Les Intouchables d’Etat, bienvenue en Macronie

mercredi 8 août 2018.
 

Arno Lafaye-Moses a lu pour nous le livre de Vincent Jauvert "Les intouchables d’Etat, bienvenue en Macronie". Une lecture particulièrement d’actualité !

« Les conflits d’intérêt vont être le fil rouge du quinquennat ». La sortie de la chroniqueuse en ce début de mois de juillet n’a provoqué aucune réaction sur le plateau TV. Pas même un haussement de sourcil. Parce qu’elle énonce une évidence ? Ou parce qu’entre gens de bonne compagnie on se moque de ces « peccadilles » ?

Alors que les révélations se multiplient -magistrats de la Cour suprême française jugeant leur employeur, ex directeur de cabinet du ministre de l’économie défendant à Bercy les intérêts de son groupe familial, etc.-, le journaliste Vincent Jauvert apporte sa pierre, utile, à la lutte contre ces privilèges trop longtemps tus. Il le fait dans un ouvrage dense et intéressant à valeur de réquisitoire publié en janvier dernier chez Robert Laffont : Les Intouchables d’Etat. L’auteur, également grand reporter au Nouvel Obs, y dénonce l’impunité de l’oligarchie en place qui, au sommet de l’Etat et des grands groupes, anime un système de « renvoi d’ascenseurs » généralisé où la violation des règles déontologiques apparaît comme une figure imposée pour tout haut responsable français qui se respecte… La Macronie certes (hélas) n’est pas à l’origine de ce travers mais, par sa maladresse et sa brutalité, elle en souligne le caractère insupportable ; et, involontairement, contribue à faire tomber les masques.

Le livre de Vincent Jauvert ne s’appesantit pas sur les tenants et les aboutissants de la notion de « conflit d’intérêts » : cet abus est désormais, même si tardivement, reconnu et sanctionné par loi -il suffit d’accéder au journal officiel pour s’en convaincre. Il s’attache plutôt à souligner l’écart entre les principes affichés, y compris par l’autorité législative, et la réalité des pratiques : s’appuyant sur un travail approfondi d’enquête, il dit tout haut et affiche en place publique les liens inédits et souvent dérangeants qui unissent les « premiers de cordées » entre eux et à des intérêts économiques puissants. On apprend ainsi de manière incidente que l’époux de la ministre de la recherche de François Hollande dirigeait le CEA -qui s’en est trouvé fort bien traité budgétairement-, que la lobbyste en chef des banques était précédemment chargée de les contrôler à Bercy, que l’ancien directeur de cabinet de Fleur Pellerin rue de Valois a rejoint la direction d’Hachette Livres dix jours après que son épouse est devenue conseillère « culture » d’Emmanuel Macron, lui-même ancien banquier conseil de Lagardère, ou que l’actuelle ministre des Armées, dont l’époux dirige le service en charge de la gestion des participations publiques -grands équipementiers d’armement compris-, entretient des liens personnels étroits avec des groupes bancaires et industriels.

L’ouvrage, bien informé et qui prend parfois (c’est inévitable) la forme d’un catalogue à la Prévert, évite un écueil majeur : celui de la caricature simpliste et démagogique. En particulier, l’auteur note bien, implicitement, que cette minorité de prédateurs.trices des temps modernes est davantage reliée par des réseaux personnels et familiaux (souvent hérités) que par l’appartenance à deux ou trois grandes écoles -même si les deux se recoupent souvent- qui servent de boucs-émissaires et surtout de leurres pour dissimuler une réalité autrement plus crue : 230 ans après la prise de la Bastille, le pays est toujours dominé par une oligarchie largement fondée sur la naissance.

Autant de pratiques qui, bien qu’elles sapent les fondements du contrat social, sont malheureusement rarement relayées ou a fortiori dénoncées par la presse qui les considère au mieux comme des détails, au pire comme des violations grossières de la vie privée.

A la veille de la discussion au Parlement de la loi PACTE, gigantesque cadeau de l’exécutif à ses amis des banques[1], des cabinets d’avocats d’affaires (Edouard Philippe[2], Jean-François Copé, Bernard Cazeneuve, Nicolas Sarkozy, etc. en sont ou en ont été) et autres gestionnaires d’épargne collective (comme Rothschild & co, récent employeur du chef de l’Etat), la lecture de l’ouvrage éveille et renforce la vigilance des citoyens que nous sommes.

Reste à faire en sorte qu’il soit mis fin à ces dévoiements. Davantage que les conclusions d’une énième commission parlementaire sur le sujet, le tome 2 et les solutions de l’auteur, qui connaît manifestement très bien le sujet, sont attendus avec impatience !

NOTES

[1] Le livre nous apprend que l’actuel directeur de cabinet du ministre de l’économie est un ancien cadre dirigeant de Vinci et du groupe bancaire Mediobanca, récemment mandaté -et grassement rémunéré en commissions à la charge du contribuable- pour la privatisation de l’aéroport de Nice.

[2] Avocat de 2004 à 2004 au sein du cabinet Debevoise & Plimpton qui a son siège à New-York.


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