Emmanuel Macron, Président égaré

samedi 16 novembre 2019.
 

Les Français ont cru élire un homme jeune, ouvert, capable de comprendre les enjeux des temps présents, audacieux et visionnaire. Que nous en dit sa pratique du pouvoir ?

Un Président de la République qui donne une très longue longue interview à la revue phare de tous les ultra-conservateurs, réactionnaires et autres fachos de France et de Navarre a une évidente portée politique. Elle revient à cautionner ceux qui voient tous les problèmes de la France à travers le prisme de son identité, qui serait menacée par l’émergence d’une part significative de sa population de confession musulmane et d’origine africaine, qu’aggraverait encore plus l’arrivée de nouveaux migrants de mêmes origines.

Déjà, lors de l’annonce des quatre thèmes de son « Grand débat » en réponse à la révolte des « Gilets Jaunes » en décembre dernier, Emmanuel Macron avait voulu inscrire l’identité française et les flux migratoires au menu. En dépit du bon sens, puisque l’extrême-droite, malgré son activisme et sa forte présence sur les ronds-points occupés, s’était cassé les dents à vouloir retourner artificiellement la colère populaire contre les migrants. Il s’est fait recadrer par son Premier Ministre, qui a modifié l’intitulé du débat voulu par le Président au profit d’une autre formulation noyant le poisson.

La conception profonde qu’a le Président de la République de ce qu’est l’identité française n’est peut-être pas si éloigné que cela de celle des lecteurs de « Valeurs Actuelles ». C’est en tout cas ce qu’exprime le décorum qu’il a choisi pour son investiture. L’homme seul marchant vers son destin, dans une cours du Louvre quasiment sans drapeaux tricolores, s’inscrivait symboliquement dans les pas de la France éternelle de Charlemagne, plutôt que dans ceux glorieux des Sans-culottes de 1789. « La France éternelle aux racines chrétiennes », c’est la France Blanche, celle qui abhorre le métissage et ne rêve que de remettre en cause le Droit du sol qui stipule qu’un enfant né et grandi en France est français, quels que soit l’origine de ses parents.

Cette part de la France que les lecteurs de V.A voudrait rayer du pays s’est exprimé ce week-end de triste façon. « Les jeunes de banlieues », ont incendié une école à Bézier, et un cirque à Chanteloups-les-Vignes, pour lequel le Préfet et la Maire ont désigné les dealers comme coupables de cet acte criminel. Il n’est pas sûr que ce soit le cas. Dans les quartiers gangrenés par le trafic de Cannabis, l’ordre règne. Les émeutes perturbent le « bizness » et génère des pertes financières. Les dealers sont des ultra-capitalistes qui ne pensent qu’à l’argent. Les autres, la misère sociale, ils n’en n’ont rien à foutre. Le plus probable est qu’ils ont été débordé par des plus jeunes, qui ont pourtant bénéficié des équipements qu’ils ont brulé. Leur message à l’adresse des autorités est simple : « arrêtez de faire semblant de vous occuper de nous, alors que vous nous avez relégué à vie ».

L’argent sale généré par le trafic de stupéfiants pourrit la mentalité de ces quartiers en dessinant une société « parallèle » régit par la loi du plus fort, aux antipodes des valeurs républicaines. La seule façon d’assainir les esprits dans ces quartiers est de légaliser le Cannabis. Ce mouvement inéluctable impulsé depuis l’Amérique du Nord se déploie inexorablement sous nos yeux. Emmanuel Macron ne le voit pas, pas plus qu’il n’entend le PDG de Pernod-Ricard inquiet du retard qu’il prend face à ses concurrents anglo-saxons comme Coca-Cola, qui investissent massivement dans des boissons dérivées du Cannabis, alors que lui est bridé. Pour rester dans la course, Pernod-Ricard va devoir finir par créer une filiale étrangère au Canada, seul pays où le Cannabis est côté en bourse, au grand dam des banquiers de Wall-Street. Ils font des pieds et des main auprès de Donald Trump pour que New-York s’y mette aussi, sans attendre. Ils en ont marre de voir les milliards de dollars d’investissement de ce que certains qualifie « d’or vert » filer chez leur voisin canadien. Nous avons pour Président un ex-banquier. C’est le genre de signaux forts qu’il devrait comprendre. Apparemment, ce n’est pas le cas.

Pendant ce temps, en France, des procureurs de la République menacent de fermeture les magasins qui distribuent des dérivés légaux du Cannabis puisque quasiment sans THC, sans aucune considération pour les personnes malades chez lesquelles ces produits ont un effet bénéfique. Quand aux médecins français, ils n’en peuvent plus d’entendre les collègues étrangers qu’ils croisent dans les congrès internationaux exposer les multiples résultats qu’ils obtiennent dans de nombreuses pathologies grâce aux molécules que recèle le Cannabis. Récemment, face au ras-le-bol des chercheurs français, la Ministre de la Santé a annoncé qu’elle autorisait des recherches thérapeutiques pour l’usage de cannabis chargé en THC comme anti-douleur « d’ultime recours ». Il est dommage qu’elle n’ait pas précisé comme ultime recours à quoi. En l’occurrence, aux opiacés. Sans à peine caricaturer, on peut dire qu’en France, on préfère prescrire de l’héroïne plutôt que de « t’exposer » au Cannabis. Il parait que la ministre est médecin, pourtant, on doit être le seul pays au monde à marcher ainsi sur la tête.

