Énergie, carburant, alimentation : il faut bloquer les prix !

vendredi 26 novembre 2021.
 

Intervention de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale le 23 novembre 2021 sur le projet de loi de finances et sur le blocage des prix des produits de première nécessité. Voici la retranscription de cette intervention.

« Président, ministres, collègues,

Le texte que nous avons à examiner contient une série de dispositions et je m’en tiendrai à deux d’entre elles pour vous expliquer les raisons pour lesquelles nous rejetterons ce texte. Ma première observation portera sur l’indemnité qui est prévue pour les agriculteurs en raison du gel qui a dévasté les productions nationales il y a de cela quelques mois. Ce n’est pas tant que je veuille protester contre cette indemnité mais plutôt souligner la situation singulière de l’agriculture dans ce moment. Il se trouve que justement, là nous sommes en train de parler et vient d’avoir lieu un vote au Parlement européen sur la nouvelle PAC qui a été adoptée par 452 voix, dont pas une des nôtres et 178 contre, toutes les nôtres. Cette nouvelle PAC européenne renonce à être une politique agricole commune, elle renationalise les politiques agricoles.

Alors je n’engage pas le débat de savoir si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Sous cet aspect j’en déduis ce qu’il doit être déduit de ce type de choix : c’est que l’Europe n’a pas d’ambition agricole. L’Europe a une ambition productiviste, elle aide des entreprises dites “agricoles” à produire tout, n’importe quoi, n’importe comment, du moment que ça se vend sur le marché mondial. Et la France restera dans la situation singulière qui est la sienne, qui est que compte tenu de ce modèle agricole, et bien elle n’a pas de souveraineté alimentaire : 50% de ce qu’elle consomme est importé tandis qu’elle exporte une quantité considérable de maïs pour des poulets chinois et autres produits pour des cochons de l’Inde et des animaux de tous les pays du monde sauf ceux qui nous intéressent ici. Ce ne serait rien si nous n’étions pas dans un contexte où vient d’avoir lieu une action qui a été signalé contre le suicide des agricultures. Il s’en suicide 1 par jour et ça fait des mois et des mois que ça dure.

Cela suffirait n’importe où ailleurs pour déclencher une situation d’alarme générale. Non, il ne se passe rien. Il se suicide 30% de gens de plus que c’est le cas dans les autres professions. 1 agriculteur sur 5 vit en dessous du seuil de pauvreté. Personne n’arrive à croire une chose pareille dans un pays dont la terre est si riche que l’est la terre de France et la possibilité pour elle de produire ce dont elle a besoin. Par conséquent, cette introduction me servira à être un signal d’alerte pour qu’enfin, on change de modèle agricole, qu’on se donne pour objectif la souveraineté alimentaire et qu’on réquisitionne toute l’agriculture pour qu’elle produise ce dont ont besoin les Français, c’est-à-dire d’agricultures vivrières capables d’alimenter en produit bio la totalité de ses cantines et la nourriture de ses enfants.

Le second point sur lequel je vais intervenir maintenant c’est celui des différentes indemnités que vous avez prévu pour faire face à l’augmentation, que dis-je, à l’explosion des prix de l’énergie. Naturellement ce n’est qu’un début. Nous allons voir dans toutes sortes de domaines, dorénavant, l’inflation est là. Alors il y a maintenant une génération entière, 25 ans, que personne n’était habitué à traiter du problème de l’inflation, c’est-à-dire de l’augmentation continue des prix. L’inflation a aussi des fois des vertus, mais elle n’en a que quand on la contrôle.

Quand on ne la contrôle plus, elle n’en a aucune. L’expérience des années 60 montre que cela peut ne pas être désastreux. L’expérience des années 70 montre que cela peut être handicapant et la lutte implacable qui a été menée ensuite dans les années 80 montre que cela peut être asphyxiant.

En attendant, pour faire face à la question de l’énergie qui résulte à 100% d’une organisation désastreuse du marché de l’énergie en Europe qui est alignée sur le coût marginal le plus élevé, celui qui résulte des entreprises qui produisent à plus haut prix l’électricité à partir du gaz le plus cher, eh bien, nous avons une explosion des prix qui fait que 12 millions de Français préfèrent baisser le chauffage, être en dessous du niveau auquel ils n’ont plus froid plutôt que de devoir se vider les poches et que l’augmentation du prix de l’énergie a accéléré d’un seul coup les calculs impossibles que les ménages doivent faire pour savoir s’ils vont se chauffer plutôt que se nourrir, se nourrir plutôt que se transporter ou se loger.

L’augmentation du prix de l’énergie a donc touché au vif le nerf de l’organisation collective et de la vie commune des Français. Et quelle est notre réponse, ou plus exactement quelle est la vôtre ? Au prix du gaz qui a augmenté de 57% depuis le début de l’année, je voudrais rappeler d’abord que la privatisation du marché du gaz était censée voir les prix baisser. C’est tout le contraire qui s’est produit. Mais quelle est la solution qui est apportée ? Alors vous dites : “nous donnons 100€ du chèque énergie à 3 millions et demi de ménages.”

