Echos de SCIENCES POrcs

dimanche 21 février 2021.
 

1) "L’an dernier, j’ai été violée", à Sciences Po Aix les témoignages se multiplient

Sur les bancs de Sciences Po Aix, la parole se libère autour du harcèlement sexuel, des agressions et du viol. Depuis quelques jours, les témoignages se multiplient sur les réseaux sociaux autour du hashtag #SciencesPorcs.

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Sciences Po Aix n’échappe pas au hashtag #SciencesPorcs, qui secoue les Instituts d’Études politiques depuis quelques jours. Dans le prolongement du mouvement #MeToo, des étudiantes de Sciences Po dénoncent les agressions sexuelles dont elles auraient été victimes au cours de leur cursus.

Sur les réseaux sociaux, les témoignages affluent par dizaines. Parmi les établissements les plus cités, celui d’Aix-en-Provence n’est pas en reste. Et les récits sont explicites.

Anonyme, une jeune femme commence son message par : "L’an dernier, j’ai été violée par un élève de ma promotion". Les mots sont forts. S’en suit une longue missive où l’étudiante décrit son mal-être et le combat qu’elle a mené pour se reconstruire.

Une autre internaute se confie : "Ancienne étudiante de Sciences Po Aix, je sais que nous sommes nombreuses à avoir été victimes d’agressions sexuelles pendant nos années là-bas. Lors de mon week-end d’intégration, un autre étudiant a profité du fait que j’étais totalement ivre pour m’agresser sexuellement alors que j’étais inconsciente. [...] La culture du viol est omniprésente dans les grandes écoles".

Le nombre de témoignages est abondant, pourtant tous vont dans le même sens. Avec un point commun : les jeunes femmes dénoncent non seulement une agression, mais aussi une omerta au sein de l’institution.

Voici quelques extraits : "À Sciences Po Aix, on a des cas comme ça. Des profs qui agressent sexuellement des étudiantes en soirée. Quand l’administration est prévenue, ils décident de le muter [...] Du côté des étudiants, on a eu un cas de viol il y a quelques années. La victime est une de mes amies proches et quand on l’a signalé à l’administration, ils nous ont répondu que ça risquait de poser problème parce qu’il voulait passer à l’ENA"...

2) A Sciences-Po, le Critérium inter-IEP, sommet des violences sexistes en toute impunité

La compétition sportive annuelle, qui voit s’affronter les étudiants des différents instituts d’études politiques, donne lieu à de nombreux débordements, voire à du harcèlement et à des agressions sexuelles. Témoignages.

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Les visages des étudiants sont peinturlurés, ils chantent haut et fort, et l’alcool coule à flots. Il est 7 h 30 dans le transilien reliant Paris-Gare-du-Nord à Eaubonne (Val-d’Oise), où le Critérium inter-IEP est sur le point de démarrer. Ce vendredi 29 mars 2019, 2 500 étudiants de Science-Po, qui s’appellent eux-mêmes les «  sciences-pistes  », ont rendez-vous pour le dernier tournoi sportif avant la pandémie de Covid-19. Les gourdes de compote sont remplies de vodka, tout comme les ballons de foot. Des vigiles essaieront d’en filtrer l’entrée au complexe qui accueille le «  Crit  », en vain. Le tournoi sportif, où tous les élèves de Sciences-Po s’affrontent, «  est une grande soirée  : trois jours d’alcool, de sport, de sexe et de drogue  », résume Martin*, ancien étudiant toulousain. C’est justement cette réputation sulfureuse qui en fait un événement incontournable de la scolarité, dans la plus prestigieuse école française.

Jaune et noir pour Paris, blanc et rouge pour Lille, rouge et noir pour Bordeaux, les élèves développent un véritable sentiment d’appartenance en défendant leurs couleurs. Mais, pour les étudiantes, l’expérience peut s’avérer tout autre… «  Le Crit, c’est la continuité de la culture du viol sciences-piste en territoire non contrôlé  », explique Claire*, tout juste diplômée de l’IEP de Toulouse. S’ils ne se connaissent pas, Martin et Marie*, ancienne étudiante de l’IEP de Saint- Germain-en-Laye, emploient les mêmes termes quand ils évoquent le tournoi. «  Je le sentais, je me doutais que des choses arrivaient.  » Ces «  choses  », ce sont des mains aux fesses, des baisers non consentis, mais aussi des viols longtemps restés tus.

