissait simplement de réintroduire un peu de justice sociale à destination de ceux qui souffrent durement de l’austérité en Grèce : rétablissement d’un 13ème versement annuel pour les retraites les plus basses, et report d’une hausse de TVA sur les îles de l’Est de la mer Egée mises en grande difficulté par l’arrivée massive des réfugiés. Des mesures évaluées à 617 millions d’euros, un coût très faible dans le budget général de l’État. Mais ces mesures sociales n’ont pas plu au ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble. Celui qui en 2015 a milité pour que la Grèce soit expulsée de la zone euro, poursuit donc sa croisade contre le gouvernement d’Alexis Tsipras. Il vient de convaincre l’Eurogroupe de suspendre l’allégement (le petit allègement) de la dette grecque qui avait pourtant été acté au printemps dernier. Voici donc de nouveau la Grèce sous la menace de l’Allemagne. Rappelons que l’Eurogroupe a un rôle tout à fait marginal dans l’organisation de l’Union européenne. C’est une simple réunion mensuelle et informelle des ministres des finances des Etats membres de la zone euro, destinée à coordonner les politiques économiques en Europe. Le député européen Stélios Kouloglou (Gauche Unitaire européenne-GVN), membre de Syriza, réagit à cette nouvelle attaque dont son pays est l’objet.

Comment interprétez-vous cette décision de l’Eurogroupe de suspendre l’allègement de la dette grecque ?

Stélios Koulglou : Je pense que Berlin veut renverser le gouvernement grec pour en finir avec tout ce qui est de gauche en Europe. Après la défaite de la gauche en Italie et l’échec du gouvernement Hollande en France, il ne reste plus que le Portugal, mais c’est un gouvernement assez faible qui sera le prochain domino à tomber. Ce qui s’est passé pendant ces derniers mois, c’est que le gouvernement grec a respecté toutes les exigences de l’Europe. Mais chaque fois qu’on y répondait, l’Eurogroupe demandait davantage de concessions. L’économie marchait assez bien en ce qui concerne les chiffres, les résultats budgétaires étaient au dessus des prévisions.

Alors le gouvernement a décidé de donner une part du surplus financier aux plus faibles. C’était une décision politique positive, pour montrer qu’on ne reculait pas socialement sans arrêt. Mais Berlin a décidé des représailles sur l’allégement de la dette, ce qui n’a aucun rapport. Les discussions sur la dette ont été gelées selon le mémorandum, au mois de mai, il n’y avait pas à y revenir. C’est un acte unilatéral de la part de Schäuble et de l’Eurogroupe. C’est pour ça que les socialistes en Europe et en France ont réagi si fortement, c’est la première fois. Ils comprennent que la bataille est symbolique, elle, concerne toute la gauche en Europe.

Pourquoi selon vous, l’Eurogroupe a-t-il suivi Schäuble ?

Stélios Kouloglou. L’Eurogroupe est complètement dominé par Schäuble. C’est tout à fait paradoxal et anti-démocratique qu’un organe qui n’existe pas, qui n’est rien dans les institutions européennes, puisse décider de l’avenir d’un peuple européen. Ce n’est ni le parlement Européen, ni la commission Européenne, ni le Conseil de chefs d’états des pays membres de l’Union, mais pourtant c’est l’Eurogroupe qui décide pour tout le monde, c’est incroyable !

Comment réagir à cette décision de l’Eurogroupe ?

Stélios Kouloglou. Je pense qu’il faut faire les élections. Il faut demander au peuple grec ce qu’il souhaite, parce que la droite progresse dans l’opinion selon les sondages, c’est d’ailleurs pour ça que Schäuble met la pression. En Grèce malheureusement, il n’y a pas d’autre solution que de faire des élections pour demander aux gens s’ils veulent que le gouvernement négocie pour diminuer un peu les conséquences de l’austérité. La droite en Grèce actuellement est très dure, elle dit qu’il ne faut rien faire contre les créanciers, qu’il faut respecter la troïka, etc. Mais les accords ont été parfaitement respectés par le gouvernement d’Alexis Tsipras ! L’Europe se trouve dans une situation dramatique je pense, parce que l’agenda est dominé par l’extrême droite, en France, aux Pays-Bas. Je ne vois pas d’issue.

Quelles sont les premières réactions en Grèce ?

Stélios Kouloglou. La droite accuse le gouvernement en disant que c’est lui qui a ouvert le feu contre l’Europe, ce qui est tout à fait faux. Selon le mémorandum (conclu entre l’UE et la Grèce) s’il y a un surplus budgétaire par rapport à ce qui était prévu, il faut donner 1/3 aux créanciers, les 2/3 qui restent sont affectés selon la volonté du gouvernement. Sinon c’est le colonialisme ! Sinon que M. Schäuble vienne, et qu’il dirige directement le gouvernement ! Schäuble veut même décider de ce qu’on doit fait avec le surplus qui a été produit grâce aux sacrifices des gens et à l’austérité. C’est incroyable ! Les députés socialistes ont réagi par un « Basta Schäuble ! » rappelant que le peuple grec a « consenti beaucoup de sacrifices pour réparer les dommages causée par ces 10 dernières années, comme aucun autre peuple européen. » Par exemple la baisse des salaires et des retraites de 38% entre 2009 et 2014, ou encore la progression de la pauvreté infantile (le plus fort taux en Europe), ainsi que l’augmentation du nombre de suicides « alors même que le secteur de l ‘éducation et de la santé a été désintégré. » Le commissaire européen Pierre Moscovici avait fait savoir dès mercredi qu’à ses yeux, « les conditions de l’accord de l’Eurogroupe ne sont pas changées par les mesures décidées par le gouvernement de M. Tsipras », observant qu’il « ne voulait pas opposer l’allègement de la dette indispensable, et la cohésion sociale que le peuple grec attend ». Il a ajouté ce matin dans le Financial Time que « la Grèce ne peut pas être condamné à l’austérité pour toujours. » Aujourd’hui également, le ministre français de l’Economie et des Finances, Michel Sapin, a assuré, contre la volonté allemande, que « les dispositions d’allègement de la dette grecque seront mises en œuvre », soulignant « qu’aucun gouvernement n’avait autant tenu les engagements pris » que celui d’Alexis Tsipras.

Jean-Jacques Régibier, L’Humanité


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