Et une indemnité inflation de 100€ pour 38 millions de Français. Alors les chiffres sont extrêmement décoratifs, la réalité l’est beaucoup moins. 100€, ce n’est quasiment rien compte tenu de l’augmentation du prix, mais surtout c’est 3 800 000 000 d’indemnités. 600 millions pour le chèque énergie, 1,2 milliard pour indemniser qui ? Les fournisseurs.

Cela a été voté dans la loi de finances. Total : 5,6 milliards d’euros ont été pris et seront pris dans le Trésor public pour permettre au trésor privé de continuer à s’accumuler, tandis que le trésor privé, lui, celui des très grandes entreprises fournisseurs, n’a pas été touché d’un seul euro.

On n’a pas eu la mauvaise manière de leur demander quoi que ce soit. Or, si l’on avait pris 10% des profits des entreprises qui fournissent, je dis bien 10% seulement, il y avait de quoi tirer 500€ par abonné au gaz, c’est-à-dire leur rembourser la totalité de la dépense supplémentaire qu’ils ont dû faire pendant l’année depuis 2017, puisque cela augmente tous les ans. Le trésor privé est là et c’était à lui de payer et c’est à cela que vous avez renoncé.

Tout le contraire. Tout le contraire. Alors même qu’au troisième trimestre, Total a multiplié ses bénéfices par 23. Il semble que quand on multiplie par 23, il doit quand même bien avoir quelque chose qui puisse être pris pour le commun des mortels et la satisfaction de la qualité de la vie quotidienne.

La solution est là, il faut bloquer les prix. Qu’on ne me dise pas que cela n’est pas possible. Il ne faut surtout pas reporter les hausses à après la présidentielle. Il faut bloquer les prix de l’énergie, du carburant, de l’alimentation, mais je reste sur le chauffage et sur l’énergie.

Peut-on bloquer les prix ? Oui. Article 410-2 du Code du commerce. Ce blocage est autorisé quand il y a une situation de crise : “des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation anormale du marché dans un secteur déterminé.”

C’est très exactement la situation que nous rencontrons. Par conséquent, nous sommes fondés à proposer légalement, légitimement, le blocage des prix. Est-ce que cela s’est déjà vu dans la période récente, c’est-à-dire depuis la période de l’enthousiasme aveuglé pour le libre marché, la concurrence libre et non faussée et autres fadaises qui nous ont amenés à la ruine actuelle ? Oui, cela a été fait une première fois sur la question des carburants par monsieur Michel Rocard en 1991 et plus récemment par le gouvernement communiste d’Emmanuel Macron, qui a établi un blocage des prix pour les masques et le gel hydro alcoolique.

Chacun a compris que je voulais plaisanter, mais comme vous ne réagissez pas, je crains que vous n’ayez pas bien compris que c’était une blague. C’était une blague pour dire que si le gouvernement d’Emmanuel Macron l’a fait pour les jeunes et les masses, pourquoi ne le fait il pas pour l’énergie, pour l’essence et pour le gaz ? Ces raisons m’amènent, pour utiliser complètement la réflexion que la situation particulière des crises que déchaîne la pandémie et que nous ne faisons que commencer à boire car l’interruption des chaînes de production qui ont été volontairement massivement globalisées au titre de la mondialisation qui, paraît-il devait être que bienfaits et baisse des prix pour tout le monde, fait que dorénavant, ces chaînes se sont interrompues et que surgissent des explosions de prix dans des secteurs tout à fait décisifs comme la construction et autres. Voici qu’on manque de bois, on manque de fer, on manque de toutes sortes de produits dans notre pays que nous étions jusqu’à une date récente, parfaitement capable de produire.

Alors, il faut s’interroger sur ce qui doit être dans et hors le marché. L’énergie doit être mise hors marché. Les réseaux d’énergie ont toujours été des monopoles naturels et on ne parvient à établir le marché qu’à partir de trafics de toutes sortes où le producteur principal pour l’énergie électrique est EDF, transporté par Réseau public de France, à qui on demande de faire des rabais pour permettre à des producteurs privés de vendre à leur tour. Non, cela n’est pas un marché, c’est tout simplement un piratage. Il sera toujours plus efficace d’avoir un réseau d’électricité que deux.

Il faut revenir au monopole d’État. Nous proposons un pôle public de l’énergie. Il faut abolir totalement les coupures d’électricité. Il y en a 600 000 par an. Il faut rendre gratuits les premiers kilowattheures et mètres cubes d’eau. Il faut rendre possible en toutes circonstances, que l’on soit pauvre ou pas, la dignité de l’existence. Merci pour votre attention. »


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