Débat du second tour : l’arrogance et le néant

lundi 25 avril 2022.
 

À l’occasion de ce débat technique, souvent ennuyeux, quelques temps forts ont cependant émergé. Emmanuel Macron a attaqué notamment Marine Le Pen sur le financement de sa campagne par une banque russe proche du pouvoir, moqué sa volte-face sur l’Europe, combattu assez fermement ses propositions sur le foulard. Mais le débat est resté étrangement courtois, le président sortant remerciant même à l’issue de la discussion son adversaire pour les échanges, passant bien vite sur l’extrême droite dont Marine Le Pen est l’étendard, même « ripoliné ».

Pouvoir d’achat : un duel, mais des oublis communs

Dès ses premiers mots lors du débat de ce 20 avril, Marine Le Pen s’est fait la « porte-parole des Français » qui lui ont confié leur sentiment de « précarité généralisée ». « Je n’ai vu que des Français me dirent qu’ils n’y arrivaient plus, qu’ils ne s’en sortaient plus », a lancé celle qui promet d’être la « présidente du pouvoir d’achat », et qui veut faire de ce thème sa « priorité absolue ». Emmanuel Macron est convenu qu’on lui parlait aussi « Caddie qu’on n’arrive plus à remplir » et des « fins de mois difficiles ».

La candidate du RN a principalement déroulé des propositions de baisses d’impôts (retour de la demi-part pour les veufs et les veuves, exonération d’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans, part pleine dès le deuxième enfant au lieu du troisième), mais a aussi fait admettre à son concurrent que le gouvernement avait eu tort de refuser la « déconjugalisation » de l’allocation adulte handicapé.

Après un débat technique autour de leurs propositions pour atténuer la hausse brutale de l’énergie (« bouclier énergétique » contre baisse de la TVA), les deux adversaires se sont en revanche retrouvés pour prôner de baisser encore plus les cotisations sociales sur les salaires : prime jusqu’à 6 000 euros exonérée de cotisations pour le premier, exonération des cotisations si une entreprise augmente de 10 % tous les salaires (jusqu’à 3 Smic) pour la seconde.

Leur échange aura eu le mérite de souligner qu’aucun des deux ne souhaite imposer une augmentation du Smic. Le président sortant a bien rappelé que le salaire minimum allait augmenter de 3,5 % (le 1er mai) et que le point d’indice des salaires des fonctionnaires serait augmenté.

Mais la première hausse est automatique, et prévue par la loi pour suivre l’inflation. Le gouvernement n’est jamais allé au-delà de cette obligation, pas plus que ses prédécesseurs : depuis 2008, il n’y a eu qu’un seul mini-coup de pouce, de 0,6 % en 2012. Mais il ne s’engage au mieux qu’à compenser la très forte poussée inflationniste de cette année : 4,5 % en rythme annuel en mars, et entre 3 % et 3,5 % jusqu’à fin juin, selon l’Insee. Il ne réparera pas la politique d’austérité qu’il a conduite depuis 2017 – politique déjà menée par ses deux prédécesseurs.

Quant au point d’indice, il est gelé depuis 2010, mis à part une hausse de 1,2 % en 2016. Douze années d’austérité quasi ininterrompue ont entraîné des pertes massives de pouvoir d’achat pour les fonctionnaires. Mediapart avait calculé que ce gel du point d’indice pourrait mécaniquement conduire à une baisse historique du pouvoir des pensions publiques, de l’ordre de 16 % sur la période 2010-2022.

Retraites, front contre front

Un clivage, un vrai. Là où Emmanuel Macron revendique de faire reculer l’âge légal de départ à la retraite jusqu’à 65 ans, au rythme de quatre mois par an (pour arriver à 64 ans en 2027, et 65 ans en 2030), Marine Le Pen ne veut pas toucher à la borne actuelle : elle propose d’instaurer un âge de départ variant entre 60 et 62 ans, en fonction de l’âge d’entrée dans la vie active, avec une durée de cotisation s’étalant de 40 à 42 annuités.

« On a beaucoup de progrès à financer, sur la santé et d’autres sujets, en particulier sur le grand âge, pour permettre l’autonomie des plus âgés d’entre nous », justifie le président sortant. Quitte, donc, à choisir une mesure entraînant de très fortes économies, et de non moins grandes inégalités.

Le recul seul de l’âge de départ, sans toucher à la durée de cotisations, est en effet très inégalitaire : il favorise celles et ceux qui entrent tard dans le monde du travail, et qui n’atteindraient de toute façon pas, avant d’avoir le droit de partir, le nombre de trimestres cotisés actuellement nécessaires.

Au contraire, une personne entrée jeune dans le monde du travail pourra avoir cotisé la durée nécessaire avant d’atteindre l’âge légal, et elle devra travailler plusieurs mois ou années supplémentaires. « La retraite à 65 ans, c’est une injustice absolument insupportable », a tancé Marine Le Pen. « Ce n’est pas agréable », a assumé Emmanuel Macron, revendiquant un langage de vérité au nom des futurs chantiers à financer et accusant sa concurrente de ne pas pouvoir financer sa proposition.

Le président sortant a pu contre-attaquer en soulignant que Marine Le Pen n’a pas prévu de maintenir un quelconque système prenant en compte la pénibilité du travail : « Votre système n’est pas juste. Quelqu’un qui commence un travail pénible à 25 ans, dans votre système il va jusqu’à 67 ans… » Le gouvernement d’Emmanuel Macron a tout de même supprimé dès son arrivée en 2017 quatre des dix critères du compte pénibilité, imaginé par le gouvernement socialiste précédent.

