Bayrou l’allumeur

mercredi 25 avril 2007.
 

Je n’en reviens pas moi-même. Les Français ont rendu leur verdict. Et je suis en train d’écouter la conférence de presse de l’un de ceux qu’ils ont éliminé.

Le battu d’hier est promu personnage central du deuxième tour. Je ne suis pas sûr que la gauche ait intérêt à subir de la sorte François Bayrou trop longtemps. Il ressemble déjà un peu trop au sparadrap du Capitaine Haddock. Mais le déferlement médiatico-politique des partisans de l’alignement de la France sur le modèle dominant du continent européen, dans lequel la gauche ne peut arriver au pouvoir que dans le cadre d’une coalition avec une partie de la droite, laissant les puissants dormir sur leurs deux oreilles, n’a pas cessé un instant. Nous sommes contraints de bouffer du Bayrou à toute heure de la journée. Et je me retrouve ce mercredi après-midi devant sa conférence de presse en direct.

Je ne suis pas centriste, je suis central, nous dit Bayrou. Belle revendication d’opportunisme politique ! Je n’ai pas d’idées, je fraie mon chemin entre celles des autres. Avis aux amateurs : ça va être difficile de le convaincre.

Si aujourd’hui Bayrou est au centre du cirque médiatique, il n’en a pas moins des idées très à droite sur ce qu’il doit faire. Lui ne se trompe pas de camp. Son objectif premier, c’est l’explosion de la gauche française, cette « exception européenne » qui résiste à la mise au pas libérale du pays et bouche la voie à la naissance d’une troisième force politique dont il détiendrait les commandes.

Pour mieux dévaliser la gauche, Bayrou appâte le chaland. Mes voix ? Elles sont disponibles... Moi-même je n’ai pas choisi. Encore un effort pour me convaincre, osez les réorientations nécessaires ! Bayrou promet dans un sourire gourmand de tenir compte des délicatesses qui lui seront prodiguées. C’est-à-dire des concessions que la gauche voudra bien lui faire. Et comme au poker, il faut payer pour voir.

Il faut bien cotiser dirons tous ceux qui croient, à tort, que leur interlocuteur est de bonne foi, et estiment, à tort également, que l’électorat hétéroclite et tout frais de François Bayrou attend ses consignes pour se prononcer. La présidence de la République vaut bien quelques entorses à l’orthodoxie de gauche, nous diront-ils. Examinons donc les concessions réclamées par Bayrou. Pour lui, Ségolène Royal mérite deux bons points : elle est soucieuse de la démocratie et veut retisser le lien social. Mais elle est disqualifiée par sa propension à vouloir plus d’Etat. Il suffirait donc qu’elle y renonce pour que la discussion s’engage sur des bases positives.

Dès qu’il parle un peu de la politique qu’il propose pour notre pays, Bayrou l’homme de droite ressurgit. Sa posture (de gauche) est une imposture (de droite). Car il est impossible de défendre la démocratie et réparer le tissu social sans réhabiliter le rôle de l’Etat. Quelle rénovation démocratique quand les instruments de la volonté collective sont devenus impuissants ? Quelle cohésion sociale quand la loi du marché l’emporte sur toute autre considération ? Comment peut-on critiquer le bilan du gouvernement sortant, et lui donner raison sur ce qui a été l’axe principal de sa politique : la remise en cause de la place de l’Etat dans notre pays ? Comment peut-on prétendre résoudre la crise du pays en soutenant l’offensive libérale contre l’Etat social qui est justement la racine de l’urgence sociale et démocratique ? Peut-il ignorer que ce n’est pas une petite question pour Ségolène Royal dont on se souvient qu’elle avait déclaré « chez nous, on le sait, le social et le national marchent ensemble et c’est l’Etat qui est garant de leur alliance » ?

Que Bayrou dise donc clairement les propositions socialistes qui lui semblent donner une place excessive à l’Etat. Est-il contre un service public de la petite enfance ? Trouve-t-il le système actuel hautement préférable sur le plan social et démocratique ? Est-il hostile au rétablissement des postes d’enseignants supprimés par son camarade UDF De Robien ? Est-il hostile à un pôle public de l’énergie et donc favorable à la privatisation de GDF ? Ségolène Royal disait : « nous croyons, nous socialistes, que la globalisation financière appelle le renforcement de l’Etat : c’est la droite qui fait le choix de son désengagement et de la paupérisation des services publics. » Monsieur Bayrou peut-il nous dire son idée sur ces questions ?

Voilà le débat qu’il faut avoir avec François Bayrou. Cette confrontation est utile dès lors qu’elle permet de démonter l’imposture Bayrou et qu’elle offre à la gauche l’occasion d’expliquer à nos concitoyens qui ont cru répondre à l’urgence sociale et démocratique en votant pour cet homme en quoi l’issue à la crise passe par une politique de gauche et le vote pour Ségolène Royal. Oui à ce débat, et non bien entendu à une alliance. Car si la gauche cédait aux exigences bayrouistes et se convertissait au libéralisme, elle serait vite contrainte, comme on l’a déjà vu dans plusieurs pays d’Europe, de renoncer purement et simplement à ses ambitions démocratiques et sociales. Son unité n’y survivrait pas. Elle perdrait la présidentielle et serait hors jeu face à une droite offensive et renforcée. Attention aux sourires de Bayrou l’allumeur ! Après l’agent orange, l’herbe met longtemps à repousser.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message