Responsabilité climatique des multinationales françaises : « La question ne sera pas posée »

mercredi 7 avril 2021.
 

Alors que les députés débattaient de la loi Climat et Résilience, tous les amendements visant l’encadrement climatique des grandes entreprises ont été jugés irrecevables. Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale affirma qu’il doit écarter du débat tout ce qui peut rallonger les débats sans aucune utilité.

n l’occurrence, le président Ferrand prétend s’appuyer sur l’article 45 de la Constitution qui stipule que lors de l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi par le Parlement, « tout amendement est recevable en première lecture, dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Le motif du rejet de ces amendements a donc été qu’ils n’avaient « aucun lien, même indirect » avec le projet de loi Climat et Résilience. Celui-ci a officiellement l’ambition d’accélérer « la transition de notre modèle de développement vers une société neutre en carbone, plus résiliente, plus juste et plus solidaire » et « d’entraîner et d’accompagner tous les acteurs dans cette indispensable mutation ». Cet article de la Constitution s’applique-t-il ici ? Évidemment non ! Mais le Pouvoir a la partie facile : le Conseil constitutionnel n’oblige pas les instances de l’Assemblée à justifier des décisions d’irrecevabilité liées à l’article 45. La décision arbitraire du Président Ferrand n’entraînera pas une invalidation de la loi par le Conseil constitutionnel.

Ce Pouvoir fait du piétinement du Parlement une règle de conduite. On a pu le constater une fois de plus, le 1er avril, lors de la mascarade du vote parlementaire sur les décisions de « reconfinement » adoptées monarchiquement par Emmanuel Macron dans le secret de son Conseil de défense.

Mais il y a quand même un petit plus : selon ces dignitaires, l’encadrement climatique des grandes entreprises n’a aucun lien même indirect avec « l’accélération de la réalisation de la neutralité carbone en France ». Et les grandes entreprises ne font aucunement partie des « acteurs de cette indispensable mutation ». Abyssal... Heureusement les bonnes questions finissent le plus souvent par être posées.

Le CAC 40 et les banques premières de cordée de l’irresponsabilité

Le Réseau Action Climat, qui fédère 35 associations, travaille à l’élaboration de mesures alternatives et ambitieuses pour lutter contre les changements climatiques et ses impacts. Il s’attache à suivre quelques points particulièrement chauds du projet de loi. Comme l’encadrement de la publicité ; l’accompagnement des salariés dans les indispensables conversions de production, et de métiers ; le conditionnement des aides publiques, ou l’obligation pour les grandes entreprises de prendre des engagements climatiques assurant que leur activité est alignée avec la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et l’Accord de Paris. Ce ne sont certes pas les seules dispositions concernant les entreprises qui en font une loi de greenwashing [2].

Mais ces domaines ont fait l’objet d’une vigilance particulière du président Ferrand en matière d’irrecevabilité pour que ces questions ne soient pas posées. Le Réseau Action Climat a ainsi recensé au moins 13 amendements structurants déposés pour la séance plénière concernant l’éco-responsabilité climat pour les entreprises. Proposés par plus de cents députés, y compris de députés de la majorité, ils ont tous été jugés irrecevables. La liste n’est pas exhaustive. Mais comme ils ont été jugés irrecevables, leur contenu n’est pas publié sur le site de l’Assemblée nationale.

Pour sa part, le Réseau Action Climat propose d’inscrire dans la loi une obligation pour les grandes entreprises de publier trois informations clés : leur empreinte carbone totale, pour savoir où elles en sont ; une trajectoire contraignante de réduction de leur empreinte carbone, sous peine de sanction financière ; et un plan d’investissement, pour réaliser l’objectif. Ce serait effectivement à la hauteur de l’enjeu et de la tâche.

