Réponse à l’article Lycéens en mai 68, en Aveyron et ailleurs
Et pendant ce temps à Prague...
Printemps de Prague 5 janvier au 21 août 1968
En cet été et automne 1968, les étudiants et lycéens en France, soulevés au printemps par l’espérance émancipatrice, s’apprêtent à « rentrer », persuadés cependant que « ce n’est qu’un début... »
Au même moment, « de l’autre côté du rideau de fer », les étudiants tchèques et slovaques, qui ont épousé au printemps l’idée du « socialisme démocratique », se trouvent dans les viseurs des armes à feu des troupes d’occupation du Pacte de Varsovie.
Le 23 août 1968, les étudiants pragois diffusent, dans les rues de leur capitale, au nez et à la barbe des officiers soviétiques médusés, l’édition spéciale de leur journal Student, qui porte ce titre : « Appel à tous les étudiants du monde. »
« Je suis un étudiant tchèque et j’ai 22 ans. Au moment où j’écris cette déclaration, les tanks soviétiques stationnent dans le grand parc sous mes fenêtres. Les fûts de leurs canons sont dirigés contre un bâtiment public portant l’inscription : ’’Pour le socialisme, pour la paix’’. Ce slogan est là depuis que je suis capable de saisir les choses autour de moi. Mais ce n’est que depuis sept mois que cette inscription a commencé lentement à prendre une véritable signification.
Durant sept mois, mon pays a été dirigé par des hommes dont le but était de démontrer, probablement pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, que le socialisme et la démocratie peuvent coexister. L’endroit où ces hommes ont été déportés est encore inconnu. Je ne sais pas si je les reverrai un jour ou si je les entendrai. Il y a beaucoup de choses que je ne sais pas. Par exemple, combien de temps il faudra aux soldats soviétiques pour réduire au silence les stations de radio libres qui informent ce peuple avec véracité.
Je ne sais pas non plus si j’achèverai mes études à l’université, si je rencontrerai encore mes amis à l’étranger, et je pourrais continuer à l’infini. Mais en ce moment, tout semble perdre son sens réel.
A 3 heures du matin, le 21 août 1968 je me suis réveillé dans un tout autre monde que celui dans lequel, seulement quelques heures auparavant, je me suis couché. Peut-être penserez vous que les Tchèques se sont comportés comme des lâches parce qu’ils n’ont pas combattu. Mais on ne peut pas se dresser les mains vides contre les tanks. Je voudrais vous assurer que les Tchèques et les Slovaques se sont comportés comme un peuple politiquement avancé, qui peut être brisé physiquement il est vrai, mais non moralement. C’est pourquoi j’écris tout ceci.
La seule manière dont vous pouvez nous aider est celle-ci : ’’N’oubliez pas la Tchécoslovaquie’’. S’il vous plaît, aidez notre résistance passive en accentuant la pression de l’opinion publique dans le monde entier. Pensez à la Tchécoslovaquie, même quand ce pays aura cessé d’être à la ’’une ’’ des journaux. La seule Tchécoslovaquie que nous reconnaissons est la Tchécoslovaquie libre et neutre ».
Les lycéens de l’Aveyron, épris de liberté et de justice, comme leurs camarades de Prague, portés eux aussi par l’espérance de leur jeunesse en cette année 1968, ne liront jamais cet appel, ils ne connaîtront jamais le nom de celui qui l’a rédigé. Au moment de la rentrée scolaire en France, le rideau de fer tombe de nouveau en Tchécoslovaquie. Cet appel, resté anonyme, ne sera publié en France qu’au printemps 1969, dans « Les sept jours de Prague 21-27 août 1968 », éditions Antropos, Paris. Dans sa préface, le regretté Robert Mandrou écrivait : « Prague depuis janvier [1968] est devenue cette ville capitale dans laquelle s’élaboraient les coordonnées d’un système où socialisme et liberté pouvaient coïncider. Tel était l’enjeu. Telle était l’espérance ». Au lendemain des événements de 68, beaucoup d’efforts, destinés à créer une véritable Internationale de la jeunesse, ont été entrepris en France. Ces efforts n’ont pas abouti. Quel enjeu pour la jeunesse, quelle espérance aujourd’hui dans un monde où le capitalisme affame les trois quarts de l’humanité ?
Karel Kostal
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