Circuits courts, petits producteurs et écosocialisme

jeudi 30 avril 2020.
 

Si la crise du coronavirus met principalement en lumière l’importance d’un service public de santé de qualité, elle permet aussi d’entrevoir des modes de production et de distribution agricoles pour le monde d’après.

Ce que les médias français relèvent depuis plusieurs semaines c’est la multiplication d’initiatives dans les territoires ruraux visant la distribution des produits agricoles par le biais du circuit court. Le succès de la plate-forme régionale lancée il y a deux semaines par la région Occitanie, qui recense les producteurs locaux et les mets en relation directement avec le consommateur, confirme que le circuit court a le vent en poupe. A l’inverse dans les territoires ruraux le supermarché est devenu l’objet de peurs pour les consommateurs qui évitent de s’exposer au virus et recherche la proximité et la qualité des produits. Serait-ce la revanche des petits producteurs sur les gros, par l’affirmation de la vente en circuits courts ? Ce dernier représente à la fois une opposition à l’agriculture productiviste et un moyen pour les producteurs de proposer un projet d’agriculture social, écologique mais avant tout économiquement viable.

Car voilà le malheur de l’agriculture productiviste dans laquelle la plupart des producteurs français sont aujourd’hui embourbés. Une agriculture où le surendettement est la règle. Une agriculture où le producteur n’est plus un moteur économique des territoires ruraux, il est isolé, et contraint à la concurrence avec des exploitations beaucoup plus importantes contre laquelle il ne peut pas lutter. Comme partout où s’applique le capitalisme, l’agriculture de notre temps met en danger les plus fragiles. L’Europe par la Politique Agricole Commune ne fait rien pour combler ces inégalités, les subventions dépendant de la taille des exploitations, les petits producteurs ne peuvent rivaliser avec les plus gros. Et le bilan de l’agriculture capitaliste est lourd. En France en 2019, 605 agriculteurs se sont donnés la mort, 57 % d’entre eux bénéficiaient de la CMU. La surmortalité des agriculteurs les plus fragiles montre l’impasse de notre système qui exclut les petits au profit des gros, et détruit l’image de toute une profession.

Pour reprendre les mots de l’ancien porte parole de la confédération paysanne, José Bové, « il faut développer une idée responsable du développement agricole au service de tous ». Ce sont deux modèles qui s’affrontent, celui des productivistes et des fermes démesurées à « mille vaches » contre celui des petits qui veulent se réapproprier leur production. Ce n’est pas un hasard si les producteurs bovins sont les plus touchés par la surmortalité. Les petits producteurs de viandes, endettés, soumis au fluctuation des prix du marché ne voient pas d’avenir dans leur profession. En passant à un type de distribution en circuit court, le petit producteur récupère ce qui lui était confisqué par le productivisme : son autonomie. Une autonomie avant tout financière. La réduction des intermédiaires de distribution comme les grossistes et les détaillants va permettre aux petits producteurs de jouir pleinement des fruits de leur travail. Le producteur se réapproprie sa production. De plus le produit du paysan s’autonomise, il devient le produit d’un territoire, d’un mode de production ce qui lui donne un certain prestige, le valorise. Pour le consommateur c’est un facteur qui compte le produit devient par sa proximité, un gage de qualité. Le circuit court devient alors une mode de distribution sécurisé pour un consommateur encore marqué par les différents scandales sanitaires de ces dernières années.

Le défi de demain sera donc de rendre pérenne et durable la production et la distribution en circuit court afin de garder ce gage de qualité. Si la demande des consommateurs d’acheter par circuits courts est en augmentation et que cette pratique a conquis presque la moitié des Français, une enquête de l’INRA (Institut National pour la Recherche Agronomique), en 2013, montrait que 42 % des Français achetaient 25€ par semaine de produits en circuit court, mais également que cette consommation restait celle d’une frange aisée de la population. La production paysanne de demain devra donc conquérir les populations les plus fragiles économiquement. Cela demandera sans doute des efforts importants aux producteurs, notamment en matière de logistique. Ce sera donc aux collectivités locales de multiplier des initiatives qui existent déjà, comme les cantines en circuit court, afin d’accompagner de plus en plus d’agriculteurs vers ce mode de consommation et toucher de nouveaux consommateurs.

