À LFI, on essaye d’articuler les temps de la réflexion et de l’action

mercredi 23 octobre 2019.
 

Entretien avec Prune Helfter-Noah, juriste, membre de La France insoumise (LFI) et co-animatrice du mouvement d’éducation populaire Utopia

Regards. Avec le recul, quel regard portez-vous sur les européennes ?

Prune Helfter-Noah. À posteriori, le résultat n’était pas à la hauteur de nos ambitions et du coup, il y a eu beaucoup de déception, de critiques aussi. Mais de l’intérieur – j’étais candidate en position non-éligible – j’ai trouvé qu’on avait fait une campagne vraiment dynamique – le meilleur de ce que sait faire La France insoumise – menée par une tête de liste qui est à la fois intelligente, drôle et pertinente. Le positionnement de Jean-Luc Mélenchon était le bon : il était là sans être omniprésent. J’ai le sentiment qu’il y a tellement de facteurs exogènes lors d’une élection que la responsabilité de LFI, comme celle des autres partis, est assez limitée dans les succès comme dans les échecs. Les européennes sont des élections qui mobilisent très peu. Elles paraissent toujours très lointaines des préoccupations des électeurs, avec des problématiques très techniques. Du coup, le débat a tendance à se sur-simplifier entre deux camps. D’un côté ceux qui sont pour la protection des frontières et de l’identité nationale : l’extrême droite et l’extrême centre. De l’autre côté : les écolos, qui tirent logiquement les fruits du fait que l’écologie et l’environnement arrivent enfin sur le devant de la scène – des thèmes qu’ils portent depuis des années, alors même qu’ils n’intéressaient personne auparavant. Reste des miettes pour les mouvements et les partis qui apparaissent moins identifiables en terme de positionnement.

Justement, EELV n’est-elle pas en train de gagner la bataille du leadership à gauche, l’écologie étant devenue LA problématique centrale ?

Il faudrait déjà savoir s’ils sont sûrs de se positionner à gauche. De manière traditionnelle, historique, on a tendance à le faire. Plus jeune, il m’est arrivé plusieurs fois de voter pour Les Verts, qui étaient évidemment de gauche. Aujourd’hui, c’est moins clair. Ils sont plutôt en train de renforcer un positionnement de marque autour des questions écologiques, en essayant de jouer du brouillage des frontières entre la droite et la gauche.

Après les européennes, Clémentine Autain avait initié un débat interne au sujet de la stratégie de La France insoumise. Concrètement, est-ce qu’il y a eu des suites ?

La France insoumise est assez gênée pour traiter ces questions de débat politique et de démocratie interne. Le mouvement n’a pas été créé pour ça. Il a été créé dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017, avec la volonté de ne pas devenir un parti, avec les avantages et les inconvénients que cela comporte. Ces questions de ligne politique et stratégique, finalement, LFI se trouve démunie pour les traiter de façon rationnelle et satisfaisante, parce qu’elle a refusé de se doter des instances pour le faire.

Pourtant, des choses sont tranchées en interne. La désignation d’Adrien Quatennens au poste de numéro 2, par exemple, ou encore le choix des candidats aux élections…

J’ai longtemps travaillé pour Médecins du monde, qui n’est pas un parti politique et donc à qui on ne demande pas d’avoir un fonctionnement démocratique. À LFI, il y a beaucoup d’activités, de réflexion, des gens de qualité sont nommés, etc., mais les procédures ressemblent plus à ce que fait le monde associatif…

Mais LFI n’est pas une association caritative, elle a prétention à faire de la politique…

