Biodiversité. Le conseil constitutionnel interdit la vente de semences paysannes

mercredi 26 décembre 2018.
 

Le 2 octobre 2018 dernier, la loi Egalim avait été adoptée par l’Assemblée nationale, après plus de 9 mois de débats parlementaires intensifs. Cette loi Agriculture et Alimentation offrait d’encourageantes perspectives pour obtenir une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Pourtant, 23 des 98 articles viennent d’êtres censurés par le Conseil Constitutionnel, mettant un coup d’arrêt aux avancées saluées par les défenseurs de la biodiversité.

Lors de l’adoption de la loi Egalim (pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) autorisant la vente de semences libres ou paysannes, de nombreuses organisations paysannes et défendant l’environnement s’était réjouies de la victoire apportée par l’article 78. Jusqu’ici réservée aux grands groupes semenciers tels Monsanto, DuPont et Dow Chemical, la vente aurait ainsi été permise à des associations comme Kokopelli ou le Réseau Semences Paysannes. La loi prévoyait l’autorisation de la vente de semences anciennes à tous. Les géants des semences allaient perdre leur hégémonie sur ce gigantesque marché très lucratif. Le 25 octobre, le Conseil Constitutionnel a finalement décidé de censurer 23 des 98 articles de la loi Egalim, soit plus d’un quart du texte de loi.

En plus de l’article 78, des avancées majeures ont ainsi été perdues comme l’article 86 sur l’intégration de la biodiversité et de la préservation des sols à l’enseignement agricole, et l’article 43 sur l’étiquetage des miels composés de mélanges ou l’article 56 sur la représentation des associations de protection de l’environnement dans les comités nationaux de l’Institut national de l’origine et de la qualité. Les articles censurés

L’article 78 sur « la cession à titre onéreux de variés de semences relevant du domaine public » : article majeur, il permettait à quiconque de donner, d’échanger mais également de vendre des semences de variétés non inscrites au catalogue officiel des utilisateurs non-professionnels. Cela s’étendait donc du petit jardinier amateur jusqu’aux collectivités publiques.

L’article 86 sur « l’intégration de la biodiversité et de la préservation des sols à l’enseignement agricole » : Mieux instruire pour mieux préserver la nature et nos sols demain, c’était pourtant un objectif noble qui aurait permis une meilleure compréhension des besoins et des nécessités de notre terre, pour une agriculture plus saine et durable, et sur du long terme.

L’article 43 sur : « l’étiquetage des miels composés de mélanges » : si l’origine du miel ne vaut fondamentalement pas un gage de qualité, cette mesure avait pour but de rassurer le consommateur quant à la qualité du produit. L’étiquetage automatique aurait également pu construire un moyen dissuasif envers les importations, parfois douteuses, qui sont proposées dans nos supermarchés discounts.

Influence des lobbies

A l’origine de cette décision, plus de soixante sénateurs (LR) avaient saisi le Conseil Constitutionnel car ils estimaient que certains des articles de la loi Egalim « méconnaissaient plusieurs principes constitutionnels ». Si la saisine du Conseil constitutionnel par des parlementaires est prévue par la Constitution, la raison de la censure des articles questionne.

La loi Egalim avait été écrite après avoir rassemblé pendant plusieurs mois entreprises, ONG environnementales et organisations du monde agricole autour des Etats Généraux de l’Alimentation. Cette consultation participative unique devait permettre à « chaque partie prenante d’être gagnante ». La bataille a fait rage pendant des mois entre les différents participants, et ensuite entre le Sénat et l’Assemblée nationale, avant de pouvoir accoucher de ce texte législatif.

Malgré tout ce travail collectif, c’est finalement la seule décision de 8 « sages » (M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT) du Conseil Constitutionnel qui a donné son visage définitif au texte de loi adopté début novembre. Ces sages ne sont pas élus mais désignés arbitrairement par le Président de la République et les présidents des assemblées parlementaires (Assemblée nationale et Sénat). Le Conseil constitutionnel est aujourd’hui suspecté d’être sous influence trop importante des lobbies.

Un échec de la démocratie participative

Pour comprendre pourquoi cette censure est d’autant plus troublante, il faut revenir sur l’origine de cette loi : tout commence le 20 juillet 2017 par le lancement de la consultation des États généraux de l’alimentation (EGA) sur une plateforme dédiée. Cette consultation publique permettait de mettre autour de la même table, des entreprises, ONG environnementales et organisations du monde agricoles, afin de préparer collectivement le projet de loi #Egalim (pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable).

Alors même que la consultation des États généraux de l’Alimentation (EGA) devait contribuer à l’apaisement et la transparence du débat, la censure du Conseil constitutionnel de 23 articles pour des raisons « douteuses » relance la polémique autour des activités de lobbying auprès des « Sages de la République », dans un contexte de méfiance déjà palpable vis-à-vis de cette institution. Les associations vent debout

Pour l’association Kokopelli, la censure des 23 articles de la loi Egalim représente « un camouflet insensé pour la démocratie représentative et le droit d’amendement des élus de la République. Nous devons ouvrir les yeux au plus vite, l’avenir des semences, de l’agriculture et plus largement de la ‘démocratie’ sont en jeu ! , prévient son président Ananda Guillet. Cette décision, au motif lapidaire et peu argumenté, provoque une fois encore une grave suspicion d’influence de certains lobbies au cœur du Conseil constitutionnel et met en doute l’impartialité de l’institution et sa raison d’être dans une démocratie. Les 9 membres du Conseil constitutionnel sont nommés (par le président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale), ils doivent être les garants de notre constitution, sans mettre – en principe – en danger le processus démocratique et le débat des élus. 9 personnes qui, dans le cas de la loi Egalim, viennent à eux seuls de balayer des mois de débats parlementaires sur des sujets pourtant cruciaux au regard de l’urgence écologique. »

Se considérant comme des lanceurs d’alerte, les membres de Kokopelli ne comptent pas s’arrêter là, bien au contraire. « Cela fait vingt ans que nous faisons notre travail dans l’illégalité et nous allons continuer. Pour nous, cela ne change rien », affirme leur président. L’association, compte aujourd’hui entre dix et douze mille adhérents et près de 130 000 comptes clients dans sa base de données et a envoyé en 2017 plus de 700 000 sachets de semences en France et à l’étranger.

Pour sa part, Les Amis de la Terre veut forcer les « sages » à publier publiquement les « contributions extérieures » que lui font de façon opaque des groupes d’intérêts privés avant de prendre des décisions, ces « propositions » étant pour l’instant publiées après la décision prise par le Conseil. L’associatopn a donc déposé un recours inédit contre le Conseil constitutionnel pour mieux encadrer l’influence qu’exercent les forces économiques sur les Sages. La réponse est attendue d’ici … un an !


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