République démocratique ou féodalité au service des puissants : feuilleton d’été au Moulin de Truyère à Entraygues

lundi 4 août 2008.
 

Par la baie vitrée, grande ouverte en cette belle matinée de juillet, je ne vois qu’une chaussée moyenâgeuse, une végétation luxuriante, ici un héron, là un écureuil bondissant, une truite sauvage et des chabots, dans l’air le ballet perpétuel des oiseaux (chardonnerets, mésanges, citelles, pinsons...) ; je devine sous terre loutres et ragondins. Une hantise m’empêche d’en profiter pleinement : et si demain la holding propriétaire du moulin (aujourd’hui centrale hydro-électrique) dévastait tout cela pour gagner quelques milliers d’euros supplémentaires.

1) Sommes-nous toujours en république ?

18 juillet 2008 : suite à une information communiquée dans une discussion privée par un élu, j’apprends que des travaux importants doivent commencer en face de chez moi le surlendemain 20 juillet. Je m’informe auprès de quelques autres riverains. Personne ne sait rien.

Je prends contact avec le maire de ma commune.

- L’exploitant a-t-il fait déclaration en règle pour les travaux prévus sur la chaussée du moulin et sur le lit de la rivière ?

- Oui, bien sûr.

- L’entreprise dispose-t-elle des autorisations règlementaires de la part des services de l’Etat ?

- Oui.

- Pourtant, les riverains contestent depuis très longtemps la propriété de cet "investisseur" sur différents lieux où il veut entreprendre des travaux.

- Nous le savons. Les services de l’Etat aussi. Mais nous considérons que c’est une affaire privée... Notre rôle se limite à vérifier que le projet ne pose pas de gros problème en matière de sécurité publique et d’environnement.

A ce moment-là, la préfecture considère-t-elle aussi cette question comme relevant essentiellement du domaine privé ? Oui.

Premier problème : Collectivités élues, Etat et sécurité publique

Prenons un point sur lequel Monsieur le maire considère que la commune a un rôle : la sécurité publique.

Placé au confluent du Lot et de la Truyère, Entraygues a toujours été particulièrement menacé par les crues. En 2003, l’eau a atteint environ deux mètres sur la place du centre ville. Or, la centrale hydro-électrique du moulin de Truyère se trouve en plein coeur de la cuvette abritant le bourg.

A mon avis, les différents projets présentés par l’entreprise depuis cinq ans n’ont jamais pris en compte cette question de sécurité publique.

Ces projets aggravaient le risque d’inondation pour six raisons :

* élévation de la crête de la chaussée

* élévation de la hauteur de retenue d’eau

* travaux de curage du lit de la rivière pour créer une forte pente en direction du moulin et du bourg

* création artificielle d’un chenal bétonné des deux côtés pour accroître l’effet d’avaloir de l’eau vers le moulin et le bourg

* L’eau passant au-dessus de la chaussée avait de tout temps permis une érosion naturelle en aval et avait donc limité le développement de végétation terrienne. Depuis que le moulin dérive un maximum d’eau pour produire de l’électricité, cette végétation (en particulier de grands arbres) se développe. Les projets de l’exploitant renforçaient considérablement ce risque.

* La crête de la chaussée avait été réalisée au 14ème siècle de façon à ne pas retenir d’embâcles (troncs d’arbres et autres matériaux créant un barrage naturel inextricable lors de fortes eaux). Quiconque a admiré cette magnifique chaussée de 280 mètres de long, en été comme en hiver, a pu constater que les embacles ne sont pas arrêtés par elle. Les travaux prévus avec une crête d’une part surélevée d’au moins cinquante centimètres à un mètre, d’autre part aplatie et élargie à quatre mètres modifiaient complètement cette situation.

Deuxième problème : les citoyens sont-ils égaux devant la loi et devant la justice ?

19 juillet 2008 : L’investisseur se déplace seulement pour apporter l’information suivante à un riverain : vous feriez bien de ne pas entraver mon projet industriel ; de toute façon, même si vous gagnez en justice dans un premier temps, vous n’aurez pas les moyens de poursuivre la procédure jusqu’en cassation ; à ce moment-là, dans dix ans, c’est moi qui gagnerais.

Mon sang ne fait qu’un tour.

Voilà bien un exemple du glissement vers une façon politiquement libérale de voir le rôle du droit et de la justice, un exemple de judiciarisation de la société au profit des belles personnes. Un investisseur peut s’appuyer sur une justice de proximité capable d’utiliser la loi comme une arme au service des puissants.

Quant aux citoyens ne disposant pas des mêmes moyens financiers :

- soit ils baissent la tête "Bien monsieur, je ne recommencerai pas"

- soit ils résistent. En l’absence d’implication du procureur, des collectivités publiques ou des services préfectoraux, cette personne met sa vie en péril tellement la pression financière et politique (tous les bénis oui-oui) est forte, insupportable, angoissante, écrasante, déstabilisante...

2) A qui peut-on faire confiance dans cette société fondée sur l’argent et la langue de bois

Travaux d’entretien ou travaux importants ?

L’exploitant comme ses relais sur place ont présenté leur projet pour l’été 2008 comme relevant de petits travaux d’entretien : changement de dégrilloir, léger curage du lit, confortement de la chaussée.

De toute évidence, ce choix de communication ( présentation a minima et modeste) a permis de faire passer le dossier auprès des élus locaux ainsi que des services de l’Etat.

L’exploitant affirme lui-même avoir inscrit en 2008 à son budget 70000 euros pour effectuer ces travaux (essentiellement curage du lit, plus ferraillage, bétonnage de la chaussée). A ce tarif là, il ne peut s’agir des "petits travaux" dont plusieurs responsables m’ont fatigué les oreilles durant plusieurs jours.

La Société du moulin prévoyait pour cette année de modifier complètement le débordement des eaux par dessus la chaussée. Elle voulait dériver toute la rivière vers le moulin sauf trois mètres cubes (demande d’intervention en rivière). L’ eau courante dévalant le rampant en scintillant de mille reflets d’argent, se serait vu remplacée par deux échancrures bétonnées (habillées de galets) censées laisser passer ces trois mètres cubes qui risquaient fort d’être souvent bouchées.

La déclaration de travaux déposée auprès des services de l’Etat en 2008 pourra être étudiée plus tard comme un modèle de langue de bois libérale : contradictions, omissions, sousestimation flagrante des conséquences,

Prenons la page 7 dont le titre est : Impacts une fois le projet terminé, en amont, an aval et au droit des travaux. Impacts prévisibles (et/ou probables) à court, moyen et long terme.

(A suivre)


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