18 septembre 1981 : abolition de la peine de mort en France

mercredi 20 septembre 2023.
 

L’aboutissement de deux siècles d’un combat toujours actuel.

«  J’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France.  » Il y a quarante ans, le 17 septembre 1981, à 15 h 30, Robert Badinter entame devant les députés la défense enflammée d’un texte historique  : la loi n° 81-908 mettant fin à la peine capitale.

L’avocat de 53 ans, nommé garde des Sceaux par François Mitterrand trois mois plus tôt, a fait sienne la cause de l’abolition depuis le début des années 1970 et l’affaire Buffet-Bontems. Auteurs d’une prise d’otages sanglante à la prison de Clairvaux, ces deux détenus sont condamnés à mort en juin 1972. Roger Bontems, défendu par Badinter, n’était que le complice de Claude Buffet, et n’avait pas porté les coups de couteau mortels. Qu’à cela ne tienne  : la cour d’assises de Troyes envoie les deux à la guillotine. Le président Pompidou refuse d’exercer son droit de grâce et, le 28 novembre 1972, ils sont exécutés, à l’aube, à la prison de la Santé.

«  Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine  »

«  Il n’y a pas de révision possible, pas de grâce possible, pas de libération possible, pour le décapité. Je ne pouvais plus rien pour Bontems. C’était la vérité nue, la seule de cette nuit  », écrit l’avocat dans l’Exécution (1973). L’affaire est un déclic et le fait passer «  de la conviction intellectuelle à la passion militante  » contre la peine de mort. Il décide alors de défendre tous ceux qui, risquant un tel châtiment, le solliciteraient. Ce fut le cas de Patrick Henry. Nous sommes au début de l’année 1976, et «  la France a peur  », proclame Roger Gicquel, à l’ouverture du JT de TF1. Le corps du petit Philippe Bertrand, 7 ans, vient d’être découvert dans la chambre de son ravisseur, Patrick Henry, qui espérait soutirer une rançon à ses parents. «  Oui, la France a peur, poursuit Gicquel. Et c’est un sentiment qu’il faut que nous combattions. Parce qu’on voit qu’il débouche sur des envies folles de justice expéditive, de vengeance immédiate et directe.  » Il n’a pas tort. Et il faudra tout le talent de Robert Badinter pour transformer le procès de Patrick Henry en procès de la peine de mort. En transe lors de sa plaidoirie, l’avocat interpelle directement les jurés  : «  Un jour, on abolira la peine de mort, et vous resterez seul avec votre verdict, pour toujours. Vos enfants sauront que vous avez condamné à mort un homme de 23 ans. Et vous verrez leur regard…  » L’accusé échappa à la peine capitale. Mais il restait à bouter hors de notre droit cette sanction ultime.

À l’Assemblée, certains ont pris à bras-le-corps ce combat. Saisie par les groupes PCF et PS, et quelques députés de droite, la commission des Lois rédige un rapport en faveur de l’abolition, présenté par Philippe Séguin. Mais l’exécutif bloque. C’est l’élection de mai 1981 qui va changer la donne. En mars, lors de l’émission Cartes sur table, le candidat Mitterrand surprend, en affirmant clairement  : «  Dans ma conscience, je suis contre la peine de mort. Et je n’ai pas besoin de lire les sondages qui disent le contraire.  » Robert Badinter raconte avoir placé, la veille de l’émission, en haut de la pile des notes préparées à l’intention du candidat, une série de citations des défenseurs de l’abolition. Du premier débat de 1791 à celui, resté fameux, de 1908, opposant Jaurès à Barrès, il y avait de quoi nourrir un concours d’éloquence. «  Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine  ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne  », résume Victor Hugo devant l’Assemblée constituante, le 15 septembre 1848, avant de réclamer son abolition «  pure, simple et définitive  ». Celle-là même que défend Robert Badinter en 1981, refusant tout amendement à son texte, ou toute peine de substitution.

