Entretien avec le leader palestinien Mustafa Barghouti

lundi 31 mai 2021.
 

Mustafa Barghouthi, homme politique palestinien et secrétaire général du parti Initiative nationale palestinienne, est une voix clé de la gauche progressiste laïque dans la politique palestinienne. Après le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, il donne son point de vue sur les événements survenus en Israël et dans les territoires occupés ces derniers jours et ses espoirs pour la politique étrangère allemande et de l’Union européenne à l’avenir.

Mustafa Barghouti, après onze jours de combats, le Hamas et Israël ont finalement accepté un cessez-le-feu. Quel est le résultat de cette intensification de l’affrontement ?

Mustafa Barghouti : C’est douloureux. 243 personnes ont été tuées à Gaza, dont 50% de femmes et d’enfants. En Israël, 12 personnes ont été tuées. 12 Israéliens contre 243 Palestiniens. Rien que cela en dit long.

Et politiquement parlant ?

M.B. : D’un point de vue politique, c’est incroyable. Après de nombreuses années d’oppression et de frustration, nous pouvons maintenant voir un fort sentiment de résistance, non seulement à Gaza, mais dans toute la Palestine. Je dirais même que c’est un soulèvement populaire qui a touché chaque Palestinien. Mardi 18 mai, des milliers de personnes sont descendues dans la rue en Cisjordanie. La majorité était des jeunes qui n’avaient probablement jamais participé à une manifestation auparavant. Beaucoup étaient laïques. J’ai été très impressionné par eux. Ils n’abandonneront jamais. Il existe une nouvelle unité des Palestiniens à l’intérieur des territoires de 1948, dans les territoires occupés, ainsi que dans la diaspora.

L’unité semble bonne à première vue, mais une partie de cette unité est le Hamas, qui a commencé l’affrontement militaire en tirant des roquettes sur des civils en Israël ?

M.B. : Non, vous avez tort. Le problème de ce récit est qu’Israël est la victime et que les Palestiniens sont les agresseurs. Bien sûr, dans un affrontement militaire, chaque camp tire et les civils sont touchés des deux côtés. Mais tout cela ne serait pas arrivé si Israël n’avait pas attaqué les gens dans la mosquée Al-Aqsa. Si Israël avait déclaré qu’il n’allait pas forcer les habitants de Sheikh Jarrah [dans Jérusalem-Est occupé] à quitter leur maison. Tout cela aurait pu être évité.

Il y avait eu des agressions à Jérusalem du côté palestinien aussi. Feux d’artifice, jets de pierres, attaques contre des citoyens juifs…

M.B. : Oui, mais les gens ont jeté des pierres après avoir été attaqués, pas avant. Le gouvernement israélien a été très imprudent en attaquant les gens dans la mosquée Al-Aqsa pendant le Ramadan, en dispersant les gens à Bab al-Amoud [Porte de Damas] qui étaient juste assis et faisaient la fête après avoir rompu leur jeûne.

Encore une fois, je ne vous ai pas entendu condamner explicitement les attaques contre les civils.

M.B. : C’est une tactique que les journalistes utilisent tout le temps. Je n’ai pas besoin de condamner quoi que ce soit. Je suis une personne qui a prôné la non-violence toute ma vie et je ne suis pas prêt à justifier l’attaque de civils où que ce soit. Mais vous ne pouvez pas mettre sur le même plan Israël, qui possède l’une des armées les plus puissantes du monde, et Gaza. Israël a attaqué Gaza avec 160 avions de chasse F-15 et F-16. Il n’y a aucune comparaison possible. En fin de compte, nous voyons ces cycles d’escalade encore et encore, parce que le monde s’en moque.

De quoi ?