Durant ce même mois de mars, OXFAM France a publié un rapport sur l’empreinte carbone globale des plus grandes entreprises françaises et leur trajectoire climatique. L’étude montre qu’au rythme actuel, les entreprises du CAC 40 ont un niveau d’émission qui nous conduit tout droit vers un réchauffement climatique catastrophique de l’ordre de +3,5°C d’ici 2100, bien au-delà de l’objectif de 1,5°C inscrit dans l’Accord de Paris. Leurs engagements sont très insuffisants. Sur 35 entreprises analysées, seules EDF, Schneider Electric et Legrand ont une empreinte carbone et des engagements compatibles avec un réchauffement inférieur à +2°C. Toutes les autres poussent le thermomètre dans le rouge : Total, Technip FMC et Dassault Aviation ont une trajectoire associée à un réchauffement supérieur à +4°C. 17 entreprises sont entre +3°C et +4°C. Et 5 sont entre +2 et +3 degrés.

Quant aux banques, un autre rapport, « Banking on climate chaos », publié le 24 mars par six ONG internationales, montre que les grandes banques françaises, BNP Paribas en tête, sont devenues, à l’exception du Crédit Mutuel, championnes du financement des industries fossiles.

« Alors que la récession suscitée par la pandémie a entraîné une baisse de près de 9% des financements aux énergies fossiles au niveau international, les banques françaises ont augmenté leurs financements en moyenne de 19% par an entre 2016 et 2020 et de 36% entre 2019 et 2020 », constate l’ONG Reclaim Finance.

Certes, les banques états-uniennes JP Morgan Chase, Citi, Wells Fargo et Bank of America restent les plus grands financeurs des énergies fossiles entre 2016 et 2020. Mais les banques françaises se placent au 4ème rang avec des financements des énergies fossiles qui ont presque doublé entre 2016 et 2020 – passant de 45 milliards à 86 milliards de dollars. En 2020, les 3 plus grosses banques françaises, BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole, sont dans le top 15 des plus gros financeurs aux énergies fossiles. Cela, alors même que les Banques Françaises rivalisent dans les engagements pris notamment pour ne plus financer le charbon. Mais, c’est pour aller financer le gaz de schiste.

La palme de l’hypocrisie climatique revient à BNP Paribas souligne Reclaim Finance. Elle ne rate jamais une occasion pour mettre en avant ses engagements sur le climat. Mais avec près de 41 milliards de dollars de financements aux énergies fossiles en 2020, BNP Paribas est même la banque à avoir augmenté le plus ses soutiens entre 2019 et 2020 au niveau international. En 2020, BNP Paribas est maintenant le 4ème principal pourvoyeur de financements aux énergies fossiles [3].

Pour l’économiste orthodoxe, Christian de Perthuis, spécialiste du problème, « il est normal que la finance ne soit pas moteur sur la question du climat. Si l’économie est carbonée, alors ce sera le cas de leurs portefeuilles ».

Quel aveu. Pour décarboner, on ne peut miser ni sur le marché, ni sur le volontariat. La loi doit contenir de véritables règles de responsabilité climatique aux entreprises, aux banques et à la finance.

Être ou ne pas être… telle est effectivement la question.

Bernard Marx

Notes

[1] Cité par Alain Pages, professeur à l’Université de Paris III Sorbonne nouvelle : Cour de cassation, le 19 juin 2006. Comme on le sait, la question qui ne devait pas être posée lors de ce procès historique était celle de l’affaire Dreyfus.

[2] Dès le 22 mars, 51 associations et syndicats ont adressé une « Lettre ouverte à Monsieur le Premier ministre, Jean Castex et à Monsieur Richard Ferrand, Président de l’Assemblée nationale sur le manque de débat démocratique sur le projet de loi climat et résilience ». Ils constatent que lors de son examen en commission spéciale du projet de loi 25% des 5000 amendements déposés par les députés ont été jugés irrecevables au motif qu’ils ne seraient pas en lien avec le projet de loi. « En somme, écrivent-ils, le gouvernement, en présentant un texte diminué, abandonnant des pans entiers des propositions de la convention citoyenne, n’a pas seulement trahi sa promesse envers les citoyens mais empêche le Parlement de débattre de ces sujets ».

[3] Voir par exemple les modifications cosmétiques concernant les marchés publics (article 15). Voir aussi la réponse de Reclaim Finance au plaidoyer de BNP Paribas dont le journal dont Dominique Seux est directeur délégué de la rédaction s’était fait complaisamment l’écho.


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