Ni remords ni empathie : interrogé par la BBC, le fils de la reine Elizabeth II s’est ridiculisé en défendant très maladroitement ses liens avec le délinquant sexuel américain, décédé cet été en prison.
La reine Elizabeth II avait donné son assentiment du bout des lèvres. Les négociations avaient duré six mois, les conseillers royaux craignaient le pire. Et le pire est arrivé. L’interview d’une heure du prince Andrew par une journaliste de la BBC, diffusée samedi soir, s’est révélée une catastrophe absolue, un désastre en termes de relations publiques.
Le deuxième fils et troisième enfant de la reine s’est ridiculisé et discrédité en défendant maladroitement ses relations avec l’Américain Jeffrey Epstein, mort à 66 ans en prison le 10 août à New York. Déjà condamné pour délinquance sexuelle et dans l’attente de son procès pour trafic de mineures, où il risquait la réclusion à perpétuité, le milliardaire a été retrouvé pendu dans sa cellule. Les médecins ont conclu à un suicide.
Il y a quinze jours, le conseiller en communication du prince Andrew, 59 ans, avait démissionné, en désaccord avec sa décision d’accorder cette interview qu’il jugeait dangereuse pour la réputation du prince et de la famille royale. Il avait raison. On pourrait rire, se moquer du prince Andrew, railler la succession de ses réponses ahurissantes à des questions pourtant précises, critiquer son arrogance et ses excuses alambiquées. Ce serait oublier ces dizaines de jeunes femmes, jeunes filles, adolescentes et parfois enfants qui ont été violentées et ont fait l’objet d’un trafic par Epstein et ses acolytes.
Mondain, souriant ou riant aux moments les moins opportuns, le prince Andrew ne semblait préoccupé que par sa situation personnelle. A aucun moment, y compris lorsque, en fin d’entretien, la journaliste de la BBC Emily Maitlis lui a tendu une perche, il n’a exprimé le moindre remord, donné le moindre signe d’empathie pour les victimes d’Epstein.
La question était de savoir s’il faisait partie de la clique des abuseurs autour d’Epstein. Virginia Giuffre, alors appelée Roberts, a décrit dans des documents légaux avoir été au cœur d’un trafic, comme esclave sexuelle par Epstein et forcée à avoir des relations sexuelles à trois reprises avec le prince Andrew, alors qu’elle avait 17 ans. « Je n’ai aucun souvenir d’avoir rencontré cette lady, absolument aucun », a-t-il affirmé. La photo où il apparaît souriant, collé et enlacé à la jeune fille, pourrait avoir été retouchée, a-t-il laissé entendre. « C’est bien moi sur le cliché, mais est-ce que c’est ma main sur sa taille… ? »
Virginia Giuffre a décrit comment le prince transpirait abondamment au cours d’une soirée passée en boîte de nuit en mars 2010. « C’est impossible parce que depuis la guerre des Malouines et une overdose d’adrénaline lorsqu’on m’a tiré dessus, je souffre d’une condition médicale qui m’empêche de transpirer », a expliqué benoîtement le prince. Avant d’ajouter : « Ce n’est que depuis récemment que je transpire à nouveau. »
Dans un autre instant surréaliste, Andrew, un temps surnommé le « prince playboy », a expliqué qu’aucune relation sexuelle avec Virginia Giuffre n’avait pu avoir lieu le 10 mars 2001, comme l’affirme la jeune femme. Ce jour-là, a-t-il expliqué, il avait « emmené sa fille Beatrice à une fête à Pizza Express à Woking ». A la question de savoir comment il pouvait se rappeler être allé ce jour précis dans cette chaîne de pizzeria dans cette ville de la banlieue de Londres il y a presque vingt ans, le prince a alors répondu d’un air condescendant : « Simplement parce que c’est une chose inhabituelle pour moi, ce n’est pas vraiment moi. »
Ce qui était plus lui, c’était de séjourner régulièrement dans les très luxueuses résidences de Jeffrey Epstein, à New York, en Floride ou dans les Caraïbes. Ou de voyager à bord de son jet privé. En 2010, il avait séjourné quatre jours chez lui à New York et avait été photographié en sa compagnie à Central Park. Epstein sortait de prison après une première condamnation pour délinquance sexuelle. Le prince Andrew a expliqué s’être rendu à New York pour lui signifier la fin de leur relation amicale. « C’était la chose honorable à faire, lui dire en face-à-face. » Pourquoi alors séjourner quatre jours chez lui ? « Parce que c’était pratique. » C’est vrai que New York compte peu d’hôtels.
Le prince Andrew a affirmé n’avoir rien remarqué d’anormal au cours de ses nombreux séjours dans les résidences d’Epstein, notamment la présence de très jeunes filles. « Je vis dans une institution, à Buckingham Palace, où vous avez des membres du personnel qui circulent constamment, je ne veux pas apparaître pompeux, mais il y avait beaucoup de monde qui circulait dans la maison de Jeffrey Epstein. Pour moi, c’était du personnel. »
Dans ce salon sombre de Buckingham Palace, une dernière question a jailli, une dernière chance. « Avez-vous des regrets, des remords, un sentiment de honte ? » lui a demandé Emily Maitlis. « Est-ce que je regrette qu’il se soit clairement conduit de manière inconvenante ? Oui. » « Inconvenante ? Il était un délinquant sexuel ! » l’a interrompu, visiblement choquée, la journaliste. « Oui, je suis désolé, je voulais être poli », a répliqué le prince en souriant. Avant de s’enfoncer un peu plus en expliquant « ne pas regretter » son amitié avec Epstein : « pour la simple raison que les personnes rencontrées et les opportunités ont été très utiles. »
Sonia Delesalle-Stolper Correspondante à Londres
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