Il n’y a pas assez d’argent pour les services publics, mais assez pour le jeter par les fenêtres en s’obstinant à vouloir maintenir notre dépendance au nucléaire. Les coûts et les délais de construction de notre « fleuron » en la matière, l’EPR de Flamanville, ont été multiplié par pelletés de milliards d’euro, sans que l’on soit sûr que l’inflation soit bien finie, tant les surprises, malfaçons, pièces défectueuses, logiciels facétieux et autres déboires s’accumulent. EDF est plombé de dettes, mais on met dans les tuyaux six nouveaux exemplaires au coût faramineux. Nos voisins, eux, investissent dans des énergies renouvelables moins coûteuses, aux déchets faciles à gérer. Ils sont censés acheter notre future électricité nucléaire pour nous permettre d’amortir le coût de construction des EPR. D’ici qu’on en livre six qui marchent, ils seront largement auto-suffisants, si ce n’est concurrentiels à l’export, à notre détriment.

L’intelligence recommanderait de réorienter la filière nucléaire et ses emplois vers son seul avenir possible, son démantèlement. Nous devrions devenir les champions du monde de la dé-construction d’installations nucléaires, de leur décontamination et du traitement des déchets. Ça mettrait les salariés de la filière à l’abri du chômage pour quelques siècles. Cela suppose de sortir de nos errements nucléaires du siècle dernier. Manifestement, Emmanuel Macron préfère les prolonger, sans compter.

Pour le Cannabis comme pour le Nucléaire, il faut être visionnaire. L’œil dans le rétroviseur, comment Emmanuel Macron pourrait-il l’être ? Et c’est bien là son plus gros problème. Sa politique s’appuie sur un dogme : le libéralisme économique est un horizon indépassable. Sa ligne de conduite est la même que Thatcher et Reagan, briser toutes les sécurités collectives pour « adapter » de force la France au néolibéralisme imposé par la mondialisation. Avec quarante ans de retard, et alors que ce qu’on a appelé en son temps « la révolution conservatrice » voit son souffle s’éteindre sous les inégalités et les injustices qu’elle a produit, alors que la mondialisation économique est en train de produire sa réaction, la mondialisation politique.

Aveuglé par son dogmatisme, Emmanuel Macron ne voit pas que l’émergence planétaire de la problématique écologique est une rupture de paradigme. Enquête après enquête, la société française exprime ses aspirations pour ce troisième millénaire. L’échelle des valeurs qui s’est imposée depuis la « révolution néolibérale » est en train de céder. Elle n’est plus dominante dans le siège de toutes les batailles politiques, là où tout se perd ou tout se gagne, les cerveaux. La réussite exprimée à travers l’accumulation d’argent à consumer en achat de biens et services garants de ce qui serait le bonheur, c’est terminé. Ce qui est attendu majoritairement, c’est du partage, de l’échange, de la proximité, du lien, de l’entraide, de la générosité. C’est un autre système de valeurs qui prend place dans les esprits.

Le Président n’a pas conscience de la rupture qui se dessine, et surtout de la vitesse à laquelle elle s’opère. Toutes classes sociales confondues dans tous les territoires de la République, quelles que soient l’origine ethnique, la couleur de peau, la culture ou la religion, les Français veulent au moins deux choses essentielles : manger sain, respirer pur. L’énoncé a l’air anecdotique, la réalisation réclame un changement systémique. Au regard de cet objectif basique, leur confiance en les multinationales championnes de l’optimisation fiscale et aux gouvernants qui les accompagnent s’effondre. Les « Gilets Jaunes » et l’engagement massif des collégiens et lycéens dans la lutte contre le réchauffement climatique d’apparence si différents, manifestent la même puissante aspiration à plus de démocratie, plus d’humanisme, plus d’écologie, toutes choses à contre-courant du néolibéralisme qui guide la politique gouvernementale.

Emmanuel Macron laisse croire qu’il entend pour mieux creuser son sillon, sans rien incurver. Il se croit malin. Il est juste à côté de la plaque qui matrice notre 3ème millénaire qu’il regarde avec les lunettes du siècle dernier. Il joue les apprentis-sorciers en usant de vieilles ficelles pour faire croire que nos urgences seraient du côté de l’islam ou des migrants, alors qu’elles sont démocratiques, sociales et écologiques. Les français ont crû élire un homme jeune, ouvert, capable de comprendre les enjeux des temps présents, audacieux et visionnaire. Sa pratique du pouvoir montre l’inverse. Un homme du siècle dernier, cynique, conformiste, brutal, obtus. Le choc entre ce qu’il incarne et les aspirations profonde du pays va être violent. D’ici la prochaine présidentielle, il y a avis de tempête qui pourrait muter en cyclone, si ce n’est en typhon.

Malik Lounès, jeudi 7 novembre 2019


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