Marie a été embrassée de force par un homme qui lui a foncé dessus sans préambule. Sa colocataire, elle, a été bloquée dans un coin par un garçon avant qu’il ne lui touche les seins. Eve*, de Sciences-Po Paris, a vu plus d’une fille «  se faire peloter par des supporters  ». Juliette, l’étudiante de Sciences-Po Toulouse à l’origine de la récente libération de la parole (lire son témoignage), se prenait «  des mains aux fesses  » et se faisait «  attraper les seins sans pouvoir rien faire  », alors qu’elle n’avait que 18 ans. Un élève en cinquième année à l’IEP de Rennes a frappé le visage d’une étudiante avec son sexe en lui chantant à l’oreille  : «  Pose ton clito sur mon drapeau.  » Fleur*, étudiante bordelaise, se souvient d’un garçon se faisant appeler Mitch et dont elle a vu le pénis «  un nombre incalculable de fois  ». Il avait pour habitude de s’attacher un carton à pizza sur les hanches et d’en soulever le couvercle quand l’envie lui en prenait. Lors du Crit de 2017, des étudiants lyonnais tiraient sur les filles avec des pistolets à eau remplis de leur urine.

«  Marie, tu l’as bien cherché  !  »

Et parfois, cela va encore plus loin. Marie raconte ainsi avec douleur un harcèlement qui a duré des années et s’est poursuivi, après sa scolarité, à Saint-Germain-en-Laye. Tout a commencé lors du Crit de 2015, pendant lequel elle rencontre un étudiant d’Aix-en-Provence, avec lequel elle entame une relation épisodique. Mais lors du Critérium suivant, l’Aixois se présente avec un tee-shirt floqué de son prénom, des chants avec son nom ont été créés, les étudiants scandant  : «  Marie, tu l’as bien cherché  !  » Et elle se faisait insulter par tout le monde. Si, après une telle expérience, elle n’est plus jamais retournée à un Crit, quatre ans plus tard, la blague circulait encore. Chaque année, les élèves d’Aix-en-Provence allaient voir ceux de Saint-Germain-en-Laye pour leur demander d’envoyer des messages à Marie lui disant  : «  Le mec d’Aix te fait des bisous.  »

Les traditions qui rythment le Critérium inter-IEP marquent la tendance des sciences-pistes à bafouer la notion de consentement. Certains se fixent par exemple l’objectif d’embrasser au moins une personne de chacun des dix instituts d’études politiques – une performance baptisée «  petit chelem  ». Si cela va jusqu’à des relations sexuelles, on appelle cela un «  grand chelem  ». Thomas, étudiant de Strasbourg, se vante d’avoir fait le «  petit chelem  » en 2018  : «  J’allais voir les Aixoises en leur disant  : “Si tu m’embrasses, tu auras des bières gratuites.”  » Marie, elle, avoue avoir trouvé ça «  excitant  » lors de son premier Crit. Mais l’expérience l’a fait changer d’avis. Elle est aujourd’hui persuadée que «  ce jeu est un problème, car il crée une ambiance où l’on doit être consentant pour tout  ». Martin, diplômé de Sciences-Po Toulouse, résume bien l’enjeu du «  petit chelem  »  : «  C’est une forme de contraintes par la tradition.  »

«  Ne jamais se retrouver seule  »

Lors du Crit organisé par l’IEP de Strasbourg en 2018, un bingo du «  petit chelem  » a été lancé. Les étudiantes rapportaient alors un nombre de points différent, en fonction de leur année, de leur IEP… Celles qui valaient le plus de points étant, bien sûr, les pom-pom girls. Le show de ces dernières est le point culminant du sexisme au Critérium. Constamment appelées «  pomputes  », elles se font insulter, huer et lancer des objets au visage. Fleur faisait partie de l’équipe des pom-pom girls de Bordeaux. Avec quatre Crit au compteur, elle a subi plusieurs agressions. Lors de sa première année, alors qu’elle regardait ses concurrentes, perchée sur les épaules d’un ami, un étudiant de Toulouse est venu lui écarter les cuisses avant de la lécher, de son genou à l’ourlet de son short. Elle a répondu par un coup de poing, lui l’a fait tomber au sol, avant d’essayer de la frapper. Se sentant une «  proie traquée  », une fois devenue capitaine, elle a pris soin d’organiser une «  préparation commando  » pour ses coéquipières. Son mot d’ordre était clair  : «  Ne jamais se retrouver seule.  »

«  Être sexiste envers les pom-pom, c’est normal. On a des jupes, donc on est forcément des putes  », se désespère Fleur. En 2018, alors qu’il faisait 0 degré à Strasbourg, son équipe mettait un point d’honneur, malgré tout, à arborer ses jupes et débardeurs traditionnels. Quitte à friser la syncope. Alors que Fleur demandait une couverture de survie à la Croix-Rouge, un bénévole lui a répondu  : «  Si tu ne t’habillais pas comme ça, tu n’aurais pas froid.  » Avant d’ajouter  : «  Si tu veux que je te réchauffe, il n’y a pas de problème.  » L’étudiante se rappelle les regards appuyés et sa peur d’un viol collectif dans cette salle fermée. Juliette parle aussi de ce chauffeur de bus qui conduisait les Toulousains lui disant qu’il voulait la «  baiser  », ou de ce vigile qui lui a lancé «  qu’il (la) fouillerait bien, plus tard dans la soirée  ». À la fin de son capitanat, Fleur se dit désormais «  usée et mal dans sa tête  ».