Les deux candidats se sont retrouvés sur la nécessité d’indexer les pensions sur l’inflation. Ce serait une rupture : sous les trois derniers quinquennats, les retraites ont fait l’objet d’une sous-indexation, conduisant à des pertes massives de pouvoir d’achat. Un rapport d’évaluation en annexe du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 en donne un chiffrage précis : de 2010 à 2021, les prix ont grimpé de 9,9 %, alors que les pensions inférieures à 2 000 euros n’ont progressé que de 8,6 %. Pour les pensions supérieures à 2 000 euros, la hausse n’a même été que de 7,9 %. Un décrochage net qui a lieu pour l’essentiel à partir de 2017.

Du vent sur la santé et la dépendance

La candidate et le candidat se sont livrés, en dix petites minutes, à une bataille d’empathie assez cynique envers les soignant·es et les Français et Françaises privées d’accès aux soins dans les déserts médicaux, sans que leur maîtrise du sujet ou leurs propositions n’éblouissent.

La palme de la promesse la plus absurde revient à Marine Le Pen : elle veut réinvestir 20 milliards d’euros sur cinq ans. Sans doute n’a-t-elle pas bien mesuré l’ampleur des investissements déjà consentis par l’actuel gouvernement : les 183 euros d’augmentation de salaire et les revalorisations des grilles salariales coûtent 12 milliards d’euros… par an. Le gouvernement y a ajouté un plan de 19 milliards d’euros d’investissement.

Emmanuel Macron en est convenu : tous ces milliards ne sont « pas suffisants » : les personnels soignants quittent l’hôpital, des lits ferment, les services d’urgence débordent ou ferment, la maternité de la Nièvre a dû fermer ses portes cette semaine, faute de soignant·es. Il s’est engagé à un « investissement massif », sans plus de précisions.

Sur les déserts médicaux, Emmanuel Macron a détaillé un plan assez obscur, « une méthode totalement nouvelle ». Marine Le Pen a dégainé les « incitations fiscales » à l’installation de médecins en zones sous-denses, déjà testées à maintes reprises, en vain. Lucide, elle en est convenue : « Cela ne suffira pas. »

Sur les Ehpad, Marine Le Pen a défendu un modèle « mutualiste », qui existe déjà, tandis qu’Emmanuel Macron ne veut pas « jeter l’opprobre sur un système privé », qui doit être « régulé et contrôlé ». Il a surtout insisté sur l’aide au maintien à domicile des personnes âgées.

Marine Le Pen se différencie d’Emmanuel Macron sur un seul sujet. Elle veut « réintégrer » les personnels soignants non vaccinés « licenciés » - en réalité ils ont été suspendus – et leur restituer leurs salaires.

La candidate et le candidat se sont mis d’accord sur l’allocation adulte handicapée, qui devrait être déconjugalisée : une personne handicapée n’en perdra plus le bénéfice si sa conjointe ou son conjoint a des revenus trop élevés. Marine Le Pen a rappelé que le gouvernement s’est fermement opposé à cette mesure devant le Parlement. Emmanuel Macron l’a une fois encore mouché en lui rappelant son bilan de parlementaire : elle n’était pas présente lors de ce débat.

Interdiction du voile dans l’espace public : Marine Le Pen patauge

Interrogée sur la laïcité, Marine Le Pen a eu beaucoup de mal à assumer la radicalité de sa mesure visant exclusivement les musulmans. « Permettez-moi de sortir de sujets qui ont passionné les médias dans les derniers jours mais qui sont en réalité qu’une partie d’un tout », commence la candidate. Elle fait référence au recul amorcé par le RN depuis qu’une septuagénaire revendiquant le droit de le porter par tradition l’a interpellée. Elle avait été contrainte le lendemain de dire que c’était finalement une affaire « complexe ».

« Je ne lutte pas contre une religion, pas contre l’islam qui est une religion qui a toute sa place. Je lutte contre l’idéologie islamiste », a-t-elle insisté sans dire si oui ou non elle interdira le voile dans l’espace public. Relancée par Léa Salamé, elle confirme : « Je pense que le voile est un uniforme imposé par les islamistes. »

Comme en 2017, Emmanuel Macron s’est de nouveau fait le défenseur de la laïcité et a semble-t-il oublié les nombreuses sorties de ses ministres. Celles de Jean-Michel Blanquer qui considérait que le voile n’était « pas souhaitable » ou Marlène Schiappa qui y voyait « une forme de promotion de l’islam politique ».

« Ce qui est inquiétant dans votre démonstration, c’est le chemin qu’elle emprunte. D’une question sur le voile, vous êtes passée au terrorisme pour revenir à l’islamisme et pour aller aux étrangers », remarque le candidat qui rappelle que « la laïcité, ce n’est pas combattre une religion ». Opposé à cette interdiction, il a aussi rappelé que le principe d’égalité imposerait de légiférer sur tous les signes religieux. « Vous allez créer la guerre civile si vous faites ça », lance-t-il, tout en soulignant que la France serait le « premier pays au monde » à prendre une telle mesure.

Interrogée par Macron pour savoir si elle allait aussi demander à Latifa Ibn Ziaten, mère d’une victime de Mohamed Merah, d’ôter son voile, Marine Le Pen a été incapable de répondre. « Oh, arrêtez, pas d’outrance », a-t-elle seulement rétorqué avant que Macron ne détaille sa loi « séparatisme ». Questionnée une troisième fois, Marine Le Pen a préféré changer de sujet : « Bon, on va pas passer dix minutes sur le voile. »


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