Après dix ans de gouvernement Tony Blair en Grande Bretagne, le fossé entre riches et pauvres s’est élargi

dimanche 3 juin 2007.
 

Inégalités : Blair n’a pas effacé les années Thatcher.

Depuis cinq ans, Nick vit à Londres avec l’équivalent de 15 euros par jour. Posté devant un Tesco de South Kensington, il vend The big issue, un mensuel de réinsertion.

Sur chaque numéro, il gagne 70 pence. « Je suis chanceux quand j’arrive à en écouler une quinzaine : je peux payer mon hôtel », explique-t-il le regard fixé sur le bout de ses chaussures. Nick travaillait dans un cabinet d’analyse financière, à la City. Mais à la mort de son fils, il a brûlé sa vie : démission, divorce, faillite, tentative de suicide... Il n’est jamais parvenu à remonter la pente. Chômeur isolé, il ne touche pas un penny de l’État. En tournant la tête vers la gauche, Nick peut apercevoir un haut lieu des golden boys londoniens : le concessionnaire Lamborghini. En février, le modèle Gallardo Coupé a fait un malheur. Prix de vente « on the road » : 214 400 euros. Il faut dire que cette année, les bonus ont dépassé le montant record de 30 milliards d’euros...

Selon les derniers chiffres publiés par l’Office national de la statistique, les revenus des 20 % des ménages britanniques les plus riches sont seize fois plus élevés que ceux des 20 % les plus pauvres (100 900 euros, contre 6 220 euros). Corrigé des impôts prélevés et des allocations versées, le rapport est ramené de un à quatre : 72 500 euros, contre 19 850 euros.

Fracture sociale

Une démonstration de l’efficacité redistributive ? Pas si sûr. Car après s’être un peu tassées, les inégalités de revenus ont presque renoué en 2002 avec leur niveau record de 1990. Traduction : Tony Blair n’a pas réduit la fracture entre riches et pauvres héritée de Margaret Thatcher. « À partir de 2002, on a observé un léger repli, mais les derniers chiffres de 2006 traduisent une augmentation sur l’année précédente, et la dernière tendance suggère que les inégalités vont encore s’accroître », note Francis Jones, chercheur à l’ONS.

Alors conseiller du premier ministre, Peter Mandelson avait demandé en 1997 aux Britanniques de juger le New Labour au bout de dix ans sur une question centrale : la société est-elle devenue plus égalitaire ? Les conservateurs se sont souvenus de la question et ont profité des statistiques de l’ONS pour attaquer le bilan social des travaillistes. « Les inégalités ont augmenté et les plus pauvres paient une proportion d’impôt sans précédent par rapport à leurs revenus », a critiqué le conservateur George Osborne, ministre des Finances du cabinet fantôme. Le débat est d’autant plus passionné qu’il ne se résume pas à une opposition entre production et redistribution. Membre de l’actuel cabinet, Jim Murphy a récemment déclaré que l’État providence « ne pourrait jamais » verser des allocations assez élevées pour sortir les gens de la pauvreté. Selon lui, il n’existe désormais qu’une « seule route » : le travail.

Sans l’exposer aussi crûment, le New Labour n’a cessé d’explorer cette voie. Depuis 1997, le chancelier de l’Echiquier Gordon Brown a multiplié les mesures pour doper les revenus des employés les plus démunis. Le salaire minimum a été introduit en 1999. En six ans, il a été réévalué de plus de 40 % et atteint aujourd’hui 7,83 euros de l’heure.

Déclin de la mobilité sociale

Autre mécanisme, emprunté aux démocrates américains avant d’être copié par la France : le crédit d’impôt. Aujourd’hui, 20 millions de Britanniques bénéficient de cet « impôt négatif » qui, pour les travailleurs pauvres, rend l’activité plus attractive que la dépendance. Parfois, des allocations chômage - les in-work benefits - continuent aussi d’être versées après la reprise d’un emploi. Et puis les modalités d’indemnisation en cas de chômage incitent à la recherche d’un nouveau poste. Résultat, il n’y a jamais eu autant de pauvres parmi les sans-emploi célibataires.

La fiscalité est un amortisseur d’inégalité. Mais selon l’ONS, les allocations sont plus efficaces : 40 % des revenus les plus bas touchent 60 % des subsides publics. Le gouvernement a privilégié les mères seules et les familles. Avec l’idée qu’il était plus populaire d’aider les enfants que leurs parents. Aujourd’hui, 2,8 millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté (environ 320 euros par semaine pour une famille de quatre membres). C’est 700 000 de moins qu’en 1997, mais encore 1,3 million de plus que l’objectif du gouvernement à l’horizon 2010. Ce progrès n’empêche pas que 13 % des adolescents quittent à tout jamais le système éducatif à l’âge de 16 ans. Un chiffre en progression.

Jusqu’à présent, la croyance dans la méritocratie permettait aux Britanniques d’accepter une société inégalitaire. Mais voilà, la mobilité sociale décline. L’opportunité de passer de la classe des plus démunis à celle des plus fortunés est moins élevée aujourd’hui que dans les années 1960. Et la classe politique se déchire, y compris au sein du parti conservateur, sur la meilleure manière d’associer la réussite sociale au succès économique.

Rémi Godeau, correspondant à Londres pour le Figaro


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