Le ministre, ce 17 septembre, plaide comme l’avocat qu’il n’a jamais cessé d’être. Souligne le retard de la France, «  dernier pays en Europe occidentale à ne pas avoir aboli  ». Balaye l’idée d’un effet dissuasif de la sanction. «  Il n’a jamais été établi une corrélation quelconque entre la présence ou l’absence de la peine de mort dans une législation pénale et la courbe de la criminalité sanglante  », rappelle-t-il, évoquant un choix d’abord «  politique et moral  ». Un choix dicté par une double conviction  : «  Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, (…) elle demeure humaine, donc faillible  », argumente le garde des Sceaux, avant de conclure, confiant  : «  Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises.  »

Un «  système carcéral français à revoir  »

Le 18 septembre, la loi était votée par 363 voix contre 117. Le Sénat suit quelques jours plus tard et le texte est promulgué le 9 octobre. La France est alors le 35e État à faire ce choix. «  Ce n’était pas une performance  », a convenu mercredi Robert Badinter, lors d’un colloque à l’Assemblée, soulignant surtout que «  le combat n’est pas terminé  ». Dans le viseur de l’infatigable militant de 93 ans, la bataille pour l’abolition universelle, ces États «  très puissants ou fanatisés  » (Chine, Iran, Égypte, Arabie saoudite…) qui continuent de pratiquer la peine capitale, mais aussi un «  système carcéral français à revoir  ». «  À l’intérieur comme à l’extérieur, il nous faut encore convaincre  », a assuré Robert Badinter, dans une allusion aux 50 % de Français qui seraient favorables au rétablissement de la peine de mort (Ipsos, août 2021). Alors que le procès des attentats du 13 Novembre vient de s’ouvrir, il prévient  : «  Il est hors de question de lutter contre les terroristes avec les armes des terroristes.  »

Alexandre Fache

18 septembre 1981 : Abolition de la peine de mort en France

https://www.revuedesdeuxmondes.fr/1...

Par Margaux d’Adhémar

Le 18 septembre 1981, l’Assemblée Nationale vote la loi d’abolition de la peine de mort présentée par le garde des Sceaux et Ministre de la Justice (sous François Mitterrand), Robert Badinter. 369 députés votent en sa faveur et 113 s’y opposent. En août 1981, Le Conseil des ministres remplace la peine de mort par la réclusion criminelle à perpétuité. C’est l’aboutissement de près de 200 ans d’efforts des abolitionnistes, après de nombreuses tentatives.

La peine de mort au XVIIIème siècle

Dès la fin du XVIIIe siècle, la peine de mort fait l’objet d’une contestation. Un jeune marquis italien, Cesare Beccaria, dans un opuscule publié en 1764, Des délits et des peines, écrit : « L’État n’a pas le droit d’enlever la vie. La peine de mort est une survivance de rigueurs antiques et un anachronisme dans une société policée. Elle n’est pas seulement inutile parce que sa valeur d’exemple est nulle, elle est aussi nuisible ». Sa protestation est relayée par Voltaire et même par Robespierre (qui changera assez vite d’avis).

A l’époque, la peine capitale était assortie de peines infamantes, telles que l’exposition de la dépouille aux yeux de tous. La peine variait selon le crime : pendaison, décapitation à l’épée pour les nobles, bûcher pour les hérétiques (souvent discrètement étranglés auparavant par un lacet), roue pour les brigands et meurtriers (pour les crimes les moins graves, on étranglait l’homme avant de le fracasser), huile bouillante pour les faux-monnayeurs, écartèlement pour haute trahison…

En 1791, l’Assemblée uniformise les peines : “Tout condamné à mort aura la tête tranchée”. L’usage de la guillotine est généralisé et le nombre de crimes passible de la peine capitale passe de 115 à 32. Cette disposition demeurera dans le Code pénal français jusqu’en 1981. En outre, la Révolution française accomplit un pas décisif vers la modulation des peines en introduisant la privation de liberté, autrement dit la prison. Jusque-là en effet, l’incarcération était réservée aux prévenus en attente de jugement, et ne constituait pas une peine en tant que telle. En 1829, Victor Hugo publie Le Dernier Jour d’un Condamné (récit des derniers moments d’un jeune condamné).

