La pensée de Rosa Luxemburg

samedi 19 mars 2022.
 

Les philosophes Ulysse Lojkine et Alice Vincent proposent aux lecteurs de re-découvrir la pensée de la militante révolutionnaire froidement abattue un jour de janvier 1919 par une police républicaine aux ordres d’un ministre de la Défense socialiste.

Ulysse Lojkine et Alice Vincent, Découvrir Luxemburg, Editions sociales, 2021.

Avec « Découvrir Luxemburg » publié par les Editions sociales, les philosophes Ulysse Lojkine et Alice Vincent proposent aux lecteurs de re-découvrir la pensée de la militante révolutionnaire froidement abattue un jour de janvier 1919 par une police républicaine aux ordres d’un ministre de la Défense socialiste. L’Allemagne, sortie vaincue et exsangue de la Grande Boucherie de 1914, vivait alors une nouvelle période insurrectionnelle, connue sous le nom de révolution spartakiste.

Rosa Luxemburg n’était pas seulement une militante de premier rang de la puissante social-démocratie allemande et « une femme politique intraitable » nous disent les auteurs. Elle était également une figure incontournable de la scène intellectuelle marxiste d’alors1.

Le livre se compose de douze chapitres s’ouvrant sur un texte de Rosa Luxemburg accompagné d’un commentaire critique des auteurs et d’une bibliographie ; douze chapitres qui permettent au lecteur de mieux comprendre les apports de cette militante au marxisme et d’expliquer sa position singulière dans le socialisme d’avant 1920.

Juive polonaise vivant dans une Pologne sous domination étrangère, elle appelle les ouvriers à se battre pour le socialisme et non l’indépendance nationale, considérant que « là où le marché, le salariat, l’accumulation prédominent, l’indépendance est obsolète ». Economiste, elle propose une théorie de l’impérialisme comme nouvelle structure du capitalisme, évolution violente et phase ultime préfigurant son effondrement par incapacité à conquérir d’autres espaces à exploiter, une fois la terre conquise. Révolutionnaire, elle juge impossible l’avènement du socialisme par des réformes successives ou le développement au coeur du capitalisme d’institutions telles que les coopératives ; elle considère que le capitalisme court mécaniquement à sa perte et ne sera renversé que par une révolution instaurant la propriété collective des moyens de production ; mais à la différence des réformistes qui attendent que le fruit mûr soit au sol pour le ramasser, elle considère la rupture révolutionnaire violente inéluctable.

La Première Guerre mondiale est pour tout le mouvement ouvrier un moment traumatique puisque l’internationalisme proclamé des socio-démocrates se transforme en défense de la patrie menacée. Pour Rosa Luxemburg, chaque belligérant est responsable de cette descente aux enfers car sa partition nationale s’inscrit dans un cadre général qui s’appelle l’impérialisme.

Critique du léninisme en théorie et en actes2, elle refuse le centralisme du parti bolchevik, défend la liberté d’expression et la Révolution comme l’affaire des masses plus que d’un état-major persuadé de son infaillibilité. Elle défend l’organisation en conseils de la classe ouvrière, conseils dont la mission est de s’emparer de tous les instruments de l’État parce qu’elle ne veut pas que le socialisme soit décrété, écrit-elle, « par une douzaine d’intellectuels réunis autour d’un tapis vert » ; La Révolution sera donc l’affaire des masses, ce qui l’amène à repenser le rôle du parti dans la phase insurrectionnelle, à rebours des conceptions bolchevik ou social-démocrate ; un parti qui doit faire confiance à la spontanéité des masses, accompagner le processus révolutionnaire.

Depuis un siècle, chacun pioche dans la pensée de Rosa Luxemburg ce qui peut servir sa thèse. C’est le plus bel hommage qu’on puisse rendre à une pensée critique : celle de rester féconde.

par Christophe PATILLON

Historien, grand lecteur, militant, chroniqueur pour Alternantes FM, et accessoirement vieux punk


1 Signalons le travail de réédition des textes de Rosa Luxemburg engagé par les éditions Smolny… (smolny.fr) et Agone.

2 Outre le rôle du parti, elle a critiqué la politique bolchevik à l’égard de la paysannerie et celle en direction des « minorités nationales ».


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