Macron, la gauche Majax

mardi 24 mai 2022.
 

Pour la majorité présidentielle et certains commentateurs zélés, Emmanuel Macron a adressé un « signal à la gauche » en nommant Élisabeth Borne à Matignon. Un tour de passe-passe qui prêterait à sourire s’il ne révélait pas la décomposition du champ politique orchestrée par le chef de l’État.

Il fallait entendre certains commentateurs expliquer, dans la foulée de la nomination d’Élisabeth Borne à Matignon, combien Emmanuel Macron avait fait preuve de génie politique en optant pour ce choix. Combien l’alliance de la gauche avait du plomb dans l’aile avec l’entrée d’un tel profil rue de Varenne. Combien son passage dans les cabinets de Lionel Jospin, Jack Lang et Ségolène Royal lui avait conféré à jamais le titre de « femme de gauche ».

« À ce stade, on assiste à un mélange très dosé d’audace et de continuité qui dénote le souci du président de la République de rester d’abord et avant tout le maître du jeu », s’est enflammé Le Monde. « La consécration d’une “techno” de gauche », a titré Le Figaro. Avec Élisabeth Borne, le chef de l’État a écarté le « tout petit risque que la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale – ndlr] fonctionne », a aussi analysé Christophe Barbier en toute objectivité.

Les législatives permettront à la nouvelle première ministre de « montrer sa différence, autrement les gens ne savent pas qu’elle est de gauche ! », a subtilement noté Nathalie Saint-Cricq. En effet, cette sensibilité politique n’a pas franchement sauté aux yeux au cours des cinq dernières années. À notre décharge, il faut dire que l’ancienne ministre du travail nous avait un peu induits en erreur en défendant le recul de l’âge de départ à la retraite à 65 ans ou en portant la réforme de l’assurance-chômage.

Une réforme « injuste » et « 100 % de perdants », qui n’avait d’autre but que de « faire des économies sur le dos des chômeurs », selon les mots du secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, difficilement qualifiable de gauchiste invétéré. Lorsqu’elle était ministre des transports, au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, Élisabeth Borne avait aussi mené à bien le démantèlement de la SNCF et la libéralisation du rail.

En 2015, quand le gouvernement de Manuel Valls avait décidé de s’opposer à la renationalisation des autoroutes, elle occupait le poste de directrice de cabinet de Ségolène Royal au ministère de l’environnement. Elle avait alors élaboré avec Alexis Kohler, l’actuel secrétaire général de l’Élysée, à l’époque directeur de cabinet du ministre de l’économie Emmanuel Macron, des contrats cousus main pour les sociétés concessionnaires.

La drague grossière de l’entre-deux-tours

Une certaine idée de la gauche, du service public et de l’intérêt général, donc. Pourtant, malgré ce CV bien fourni, les macronistes qui se revendiquent encore de la « social-démocratie » ont applaudi la nomination de cette figure issue des rangs de Territoires de progrès (TDP), parti autoproclamé « aile gauche » de la majorité présidentielle. Nous n’en sommes plus à une incongruité près avec cette dernière. Après tout, Manuel Valls , qui l’a rejointe, arrive encore à se prétendre de gauche sans rougir.

Le portrait ébauché depuis 24 heures par les soutiens d’Emmanuel Macron, et relayé par les éditorialistes les plus zélés, est censé appuyer l’idée selon laquelle le chef de l’État aurait compris le message adressé par l’électorat de gauche au premier comme au second tour de la présidentielle. « J’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir », avait-il affirmé au soir de sa victoire, en référence à celles et ceux qui avaient fait barrage à l’extrême droite.

Pendant sa campagne, le président de la République avait déjà tenté de draguer grossièrement cet électorat en plagiant un slogan ancien de La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) – « Nos vies, leurs vies valent plus que tous les profits » – ou en reprenant le titre du projet de La France insoumise (LFI), « L’Avenir en commun ». Il avait aussi promis de nommer un premier ministre « directement chargé de la planification écologique » parce que « c’est la politique des politiques ».

Emmanuel Macron a déjà oublié grâce à qui il a été réélu

Une partie non négligeable des 22 % de suffrages exprimés en faveur de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle s’est reportée sur Emmanuel Macron au second. Non pas parce qu’elle a cru en son ripolinage de façade, mais parce que le « front républicain », qu’il jugeait mort, a de nouveau fonctionné. Le chef de l’État aurait pu s’en souvenir un peu plus longtemps avant de s’exprimer devant ses troupes, comme il l’a fait le 10 mai.

Ce jour-là, face aux candidat·es de la majorité présidentielle, Emmanuel Macron a de nouveau sombré dans son jeu préféré, en renvoyant dos à dos le « projet d’exclusion » de l’extrême droite et celui de la Nupes qui aurait, selon lui, « choisi le communautarisme plutôt que l’universalisme ». Il aura donc fallu deux petites semaines pour que le président de la République oublie grâce à qui il a été réélu. Et se remette à mépriser la gauche.

Du moins, l’autre gauche, celle qu’il a décidé unilatéralement de rejeter du champ républicain parce qu’elle ne fait pas partie de la grande coalition qu’il contrôle. Dans cette nouvelle configuration, seul subsiste « l’extrême centre » où le chef de l’État lui-même choisit qui est de droite et qui est de gauche. À cette aune, tout le monde peut devenir de gauche par le seul fait du prince. Même Élisabeth Borne.

Cette manipulation n’a rien de surprenant au regard des cinq années qui viennent de s’écouler. Elle n’en demeure pas moins profondément crispante, tant Emmanuel Macron continue de tromper son monde, avec l’appui des péroreurs cathodiques. Les mêmes qui présentent aujourd’hui la nouvelle première ministre comme « une femme de gauche » ont promu une bonne dizaine de fois le prétendu « virage social » du premier quinquennat.

Ils ont commenté à l’envi la première, la deuxième, la troisième et la quatrième promesse de « réinvention » du président de la République. Ils ont considéré avec le plus grand respect ses multiples tentatives de mea culpa. Ils ont tout fait pour qu’on y croie ; pour que la communication savamment préparée à l’Élysée comme une série Netflix devienne une réalité politique ; pour que tous les repères soient brouillés. Au profit d’un seul et même mensonge.

Ellen Salvi


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