Macron 2017 La preuve que l’affaire a été entéerrée

mardi 1er février 2022.
 

Le préfet Cyrille Maillet, nommé par Emmanuel Macron à la tête d’un service du ministère de l’intérieur, a personnellement classé l’enquête concernant des prestations de sécurité suspectes durant la campagne présidentielle, avec des motifs fallacieux et contre l’avis de trois sous-directeurs.

C’est la preuve écrite d’un enterrement de première classe. Un préfet nommé par Emmanuel Macron à la tête d’un service de police administrative du ministère de l’intérieur a personnellement classé une enquête concernant des prestations suspectes durant la campagne présidentielle du chef de l’État en 2017, et ce contre l’avis de trois de ses chefs et sous-directeurs qui réclamaient tous des poursuites administratives.

Daté du 17 décembre 2020, cet avis de classement, que Mediapart a décidé de publier (voir ci-dessous), confirme les conditions dans lesquelles le préfet Cyrille Maillet, nommé par l’Élysée à la tête du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) en 2018 et reconduit dans ses fonctions à l’été 2021, a décidé d’étouffer une enquête, par définition sensible, conduite par son service sur l’organisation d’une partie de l’équipe de sécurité de campagne d’En Marche !

Ouverte en 2019 après le témoignage d’un lanceur d’alerte, cette enquête administrative a mis en lumière les conditions douteuses dans lesquelles ont travaillé des agents de sécurité mobilisés pendant la campagne présidentielle à la demande de l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla, en plus des services officiels de protection. Sur procès-verbal, plusieurs agents avaient reconnu l’absence de contrats de travail ou évoqué l’existence d’espèces en guise de rémunération.

Auprès de Mediapart, Alexandre Benalla s’était dédouané, expliquant que « la question du choix des prestataires et du paiement de ces derniers n’était pas de [son] ressort mais de celui des responsables financiers de la campagne et du mouvement » (lire notre enquête).

À l’issue de leurs investigations, les enquêteurs du Cnaps ont recensé dix-neuf manquements administratifs mais aussi plusieurs infractions pénales présumées (du « travail dissimulé », notamment). Dans leur rapport de fin de contrôle, rédigé en 2020, ils concluent à des prestations « vraisemblablement réalisées dans des conditions illégales ». Mais l’affaire, remontée à leur hiérarchie, a connu de nombreux obstacles, comme le prouvent plusieurs documents et témoignages réunis par Mediapart.

Côté judiciaire, la direction du Cnaps n’a pas voulu saisir la justice de ces faits. Il a fallu que les enquêteurs locaux décident d’eux-mêmes, en décembre 2019, d’effectuer un signalement au parquet de Grasse (Alpes-Maritimes), département où évoluent les agents concernés. Les éléments ont depuis été joints à une procédure déjà en cours sur d’autres faits concernant l’un des agents au cœur du dossier, Fortunato Basile, figure locale du monde de la sécurité privée et proche d’Alexandre Benalla. Mais le principal intéressé n’a toujours pas été entendu, de son propre aveu.

Côté administratif, trois responsables du Cnaps (le délégué territorial, le chef du service central du contrôle et le directeur adjoint chargé des opérations) avaient successivement recommandé, fin 2020, de saisir la commission disciplinaire – la Commission locale d’agrément et de contrôle (CLAC) — pour que des sanctions soient prononcées. Ils avaient invoqué la « gravité » des faits et de « très nombreux manquements », notamment un « défaut d’autorisations Cnaps » et l’absence de carte professionnelle pour « cinq salariés ».

Mais à rebours de ces trois avis concordants, le directeur du Cnaps a donc décidé de clore l’affaire, comme l’atteste l’avis de classement. Une décision que Cyrille Maillet a justifiée par un argument fallacieux : ce « dossier de 2017 » serait « trop ancien » pour saisir la commission disciplinaire, a-t-il indiqué sur son avis.

Sollicité par Mediapart, le patron du Cnaps confirme avoir pris cette décision « même si l’on est d’accord pour dire que ces faits sont graves et méritaient d’aller en commission comme l’ont indiqué [ses] collaborateurs dans leurs avis ». « Il me revient de déterminer les équilibres qui, au regard des délais, risquaient sur ce dossier, comme sur de nombreux autres, de ne pas nous être favorables en droit à terme », ajoute-t-il.

Cyrille Maillet soutient encore que le risque de prescription était important s’agissant d’un « dossier datant de 2017 ». Cette affirmation est plus que contestable : d’abord parce que si les faits datent de 2017, le dossier a été ouvert plus tard, en 2019, comme finira d’ailleurs par le reconnaître le préfet après une relance de Mediapart.

Mais surtout parce que, selon le Code de la sécurité intérieure, les délais régissant les règles de la prescription sont très clairs : son article L.634-4 dispose que le Cnaps « ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s’il n’a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ». Le dossier Macron 2017 était donc parfaitement dans les clous, selon de nombreuses sources concordantes.

Interrogé à nouveau pour savoir sur quel fondement juridique précis a reposé son classement, Cyrille Maillet n’a pas répondu. « Nous traitons chaque année entre 1 500 et 2 000 dossiers de ce type et il est très fréquent que la décision finale que je prends soit différente de celle des avis établis par mes collaborateurs », a-t-il simplement rappelé.

Ancien conseiller du cabinet de Claude Guéant au ministère de l’intérieur et ex-directeur de la police générale à la préfecture de police de Paris, Cyrille Maillet, 57 ans, avait été nommé à la tête du Cnaps par Emmanuel Macron en 2018, puis renouvelé à ce poste en août dernier.

Fabrice Arfi, Antton Rouget et Marine Turchi


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