M.B. : Premièrement, nous souffrons de la plus longue occupation de l’histoire moderne. Deuxièmement, nous souffrons d’un système d’apartheid bien documenté, comme l’ont récemment indiqué Human Rights Watch et l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem. Les Palestiniens d’aujourd’hui ne sont pas seulement partiellement soumis à l’occupation, mais tous les Palestiniens sont soumis au même système de discrimination raciale. Et troisièmement, le monde n’a pris aucune mesure sérieuse pour concrétiser la solution à deux Etats. Le monde, y compris l’Europe, est resté silencieux face à la construction de colonies par Israël, qui – comme nous le savons tous – détruit les dernières chances d’un Etat palestinien. Le nombre de colons illégaux est passé de 110’000 lors de la signature des accords d’Oslo [1993] à 750’000 aujourd’hui.

Le fait que les élections palestiniennes aient été à nouveau annulées en avril 2021 a également contribué à la frustration des Palestiniens. Que faut-il changer du côté palestinien ?

M.B. : Cette décision était une énorme erreur. En tant que parti d’opposition démocratique, nous avons essayé de convaincre le Fatah de ne pas annuler les élections. J’ai dit que si Israël nous empêche d’organiser des élections à Jérusalem, nous devrions les organiser quand même, malgré la décision israélienne, comme un acte de résistance non violente.

Le comité central des élections prévoyait déjà de distribuer environ 150 urnes dans tous les quartiers de Jérusalem-Est. Je voulais que le monde entier voie les soldats israéliens empêcher les Palestiniens de voter. Mais l’Autorité palestinienne et Mahmoud Abbas ont décidé d’annuler les élections. Le fait qu’Israël n’autorise pas les élections à Jérusalem – ce qui est vrai – n’était qu’une excuse.

Quelle était la vraie raison ?

M.B. : Ils étaient inquiets des résultats des élections.

Que le Hamas gagne ?

M.B. : Non. Le Hamas aurait obtenu plus de sièges que le Fatah, mais personne n’aurait obtenu la majorité. Nous aurions vu un pluralisme politique, ce qui aurait été bien mieux que la situation actuelle. Les Palestiniens ont besoin d’une direction unifiée qui puisse légitimement prendre des décisions politiques et aussi choisir la forme de résistance que nous utilisons. Nous avons le droit de résister à l’occupation. Nous avons le droit de résister à l’apartheid. Si vous ne voulez pas de la résistance palestinienne, alors mettez fin à l’occupation. Mettez fin à l’apartheid. A mon avis, nous devrions revenir à la résistance non violente maintenant que l’opération militaire à Gaza est terminée. C’est la voie à suivre.

Un cessez-le-feu n’est pas un processus de paix. Que faut-il faire pour relancer de véritables négociations de paix ?

M.B. : Israël doit faire deux choses : arrêter toutes les activités de colonisation sans exception, et déclarer qu’il est prêt à mettre fin à l’occupation et à permettre la création d’un Etat palestinien.

Occupation de quoi exactement ?

M.B. : Des territoires palestiniens occupés de 1967, y compris Jérusalem-Est. C’est la condition préalable, c’est une obligation. Il y a des parallèles avec l’Afrique du Sud. Nelson Mandela a refusé de négocier jusqu’à ce que le régime accepte le système « un homme, une voix ». Pour que les négociations aboutissent, nous devons aller dans cette direction. Nous avons eu 28 ans de négociations inutiles. Aujourd’hui, il n’y a plus de place pour des accords temporaires ou transitoires sans connaître le résultat final.

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, était en Israël et en Palestine jeudi 20 mai. Quel est votre message au gouvernement allemand ?

M.B. : Premièrement, Heiko Maas devrait au moins dire que l’occupation doit prendre fin. Deuxièmement, non seulement l’Allemagne, mais toute l’Europe doivent reconnaître l’Etat palestinien. Si vous soutenez vraiment une solution à deux Etats, pourquoi ne reconnaissez-vous pas la Palestine ? Cette mesure modifierait l’équilibre des forces et rendrait le conflit plus symétrique, ce qui ouvrirait la voie aux négociations. Il aurait également dû dire que les Palestiniens ont le droit de se défendre.

Mustafa Barghouti, médecin, est né à Jérusalem en 1954. En 2005, il est arrivé deuxième en tant que candidat indépendant à l’élection pour succéder à Yasser Arafat, derrière l’actuel président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Il est président du parti de l’Initiative nationale palestinienne.

Jannis Hagmann


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