Covid-19 (France) : « Saurons-nous cette fois éviter une quatrième vague ? » – « La République jupitérienne n’est pas adaptée à la gestion d’une pandémie »

samedi 13 février 2021.
 

Un collectif de médecins et d’aidants détaille les mesures pratiques qui permettraient d’éviter que la situation de « stop and go » vécue en France se perpétue. Il reproche aux pouvoirs publics trop de verticalité et pas assez d’appui sur la société civile.

La troisième vague est là. Le gouvernement temporise, espérant éviter la déferlante. Faute d’indicateurs pouvant faire changer la décision, celle-ci suscite l’inquiétude. Le président « a pris son risque », selon son expression. Il faudrait qu’il le gagne car « son risque » est celui des malades et des soignants.

Les questions qui auraient nécessité débat, avec les élus et les citoyens, sont doubles : si un troisième confinement est décidé, quelles en seraient les modalités pratiques ? National ou territorial ? Impliquant ou non les écoles et les collèges ? Et saurons-nous cette fois déconfiner pour éviter une quatrième vague ?

De multiples instances expertes s’empilent et prodiguent leurs avis. La décision gouvernementale s’impose, entre santé publique, sondages d’opinion et risques sociaux ou économiques. La population adhère plus ou moins aux injonctions et les exécute plus ou moins. Mais, hors régime dictatorial, il est impossible de contrôler le comportement de 66 millions d’habitants. Pourtant, il est aisé de comprendre qu’il faut l’adhésion de la population aux décisions pour espérer qu’elles soient mises en œuvre au mieux.

Modifications comportementales et collectives

Les polémiques sur le Covid-19, sa prévention, son dépistage et son traitement se multiplient depuis un an, rendant plus difficiles les nécessaires modifications comportementales collectives et la tolérance à des décisions verticales ou infantilisantes.

Les chaînes d’information en continu apportent leur pierre à l’édifice de la confusion, se faisant chambres d’écho d’affrontements, et parfois de rumeurs, à longueur d’antenne. Tous les experts conviennent néanmoins qu’il faut tester, identifier, remonter les contacts (tracer) puis isoler. Même si des communicants ont opté pour le terme « protéger », il s’agit bien d’isoler les personnes infectées pour interrompre les chaînes de contamination.

« L’adhésion aux tests est bonne mais le “traçage” et l’isolement semblent très imparfaits, voire inexistants »

L’adhésion aux tests est bonne mais le « traçage » et l’isolement semblent très imparfaits, voire inexistants. Le professeur Renaud Piarroux, épidémiologiste à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, avait mis sur pied des équipes mobiles se déplaçant aux domiciles des personnes identifiées porteuses du SARS-CoV-2. Elles ont rapidement été renommées « brigades ». Le glissement sémantique est significatif…

Des brigades au simple coup de fil

La population aurait besoin d’être convaincue, accompagnée et associée pour mieux coopérer. Le vocabulaire est devenu militaire. Pire, de brigades mobiles, on est passé au simple coup de fil. Manque de bras peut-être, rêve de monde numérique où les messages téléphoniques automatiques remplaceraient l’investissement humain.

A la troisième vague, on peut dire que cette stratégie est un échec. On ne sait ni tracer ni isoler. Les « brigadistes » physiques ou téléphoniques ne sont pas assez nombreux pour aller au contact des patients. Dans de trop rares cas, les soignants de ville ou les associations citoyennes sont partie prenante. Mais quand la vision est verticale, il est bien difficile de construire du réseau.

Dès le début des années 1980, quand l’épidémie de sida vint bouleverser la vie quotidienne au plus intime, on vit des associations, des bénévoles, investir des actions de prévention, de dépistage et d’accès aux soins. Des non-soignants intervenaient (et interviennent encore) dans des lieux de prises de risques, auprès d’usagers de drogues, de personnes précaires ou migrantes éloignées du soin. Les médecins ont bénéficié de leur aide et de leur médiation pour le dépistage et la prise en charge des malades mais aussi pour les actions de sensibilisation et de prévention dans la population.

Certes, le SARS-CoV-2 n’est pas le VIH, il tue moins mais le fait plus vite. Il serait urgent de reprendre, trente-cinq ans après, les outils qu’on avait alors développés. Un quart des Français sont engagés dans des actions de bénévolat, les bonnes volontés ne manquent pas, encore faut-il faire appel à eux, à leur connaissance du terrain, et ne pas piloter à distance des décisions qui restent, dans bien des domaines, incompréhensibles, comme par exemple les recommandations en milieu scolaire.

Nécessaire transparence

Dans l’urgence de la pandémie, l’amnésie règne. Rien de ce qui a pu être une aide dans d’autres circonstances n’est mobilisé. Etre au plus près de la population, l’impliquer, généraliser la participation sur le terrain des associations locales, des parents d’élèves aux clubs sportifs, tout cela fait défaut.

Le conseil scientifique a demandé il y a dix mois, puis de nouveau en octobre 2020, de « s’appuyer sur une vision issue de la société civile et non pas seulement sur les orientations données par les experts pour éclairer les décisions… » Ce n’est pas nécessaire, c’est indispensable.

Pour informer, aider au dépistage, aménager le quotidien, l’école, la rue, les transports, l’Elysée décide mais ne pourra que rater le troisième déconfînement si la population ne devient pas partie prenante localement mais aussi à l’échelle du pays.

On ne peut aller de surprise du chef en coup de théâtre télévisuel, sans qu’aucun débat n’ait eu lieu. La transparence est nécessaire pour que les décisions soient comprises et acceptées par tous : sur quels critères se basent-elles ? Quelles sont les discussions avec les élus, locaux en cas de confinement partiel, nationaux avec le Parlement ?

Il est urgent de monter les digues contre la quatrième vague. Il faut donc enfin savoir déconfiner. La République jupitérienne n’est pas adaptée à la gestion d’une pandémie. Les citoyens ne sont pas des exécutants, ce sont eux qui doivent construire la digue.

Aurélien Beaucamp, président d’Aides ;

Amélie Canonne, conseil consultatif des usagers du pôle de santé des Envierges (maison de santé Pyrénées-Belleville), à Paris ;

Sophie Crozier, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris ;

Nathalie De Castro, infectiologue à l’hôpital Saint-Louis, à Paris ;

Mady Denantes, généraliste à la maison de santé Pyrénées-Belleville, à Paris ;

Yassine Ennomany, Banlieues Santé ;

Anne Gervais, hépatologue à l’hôpital Louis-Mourier à Colombes ;

André Grimaldi, diabétologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.


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