Iran : l’avocate Nasrin Sotoudeh, la voix des sans-voile – « Beaucoup de gens sont à bout avec ce voile obligatoire »

dimanche 13 mai 2018.
 

Lauréate du prix Sakharov en 2012 et interdite de sortie du territoire, l’avocate spécialiste des droits humains raconte à « Libé » son combat pour défendre les femmes qui refusent de porter le foulard, obligatoire dans la République islamique.

C’est un petit bout de femme de moins d’1,60 m, bourrée de courage et d’opiniâtreté qui nous accueille dans son cabinet. D’emblée, elle insiste pour parler des filles de l’avenue d’Enghelab (« révolution »), ces Iraniennes qui, depuis quelques mois, ôtent leur voile en public jusqu’à se faire arrêter. « Ce mouvement montre ouvertement l’opposition au voile obligatoire », dit l’avocate iranienne spécialiste des droits humains Nasrin Sotoudeh.

Le 27 décembre, à Téhéran, Vida Movahed, 31 ans, est montée sur une armoire électrique et a suspendu son voile à un bâton. La photo a fait le tour du monde et a marqué le début d’un mouvement qui continue encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux.

La page Facebook « My Stealthy Freedom » de Masih Alinejad est en effet régulièrement alimentée de photos et de vidéos de femmes se promenant sans voile. Sur son bureau, Nasrin Sotoudeh a trois dossiers concernant ce type d’affaires, et elle semble en avoir fait une priorité.

L’avocate a soigneusement plié son voile sur le dossier de sa chaise. Ses cheveux impeccables rappellent cette obsession de l’élégance qu’ont les femmes iraniennes, quel que soit leur âge.

Originaire d’une famille traditionnelle et religieuse, Sotoudeh avait 15 ans au moment de la révolution, en 1979. « Ma mère portait le voile, mais pas moi. Ma famille ne m’a jamais obligée à quoi que ce soit. Et s’ils l’avaient fait je m’y serais opposée », assure cette féministe aguerrie.

Evolutions : Face à son ton parfois fatigué, on ose à peine lui demander si les choses vont changer. « J’ai beaucoup d’espoir ! » répond-elle, avant d’ajouter : « Il y a sept ans, quand je suis allée en prison à Evin, le tchador [long manteau qui couvre tout le corps et ne laisse apparaître que le visage,ndlr] était obligatoire. C’était la première chose qu’on nous donnait une fois incarcérées. J’ai refusé de le mettre. » Elle dit aussi : « Il y a eu des hauts et des bas, j’ai été interdite de droit de visite pendant deux mois. Mais aujourd’hui, il n’est plus obligatoire en prison, du moins à Evin. Il a fallu quinze mois pour qu’un simple tchador soit un choix derrière les barreaux, alors imaginez combien de temps cela va mettre pour un voile qui concerne toutes les femmes ! »

A 54 ans, Sotoudeh n’en est donc pas à ses débuts. Déjà, il y a dix ans, elle défendait les membres de la campagne « Un million de signatures », qui visait à supprimer des lois discriminatoires envers les femmes. Le collectif a reçu le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes en 2009. « A cette époque, toutes celles qui récoltaient des signatures se faisaient arrêter. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le même genre d’activisme. La vérité, c’est que beaucoup de gens sont à bout avec ce voile obligatoire. »

Début février, le centre de recherche stratégique de la présidence iranienne a publié un sondage dans lequel environ 50 % des Téhéranais interrogés se disaient contre le voile obligatoire. Ce rapport visait à alimenter le débat entre les factions conservatrice et réformatrice du pouvoir.

Pour Nasrin Sotoudeh, ce sondage sonnait comme un soutien du gouvernement aux femmes contestataires. « Hassan Rohani est le président du système. Il a, par son titre, un rôle conséquent, mais on ne peut pas attendre de lui qu’il joue le rôle de l’opposition », nuance-t-elle néanmoins.

