9h du matin. Commissariat d’un arrondissement du centre de Paris. J’explique ma situation. J’ai fait une main courante pour violences conjugales il y a un mois, je peux porter plainte à tout moment pour ces faits. Je suis nerveusement épuisée. En sortant je m’effondre en larmes.
9h du matin. Commissariat d’un arrondissement du centre de Paris. Juin 2019. Accueil parfait par une jeune femme puis un homme vient me chercher. Je m’installe dans un bureau. Un boucan épouvantable. Le commissariat est en travaux. Le flic souffle.
Je lui explique ma situation : j’ai fait une main courante pour violences conjugales il y a un mois. Sur la main courante, il est écrit que je peux porter plainte à tout moment pour ces faits : mon conjoint m’a menacé de me « casser la gueule » en me serrant par le cou et m’a empêché de sortir de la pièce avec brutalité alors que j’essayais de m’échapper.
A l’époque de la main courante, j’étais tombée sur une femme qui voulait que je porte plainte. Je n’étais pas prête. Je montre le document au policier et lui explique que je veux porter plainte. Il refuse. J’insiste en lui disant que dans un commissariat du Val-de-Marne où j’étais allée, on était prêt à prendre ma plainte (à ce moment-là, je n’étais toujours pas prête). Il me répond : « Ils avaient qu’à le faire alors ! »
Il passe un coup de téléphone pour voir si quelqu’un d’autre est disponible. Personne ne peut. Il refuse à nouveau, il ne veut pas prendre ma plainte sans explication aucune (il ne veut pas bosser ?). Je m’effondre en larmes. J’ai mis plus d’une semaine à me décider pour porter plainte, je vis encore sous le même toit que mon conjoint. J’ai une enfant de 9 ans. Cela fait 10 mn que je suis face à lui.
Il réagit à mes larmes : « Madame, nous (la police) sommes les boucs-émissaires de la société ! » Moi : « Je sais Monsieur, je sais, mais je vous en prie, prenez ma plainte, c’est écrit là noir sur blanc que je peux porter plainte… » Je me ressaisis, ravale mes sanglots. Là un autre policier entre et dit : « Il faut que tu la prennes ! ». Après 15 minutes de négociations,je peux enfin porter plainte…
« L’entretien » commence alors. Il me pose des questions précises sur les faits. Il fait son boulot, tape ma plainte sur l’ordinateur. Et puis tout d’un coup, il lève la tête et me dit : « Entre nous, là c’est de la psychologie, vous avez une relation sado-masochiste avec votre conjoint ? » Sourire en coin. Moi : « Je n’éprouve aucun plaisir sexuel quand il me frappe si c’est ça que vous voulez dire. » Je me demande où je suis. Ce que je fais là. Je prends sur moi et n’oublie pas mon objectif : porter plainte.
Puis il me demande si mon conjoint est suivi en psychiatrie. Je lui dis que plus ou moins, c’est compliqué. Il me demande ce qu’il a. Je lui réponds que je ne suis pas psychiatre. Il insiste : « Il faut que je remplisse la ligne ! » Je répète : « Je ne suis pas psychiatre ! » « Madame il faut remplir la case ! » Je finis par donner mon « diagnostic » : névrose obsessionnelle avec tendances paranoïaques.
« Est-il psychophrène ? » Moi (heureusement que je suis de la partie, je suis psychologue !) :« Vous voulez dire psychopathe ou schizophrène ? Je ne sais pas ce qu’est un “psychophrène“… » Lui : « Oui, c’est ça psychopathe ou schizophrène. » Moi : « Ni l’un ni l’autre. » Il tape sur son clavier, lève la tête un peu gêné et me demande d’épeler « schizophrène »…
Cela fait à peu près 30 minutes que je réponds à ses questions. Je suis nerveusement épuisée.
Le bruit est incessant. A nouveau le policier se plaindra d’être un bouc-émissaire.
Au bout d’une heure de supplice, et je pèse mes mots, il conclut : « Vous allez faire souffrir votre fille en vous séparant… » Il m’achève. Je n’ai qu’une hâte, partir de ce bureau.
Il imprime ma plainte et me dis de signer. Je signe sans lire. Puis dans un moment de lucidité, je demande à relire ma plainte. Là il me dit d’un ton sévère : « C’est ce que vous m’avez dit ! ». Je capitule. « Et j’espère que vous allez pas la retirer votre plainte car on vous connaît vous les femmes ! » En sortant je m’effondre en larmes.
Quelques jours plus tard un autre policier me recontactera. Sur ma plainte, il est inscrit que j’avais des hématomes, ce qui est faux. Le policier au téléphone me dira : « Madame, il faut relire sa plainte avant de signer ! » Je lui expliquerai les conditions dans lesquelles ma plainte a été prise. Il me conseillera de porter plainte à la police des polices… Cause perdue d’avance…
Mon ex- conjoint a été convoqué, prise d’empreintes, photos sous toutes les coutures. Pas de garde à vue. Il doit se tenir à carreau pendant 6 mois, je crois. Je l’ai quitté. Jusqu’à présent, il n’a plus été violent avec moi. Je m’en sors bien.
Porter plainte pour violences conjugales dans ce commissariat de Paris, c’est-à-dire en France en 2019, est un véritable parcours du combattant. J’ai honte pour mon pays. On a fait tout un tapage médiatique à ce sujet ces derniers mois. Et si on commençait par former les policiers ?
Vraisemblablement ce policier était lui-même en souffrance, il se qualifiera tout de même de « bouc émissaire » à deux reprises en une heure ! Former et accompagner les policiers. Un bon début. Le B.A-BA.
Je pense souvent à toutes les femmes qui n’ont pas pu porter plainte. Certaines sont maintenant décédées sous les coups de leur conjoint… Et cela me révolte !
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