Le circuit court met en relation des acteurs économiques sur des territoires qui se désertifient de plus en plus. Les territoires ruraux, par ces initiatives se dynamisent et le producteur devient l’acteur principal de ce dynamisme. Cependant il n’est pas question de renouer avec de vieux réflexes productivistes et capitalistes mais de faire de ces territoires ruraux et de ces lieux de productions des espaces d’échanges sociaux et culturels. Le circuit court permet une complémentarité de l’économie, du social, et de la culture dans les territoires ruraux. Le dynamisme de ces territoires se fait tout d’abord par l’emploi. Cela a été dit, la logistique est souvent difficile à gérer pour le petits producteurs, qui ne comptent déjà pas leurs heures. Pour ce qui est de la livraison ou de la gestion des points de ventes, l’argent économisé sur la diminution des intermédiaires de distribution permet d’embaucher des salariés. Ces derniers se chargent de livrer les consommateurs dans les campagnes et d’organiser des initiatives de cueillettes à la ferme par exemple. Le circuit court libère le producteur, et le sort de l’isolement. Le lieu de production devient un pôle dynamique où les consommateurs se rencontrent et échangent. Cependant il n’est pas toujours possible pour le petits paysans d’embaucher, mais ces derniers peuvent se rassembler sous des marques collectives de plusieurs producteurs, leur permettant de créer des contacts et de peser dans l’économie du territoire. L’agriculture paysanne et le circuit court replace le paysan dans l’économie.

Ainsi, il est possible de voir fleurir un peu partout des fermes avec des points de ventes proposant aussi des activités sociales et culturelles. Certains transforment leur ferme en de petits musées agricoles. Ces initiatives peuvent prêter à sourire mais remplissent un rôle social et culturel important. Les fermes sont alors des lieux d’échanges, où se transmet un savoir-faire agricole. Un savoir faire qui allie tradition et modernité, terroir et nouvelles techniques d’agriculture biologique. Les exemples sont nombreux et diffèrent selon les territoires mais éclairent sur la prise de conscience des producteurs quant au rôle économique, social, et culturel qu’ils ont à jouer pour une transition écologique et sociale.

Le circuit court est donc un outil important pour le petit producteur, il fait appel à l’attachement au territoire qui est une valeur forte chez le consommateur. Le « bien manger » va maintenant de paire avec le « manger local ». Le petit producteur redevient un agent de référence des territoires, il récupère sa mission première : produire pour nourrir. C’est sur cette nouvelle vision du producteur que doivent se baser les politiques des collectivités territoriales. Car la bataille pour sortir d’un modèle agricole capitaliste est loin d’être gagnée mais le circuit court est assurément un rouage d’une agriculture paysanne et écosocialiste.

Pour développer cette vision, l’Etat se devra de rapprocher le producteur et le consommateur, par l’éducation à l’alimentation locale ce qui est développé dans les villes rurales mais encore trop rare dans les banlieues ou les centres des grandes villes. Les partenariats entre cantines et producteurs devront continuer à se développer, pour éduquer tous les enfants aux productions locales. Les initiatives ne manquent pas.

Sortir des logiques productivistes est aujourd’hui pour nos agriculteurs un impératif. La crise que nous vivons, nous pousse à nous interroger sur le monde d’après, sur des solutions de productions durables. Par son fonctionnement, la distribution en circuit court est un mécanisme pour dynamiser les entreprises agricoles et leurs territoires. Mais c’est aussi une solution pour de futures politiques écosocialistes de planification de l’agriculture. Même si certains défis écologiques peuvent encore peser sur ce mode de distribution, le bénéfice écologique est réel. C’est sur ce type de mécanisme que doivent s’appuyer les politiques écosocialistes afin qu’à terme puisse s’appliquer la règle verte.

Hugo Granger


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