Depuis l’élection du président réformateur en 2013, elle a constaté des évolutions, surtout au niveau de la publication de livres : « Je connais des gens qui ont dû attendre huit ans pour pouvoir enfin publier leur ouvrage. » Elle se réjouit également de certains discours de Hassan Rohani, mais déplore sans détour « un système judiciaire défectueux, dont les membres ne sont pas élus et qui a le monopole décisionnel en ce qui concerne les droits humains ». Sotoudeh n’y constate « aucune réforme ni amélioration » : « Cela s’est même peut-être dégradé avec la corruption, les relations, l’argent... » Lundi, à la suite du renouvellement des sanctions imposées à l’Iran par l’Union européenne, la porte-parole de la diplomatie iranienne, Bahram Ghassemi, a même déclaré qu’il y a une différence de point de vue et de « valeurs » entre la République islamique et l’UE lorsqu’il s’agit des droits humains.

En 2009, Nasrin Sotoudeh défendait des opposants à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. Passée par la case prison en 2010 pour « actions contre la sécurité nationale et propagande contre le régime », elle a pu reprendre ses activités mais sa liberté d’action reste limitée : « Je ne peux pas plaider dans les tribunaux révolutionnaires, autrement dit, je ne peux plus défendre de prisonniers politiques. »

Notoriété : Mais elle exerce toujours, comme le prouvent les dossiers dans son bureau. L’avocate dit recevoir des menaces par messages privés sur sa page Facebook où elle poste régulièrement et sans censure les dernières nouvelles des tribunaux et ses avancées dans certains dossiers. Elle décrit également des méthodes de dissuasion qu’elle devine venir des renseignements « mais, soupire-t-elle, la vérité, c’est que je ne fais rien d’autre que d’être avocate ». Le prix Sakharov décerné en 2012 par le Parlement européen l’a placée sous les projecteurs. Une notoriété à double tranchant : « Recevoir un prix rend toujours l’Etat plus méfiant envers nous, mais c’est aussi une forme de protection. ». Elle sait qu’elle est sur écoute, mais cela l’étonne moins que de voir que les gens l’admirent et la trouvent courageuse : « Savoir que des personnes soutiennent notre travail, ça donne de l’énergie », souffle-t-elle. Cependant, « ce que les gens appellent du courage, ce n’est pas important. Ce qui l’est toutefois, c’est ce qui se passe dans notre société et comment le monde nous regarde. [...] On marche et on nous arrête, alors qu’on n’a commis aucun crime et qu’il n’y a aucune charge contre nous ! »

Son ton posé et confiant devient un murmure soucieux lorsqu’on lui parle de sa famille : « Jusqu’à présent, mon mari a toujours respecté mon travail, il m’a toujours laissé faire mes choix. Il dit toujours : « Peu importent les conséquences, nous, on finira toujours par s’en sortir. » » Puis, elle nous montre le grand tableau aux couleurs pastel qui occupe tout un mur de son bureau : « C’est ma fille qui l’a peint. Elle passe le concours d’entrée à l’université cette année. » Dans sa voix, une fierté à peine contenue. « Parfois, elle me dit : "Maman, ne va pas plaider comme ça ! Dis-leur à tous que nous, on n’en veut pas de ce voile, un point c’est tout ! » Un sourire furtif et une voix qui s’assombrit d’inquiétude lorsqu’elle parle de son fils, 11 ans : « Il n’avait que 3 ans quand on m’a arrêtée la première fois, il a toujours vécu avec la peur qu’on vienne m’interpeller à nouveau. Je le rassure en lui disant que je prends le moins de risques possible. Je ne vais pas monter enlever mon voile sur une de ces armoires électriques, comme ces femmes, mais à partir du moment où je suis avocate, je suis obligée de les défendre, je n’ai pas le choix et j’espère qu’on ne m’arrêtera pas. » Libre, Nasrin Sotoudeh ne l’est d’ailleurs pas vraiment, puisqu’elle est interdite de sortie de territoire jusqu’en 2022 : « Je suis prisonnière d’un pays, c’est pénible. »

Derrière tant d’abnégation, on imagine une vocation que Nasrin Sotoudeh balaie d’un sourire : « A la base, je voulais m’inscrire en psychologie ou en philosophie. Mais au concours d’entrée à l’université, j’ai été classée 53e sur 300 000 et un ami m’a dit : "Tu ne vas quand même pas t’inscrire en psycho ou en philo avec ce classement-là ! Inscris-toi en droit !" Je ne sais pas si c’était une erreur, mais c’est ce que j’ai fait. » Le qesmat, le « destin », sûrement.

Sara Saidi


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