Les responsables politiques américains, retenus aux Etats-Unis par le shutdown de l’administration fédérale, ont laissé le champ libre à la centaine de participants chinois.
Quand le chat n’est pas là, les souris dansent, même à Davos. La défection des responsables politiques américains au Forum économique mondial cette année, retenus aux Etats-Unis par le shutdown de l’administration fédérale, a laissé le champ libre à la centaine de participants chinois, qui ne se sont pas privés de l’exploiter. Dans la grande rivalité sino-américaine qui dessine de plus en plus le paysage géopolitique sur fond de tensions commerciales, l’avantage, cette semaine sur la montagne suisse, revient à l’empire du Milieu.
Pour ne pas être totalement absents, les Américains ont quand même négocié une intervention du secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, en séance plénière… retransmise sur un écran par satellite, mardi 22 janvier. Cela a permis à Wang Qishan, le vice-président chinois, qui s’exprimait, lui, en chair et en os le lendemain, d’ironiser sur son compte, en réponse à une question à propos de l’optimisme : « Si M. Pompeo, dont j’entends dire qu’il a dû faire son discours par visioconférence, se déclare optimiste, a-t-il dit, alors moi, je suis encore plus optimiste ! »
Pas question pour les Chinois de manifester une quelconque nervosité face à l’information qui fait la « une » des journaux que l’on lit à Davos ces jours-ci : le ralentissement de la croissance à un niveau sans précédent depuis 1990. « Il y a toutes sortes de théories là-dessus, a répondu le vice-président chinois. Certains disent que la Chine a atteint la fin de sa croissance, mais non. En fait, nous sommes en train d’atteindre une croissance durable. Ce qui compte, c’est que nous gérons bien nos affaires. »
Plus nuancé, Fang Xinghai, vice-président de la Commission de régulation boursière chinoise, veut bien reconnaître « quelques difficultés sur le court terme. Mais la Chine, assure-t-il, dispose d’assez de leviers pour soutenir l’économie. Les perspectives de moyen et long terme sont positives, ce qui est une bonne nouvelle pour le reste du monde. » Dans les couloirs, les officiels dépêchés par Pékin rappellent que la deuxième économie mondiale contribue toujours à générer 30 % de la croissance planétaire.
Ces discours rassurants n’ôtent pas les doutes à Davos, tant le moteur chinois est essentiel à la bonne marche des affaires mondiales. L’offensive commerciale lancée par Donald Trump, remarque-t-on, commence bel et bien à produire ses premiers effets. « L’économie chinoise a changé de nature : aujourd’hui, elle repose davantage sur la consommation, analyse Glenn Youngkin, coprésident du fonds américain Carlyle. Et dans ce contexte de tensions, les consommateurs sont inquiets. Ils dépensent moins. »
Les participants au Forum ne croient guère que le différend opposant Washington et Pékin, jugé de plus en plus profond, puisse être réglé par un arrangement purement commercial. « Les droits de douane ne sont qu’un aspect de la confrontation, insiste Kevin Sneader, associé-gérant monde du groupe de conseil McKinsey. Le véritable enjeu, c’est de savoir qui dominera la scène technologique mondiale de demain. »
Dans cette compétition, les entreprises doivent trouver le moyen de naviguer. Choisir un camp ? Difficile de l’imaginer, tant ces deux pôles incontournables de l’économie mondiale conservent des systèmes inextricablement liés. Rares aussi sont ceux qui croient les Etats-Unis capables de stopper la montée en puissance de la Chine, malgré l’angoisse américaine de se voir rattrapé. « C’est désormais trop tard, juge Jin Keyu, professeur à la London School of Economics. Si les Etats-Unis voulaient bloquer la Chine, son développement économique et ses avancées technologiques, ils auraient dû s’y prendre dix ans plus tôt. » Corriger les « déséquilibres »
Pour les intervenants chinois à Davos, la responsabilité de Donald Trump dans ce qu’ils qualifient de guerre commerciale est claire. « Ce qui différencie ce président de ses prédécesseurs, commente le doyen de l’école des relations internationales de l’université Tsinghua, Yan Xuetong, c’est l’incertitude. Cela nourrit les craintes, car même si l’on parvient à un accord avec lui, combien de temps tiendra-t-il ? Deux semaines ? Trois semaines ? Aussi longtemps que Trump sera au pouvoir, l’incertitude se maintiendra. »
Alors, face à ce mauvais élève qui privilégie les rapports de force bilatéraux, et fidèles à la ligne fixée par le président Xi Jinping il y a deux ans à Davos, dans un discours désormais célèbre « dont il est convaincu qu’il a eu un impact majeur sur le monde », souligne son vice-président, les Chinois ne manquent pas une occasion de rappeler leur foi dans le multilatéralisme. S’il est une chose qui les inquiète, beaucoup plus que le ralentissement de leur croissance, ce sont les difficultés économiques de certaines économies développées et surtout la révolte qu’elles entraînent au sein des opinions publiques contre la mondialisation.
L’idée que celle-ci puisse être menacée par l’incapacité des gouvernements occidentaux à la gérer correctement fait visiblement frémir à Pékin. Pour avoir trop « mis l’accent sur l’efficacité au détriment de l’équité », a expliqué Wang Qishan, ces gouvernements sont désormais contraints de pallier les « déséquilibres ». C’est à eux de le faire, affirme le vice-président chinois, avec ce conseil : « Il faut agrandir le gâteau et le partager plus équitablement. La dernière chose que nous devons faire, c’est arrêter de faire le gâteau et nous perdre dans des débats futiles sur la manière de le diviser. »
Il faut surtout éviter « d’aggraver les choses ». Une fois les déséquilibres corrigés, le retour de bâton cessera et « cette tendance historique pourra continuer ». Pour le plus grand bonheur des dirigeants du Parti communiste chinois.
Sylvie Kauffmann (Davos (Suisse), envoyée spéciale) et Marie de Vergès (Davos (Suisse), envoyée spéciale)
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