La peine de mort au XXème siècle

En 1939 a lieu la première décapitation par guillotine en public. Le condamné, Eugène Weidmann, est filmé, photographié et entouré d’une foule de femmes hystériques. En raison de nombreux quiproquos, l’exécution est anormalement longue. Le gouvernement interdit alors les exécutions publiques. Celles-ci auront désormais lieu dans la cour des prisons.

Alors que 1970 est une année sans exécution, la peine capitale semble vouée à disparaître. Mais en 1971, Claude Buffet et Roger Bontems, deux détenus qui viennent de capturer un gardien et une infirmière, assassinent leurs deux otages à coup de poignards. Claude Buffet, récidiviste qui purgeait une perpétuité, demande lui-même à être mené à l’échafaud. Roger Bontemps, qui purgeait une peine de vingt ans, n’a pas participé à l’assassinat des otages. Son avocat, Robert Badinter, tente de lui faire éviter la peine de mort. Son client est tout de même exécuté.

En 1976, une nouvelle condamnation envoie à l’échafaud Christian Ranucci, un jeune homme de 20 ans accusé du meurtre de la petite Marie-Dolorès, huit ans. Ranucci avoue le crime au bout de dix-neuf heures de garde à vue, puis se rétracte. Il est « froid comme un iceberg », remarque l’envoyé spécial du Figaro. Personne ne comprend sa réaction : s’il est innocent, tout le monde s’attend à ce qu’il crie, qu’il insulte la cour. S’il est coupable, qu’il exprime des regrets, qu’il tente de montrer qu’il n’était pas dans son état normal. Christian Ranucci se voit refuser la grâce par le président Valéry Giscard d’Estaing, dont l’esprit d’ouverture se heurte à la pression croissante de la fraction conservatrice de son camp.

En 1976, Patrick Henry, qui a enlevé et tué un petit garçon de sept an,s échappe grâce à Badinter à la peine de mort et se voit condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. L’affaire donne l’occasion au célèbre avocat de faire le procès de la peine de mort.

En 1977 a lieu la dernière exécution d’un criminel en France : Hamida Djandoubi, condamné pour l’assassinat de sa femme après tortures, viol et violences avec préméditation. Juste après l’exécution, la doyenne des juges d’instruction de Marseille, Monique Mabelly, commise d’office pour y assister, témoigne : « Tout va très vite. Le corps est presque jeté à plat ventre mais, à ce moment-là, je me tourne, par une sorte de pudeur instinctive, viscérale. J’entends un bruit sourd. Je me retourne – du sang, beaucoup de sang –, le corps a basculé dans le panier. En une seconde, une vie a été tranchée. L’homme qui parlait, moins d’une minute plus tôt, n’est plus qu’un pyjama bleu dans un panier. Un gardien prend un tuyau d’arrosage. Il faut vite effacer les traces du crime… »

L’abolition de la peine de mort figure au programme des « 110 propositions pour la France » présenté par le Parti socialiste en 1981 et son candidat François Mitterrand pour l’élection présidentielle. Ce dernier, qui a fait de l’abolition de la peine de mort le marqueur de sa présidence, est, de tous les présidents de la Ve République, celui qui a envoyé le plus d’hommes à la guillotine, lorsqu’il était ministre de la Justice dans le gouvernement socialiste de Guy Mollet, vingt-cinq ans plus tôt, pendant la guerre d’Algérie.

Les arguments

Du coté abolitionniste, l’injustice et l’inefficacité de la peine sont les principaux arguments. Son exemplarité et sa légitimité sont aussi remises en cause : la peine serait contraire aux droits de l’Homme, incompatible avec une société civilisée (« Une société qui se fait également meurtrière n’enseigne-t-elle pas le meurtre ? », interroge le représentant Adrien Dupont) et l’exemplarité serait un leurre. Les partisans de l’abolition clament que la justice n’est pas infaillible, et que la loi n’a pas vocation à se venger des criminels, que les peines doivent au contraire corriger l’homme.