Pas étonnant. Dès le vendredi matin, autour du terrain de foot d’Eaubonne, on pouvait entendre un «  ultra  » de Sciences-Po Paris lancer à l’équipe féminine de football de Lille  : «  Oh les Lilloises, c’est pas possible d’être à poil comme ça tout le temps  ! Bande d’enculées de merde  !  » Ces supporters fanatiques de leur IEP, majoritairement masculins, souvent peu vêtus et très alcoolisés, sont connus pour initier les chants sexistes, racistes, voire antisémites. Illustrations  ? «  Dans un bébé, c’est plus serré  », «  la femme que j’aurai prendra des coups sur la gueule  », ou encore «  mets deux-trois pilules dans son verre et elle sera par terre  »… Sur le terrain, les joueurs ne sont pas en reste. L’équipe de volley bordelaise, qui aime à s’appeler les «  Violleyeurs  », arbore fièrement des maillots aux surnoms sans équivoque  : «  Sodomisetout  », «  Sucelemoi  » ou «  Couille-miam  ». Interrogée à ce sujet, la direction de l’IEP de Bordeaux affirme n’avoir pris connaissance de ce nom qu’en 2013, année où elle aurait demandé aux sportifs de se débaptiser. En 2019, l’équipe se présentait toujours de la sorte.

La peur d’être stigmatisées

Et le 29 mars 2019, lors du dernier Crit en date, les directeurs de chaque IEP étaient présents pour encourager leurs équipes alors que des agressions avaient déjà lieu. Plus d’une cinquantaine de témoignages déposés sur la page Facebook Paye ton IEP dénonçaient des violences verbales dès le début du Crit. «  Elles sont tristes, montrez-vous persuasifs, elles vont sucer facilement  », «  la différence entre toi et moi, c’est que je suis un séducteur, toi t’es juste une salope  », «  il n’y a pas de témoin, il n’y a pas de risques à violer une nana  »… Claire, qui gérait la page à l’époque, a montré certains de ces témoignages à l’administration bordelaise. Certains lui ont opposé qu’il n’y avait «  pas de sexisme à Sciences-Po  », quand d’autres ont insisté sur la présomption d’innocence, argument massue systématiquement utilisé lors des vagues de libération de la parole. La direction de l’IEP pointe le manque de preuve  : «  Le monde des réseaux sociaux induit une vérité parallèle, nous n’avons aucune manière de prouver la matérialité des faits.  »

Pour Martin, ex-étudiant toulousain, «  ils ne veulent pas trop secouer ce tas de fumier  » et laissent donc perdurer «  la culture du secret autour du Crit  ». Si les débordements sont nombreux, ils sont longtemps restés au placard. Les victimes racontent une pression liée au prestige de l’école, celle de l’intégration à tout prix. Beaucoup n’ont pas parlé, de peur d’être stigmatisées. «  L’administration et les élèves ont peur pour la réputation de l’école. Ils ne veulent pas d’un scandale qui compromettrait la valeur du diplôme  », explique Claire. Pour Maureen, ex-présidente du Collectif copines, l’association féministe de l’IEP de Strasbourg, renommée depuis Collectif arc en ci.elles, «  le sexisme est institutionnalisé  » à Sciences-Po. «  Le Crit est réputé pour être le moment où tout le monde est ivre et se lâche. Mais le problème n’est pas limité à cet événement. Certains étudiants pensent encore qu’ils ont le droit de tout faire, parce qu’ils sont à Sciences-Po.  »

De fait, si le tournoi sportif concentre les abus, il y a aussi les soirées pré-Crit, les soirées nostal’Crit, les week-ends d’intégration, et toutes les autres soirées… Autant de chances de faire vivre le sexisme et la culture du viol dans les dix IEP. En 2013, Laurine*, une étudiante aixoise, avait été agressée à une soirée pré-Crit. Un garçon à qui elle avait déjà dit non lui a pris la main, avant de la glisser dans son caleçon. Elle aussi pensait que «  ça n’arrivait qu’aux autres  ».

Océane Segura


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