N’allez pas croire non plus que les procédures d’un parti politique sont fantastiques ! LFI, pour moi, est ce qui s’est fait de mieux en France depuis que j’ai l’âge de voter. J’y ai adhéré avec énormément d’enthousiasme, d’abord autour du programme « L’avenir en commun », qui est le résultat de toutes les luttes des collectifs, associations et syndicats de gauche de ces quinze dernières années. LFI est un objet politique avec un contenu extrêmement puissant. Mais son devenir actuel est lié aux circonstances de sa création : Mélenchon 2017. Sans Jean-Luc Mélenchon, il n’y aurait pas eu de France insoumise et, en même temps, ça peut constituer un handicap quand on considère l’élection présidentielle comme l’alpha et l’oméga de la vie politique française. Je prête beaucoup d’attention à ce qui se fait sur le municipalisme. Pour moi, en terme de méthode et de forme politiques, c’est l’avenir de la démocratie. C’est le seul moyen d’impliquer les citoyens dans la gestion de la chose publique. Il faut faire éclater les formes traditionnelles. Dans une certaine mesure, LFI est encore assez traditionnelle. En refusant de devenir un parti, elle a eu l’ambition de changer la façon dont on fait de la politique, ce qui est séduisant. Mais elle ne fait pas assez confiance aux gens pour passer à l’étape suivante, qui serait de faire exploser le cadre et de travailler beaucoup plus par tirage au sort. Il y a un gros travail programmatique qui avait été fait sur la VIème République, pour rénover la démocratie en partant de sa constitution. Ensuite, il y a des travaux actuels qui sont foisonnant sur la rénovation de la démocratie locale. LFI s’en est un peu saisi pour les municipales, lors de l’assemblée citoyenne de début juillet. Mais en pratique, on sent qu’elle hésite à aller au bout de cette logique.

Justement, au sujet des municipales, on a du mal à comprendre la stratégie de LFI. On trouve des listes citoyennes qui avalisent un candidat LFI (mais Jean-Luc Mélenchon assure qu’il n’y aura « pas de listes insoumises dans le pays »), on trouve aussi des listes de rassemblement des partis de gauche. En fait, il n’y a pas de stratégie nationale ?

Il y a une stratégie, très claire et enthousiasmante, qui a été votée par les insoumis début juillet : faire les choses différemment, de façon plus citoyenne. La déclinaison locale est beaucoup plus traditionnelle et prend des libertés avec ces textes-là. Tenant compte du résultat des européennes, les cadres de LFI doivent, sans doute, modérer leurs ambitions pour les municipales. Et puis, les municipales, ce sont encore des territoires préemptés par des forces politiques ou des personnages locaux. Il est difficile d’arriver et de remettre en question tout ça avec nos petites forces.

Quelle est la cohérence de La France insoumise ?

LFI ne se contente jamais du discours. Un programme n’a de sens que si on a la volonté et les moyens de le mettre en œuvre. On rêve et on réfléchit très haut, on se prépare à gouverner et, en même temps, on essaye d’avoir une action visible, efficace, immédiatement. À LFI, on essaye d’articuler les temps de la réflexion et de l’action. C’est ce mélange qui fait qu’on retrouve chez ses membres une grande diversité d’origine et de parcours, tout en étant très soudés sur ces ambitions-là.

Comment est-ce qu’on peut passer de 19,58% (25,94% si l’on y ajoute le score de Benoît Hamon) à une présidentielle, puis sombrer ainsi en deux ans seulement ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?

LFI est un mouvement qui génère tellement d’espoir que les frustrations et les déceptions peuvent être tout aussi grandes. Comparé à d’autres partis, on n’a pas le même rapport à la politique. À LFI, c’est presque passionnel, nos militants sont vraiment enflammés. Quant aux résultats électoraux, les 19% de 2017, c’était quand même une surprise. Bien sûr qu’à un moment on a cru que Jean-Luc Mélenchon pouvait être au deuxième tour. C’était la première fois qu’un mouvement positionné aussi à gauche sur l’échiquier politique arrivait aussi haut à une présidentielle. C’était plutôt ça l’anomalie. Il y a eu une conjonction de plusieurs choses : la personnalité et la campagne exceptionnelle de Jean-Luc Mélenchon ; la dynamique instaurée derrière lui, autour de gens comme Charlotte Girard ; pas de candidat écolo ; et puis le vote utile par rapport à Benoît Hamon. Plein de planètes étaient alignées. Aux européennes, on retombe à un étiage qui représente la gauche radicale, le cœur de cible. On a perdu la gauche plus « môle », effrayée par un certain nombre d’épisodes, un peu dégrisée à la suite de la présidentielle. On n’a pas gagné les abstentionnistes. La dynamique est un peu retombée.

Quelle est la place de Génération.s à gauche ?

Je trouve que Génération.s apporte de propositions très intéressantes. C’était très innovant de porter dans le débat public un thème comme celui du revenu universel. Génération.s fait partie de ce qu’il reste de la gauche, avec les insoumis, les communistes et une partie des Verts.

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