Jean-Marc Varaut, abolitionniste, explique sa position dans la Revue des Deux Mondes , en 1981 : « J’étais et je demeure abolitionniste. Ce qui suffit à démontrer l’inutilité de cette peine, (…) ce sont les conditions mêmes de son application : à l’aube, au fond d’une cour, clandestinement. Si ce supplice pouvait intimider les criminels en puissance, il faudrait rétablir la guillotine place de la Concorde, sur un échafaud élevé, devant la foule assemblée et les caméras de télévision. Le rejet spontané de cette hypothèse montre que la motivation des partisans de la peine de mort n’a pas son utilité prétendue. (…) Une équivalence est présumée entre le mal commis et le mal souffert et infligé. Cette équivalence du crime et du châtiment en valeur s’exprime dans le langage du « prix » : le châtiment est le prix du crime. Prix ou valeur, cette identité prétendue est absurde : subir et faire subir se situent en deux lieux différents ; souffrir et faire souffrir sont donc deux sujets différents. Quand la justice rétributive condamne, elle prétend faire expier et restituer ; mais souffrir ne restitue rien, ne rachète rien et la mort par rétribution est une fin sans finalité. (…) la négation de la négation selon Hegel. Elle apparaît comme un « besoin » pulsionnel. L’extraordinaire violence verbale et les colères haineuses qui accompagnent très vite toutes les discussions sur l’abolition de la peine de mort en témoignent. »

En face, les partisans de la peine capitale pensent que celle-ci est la garantie contre la récidive (trop souvent, les graciés récidivent, avancent-ils). Elle a valeur d’exemplarité afin de dissuader les criminels et évite que les Français se fassent justice eux-mêmes. Enfin, elle protège la société et apporte un sentiment de sécurité.

En 1981, Gabriel Robin, non abolitionniste, s’exprime, dans la Revue des Deux Mondes, à ce sujet : « Le procès criminel met en jeu le destin d’un homme. (…) Mais à travers l’homme, c’est le crime qui est jugé. (…) Comme le mot même l’indique, ce jugement, c’est celui que la société, collectivement, porte sur l’acte du criminel. Et ce jugement ne peut s’exprimer que dans le prononcé de la peine. Celle-ci n’a pas pour fonction première et essentielle de réparer, de dissuader, de réhabiliter. Son rôle (…) est de déclarer quel droit a été violé et quelle place la société lui assigne dans sa hiérarchie des valeurs. Selon le principeSummum jus, summa injuria, le Code qui fixe l’échelle des peines n’a pas d’autre sens que de traduire cette hiérarchie des valeurs. A travers son Code pénal, une société se dit à elle-même ce qu’elle est et ce en quoi elle croit. En jugeant, elle se juge.

Que signifie dès lors l’abolition de la peine de mort ? Qu’on maintienne ou qu’on supprime dans le même temps la réclusion à perpétuité, le résultat est le même. Chacun sait, en effet, (…) que la perpétuité, (…) est heureusement théorique et qu’elle équivaut au maximum à une vingtaine d’années de prison, et, le plus souvent, à moins. Abolir la peine de mort, c’est dire qu’il n’existe pas de crime, si abominable soit-il, qui mérite plus de vingt ans de prison. Qu’une malheureuse vieille soit agressée, torturée, assassinée pour lui voler ses économies, qu’un enfant soit enlevé et, rançon touchée, froidement supprimé, et leur vie sera évaluée à deux ou trois fois le magot d’une banque cambriolée. Un prix de même nature, sinon tout à fait du même ordre. En vain, une société qui se comporte de la sorte proclamera (…) le caractère sacré qu’elle attache à la vie. Ses actes démentiront ses paroles. Abolir le châtiment suprême, c’est (…) déclarer qu’il n’y a ni valeur, ni injustice suprêmes. C’est affirmer, implicitement mais effectivement, qu’aucune valeur, si haute fût-elle, n’est absolue et sans prix. Même pas la vie innocente d’un être humain. »


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message