Un front très large d’économistes soutient le programme de la Nupes

jeudi 23 juin 2022.
 

Plus de 300 économistes, dont Thomas Piketty, apportent leur soutien au programme de la Nupes. Une « assemblée de compétences » avec laquelle la coalition de gauche compte bien rester en lien, qu’elle gouverne ou qu’elle occupe des postes clés à l’Assemblée après les législatives.

« Guillotine fiscale » pour le ministre du budget Gabriel Attal dans Le Monde, « taxes sans limites » pour l’économiste Philipe Aghion dans Les Échos, « ruine » du pays pour le ministre de l’économie Bruno Le Maire sur France Inter… Depuis le mois dernier, les attaques contre la crédibilité économique du programme de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) enflent à mesure que l’échéance du premier tour des élections législatives approche.

Plusieurs fois déjà, les économistes du parlement de la Nupes sont montés au créneau pour défendre leur projet, en publiant des rapports, réponses, contre-réponses (lire sur Mediapart le blog des Économistes du parlement de l’Union populaire), ou encore en proposant des débats publics avec leurs détracteurs – en vain. Après avoir répliqué, dans une posture défensive, ils sont passés à l’offensive – une stratégie voulue notamment par la présidente du parlement de la Nupes, Aurélie Trouvé.

Le 9 juin, à quelques heures du scrutin, la coalition de la gauche et des écologistes a reçu le soutien, sous forme de tribune publiée sur le site du Journal du dimanche, de plus de 300 économistes. Une masse critique d’autant plus considérable que parmi eux figurent des piliers de la discipline, aux attaches politiques très diverses, et qui s’étaient jusqu’à présent tenus à distance de cette séquence électorale.

L’union sacrée des économistes

C’est le cas d’un groupe d’économistes plutôt affiliés à la gauche social-démocrate – au sens historique du terme –, pour beaucoup d’anciens soutiens de Benoît Hamon en 2017, dont les travaux irriguaient certains programmes en 2022 – celui de Yannick Jadot par exemple – sans qu’ils n’apparaissent : Thomas Piketty, Julia Cagé, Dominique Méda, Gabriel Zucman, Lucas Chancel, Jézabel Couppey-Soubeyran ou encore Isabelle This Saint-Jean.

À l’autre bout de cet arc politique de gauche, des économistes tenants d’une hétérodoxie plus marquée, comme Bernard Friot (dont la proposition d’une « sécurité sociale de l’alimentation » figure dans le programme de la Nupes), Bruno Amable et Jacques Généreux (longtemps secrétaire national à l’économie du Parti de gauche).

Économiste membre du groupe Upeco (les économistes du parlement de l’Union populaire), Cédric Durand, une des têtes pensantes de cette tribune, explique cet élargissement : « On avait déjà eu des contacts avec eux pendant la présidentielle. Ce n’était pas hostile mais hésitant, il y a eu des échanges de qualité, qui aujourd’hui débouchent sur ce texte en raison à la fois du rassemblement et de la malhonnêteté intellectuelle des attaques. »

Le texte, qui taille en pièces la « politique de l’offre » du gouvernement (« peu efficace et injuste, cette stratégie conduit in fine à la dégradation de la situation du pays, tant sur le plan des indicateurs sociaux et écologiques que sur celui du développement économique »), propose au contraire une bifurcation, par « une remobilisation de la puissance publique et la construction d’un projet productif à long terme, compatible avec le respect de la biosphère », et une planification écologique « compatible avec une décroissance des pollutions et de l’utilisation des ressources naturelles ».

Les signataires expliquent qu’un tel projet est finançable par une « fiscalité plus progressive sur les revenus et les patrimoines, le rétablissement de l’ISF et la suppression de la flat tax ainsi que la lutte contre la fraude », et un « recours accru au pôle public bancaire afin d’orienter la création monétaire et l’épargne des Français vers les besoins collectifs et se prémunir contre les effets déstabilisateurs des marchés financiers ».

Avec cette tribune, la Nupes fait coup double. Non seulement elle témoigne de la solidité de son programme (lire l’analyse de Romaric Godin) et de l’élargissement de son socle politique, mais elle jette une lumière crue sur l’absence de propositions du camp macroniste. « En 2017, il y avait eu une tribune d’économistes pour soutenir Macron, mais aujourd’hui ils sont totalement absents, constate l’économiste Éric Berr, membre du parlement de la Nupes. On les cherche, car ils savent eux-mêmes que la voie sur laquelle veut nous engager Macron est très périlleuse. »

Même constat de la part de Jacques Généreux : « Où penche le sérieux économique, quand les économistes qui avaient signé cette tribune en faveur de Macron en 2017 n’osent plus associer leur nom au sien aujourd’hui ? », interroge-t-il.

Une nouvelle vision de l’économie politique

Alors que la stratégie de Jean-Luc Mélenchon consiste, depuis le début de cette campagne pour les législatives, à instaurer un duel avec Emmanuel Macron, ce texte enfonce le clou. « En face, il n’y a rien, à part une grande mauvaise foi, qui traduit une grande inquiétude », estime Éric Berr, qui ajoute que « Macron veut intensifier le néolibéralisme au moment où tout le monde s’engage dans une autre voie », l’air de dire que, désormais, les hétérodoxes ne sont plus ceux qu’on croit.

L’économiste Éloi Laurent, auteur cette année du livre La Raison économique et ses monstres (Les Liens qui libèrent), a accepté de signer ce texte – une première, alors qu’il n’a jamais signé auparavant de tribune d’économistes. Joint par Mediapart, il explique qu’il est « exceptionnel » tant par la qualité de ses signataires – « une assemblée de compétences utiles pour gouverner, dont beaucoup de membres sont familiers des politiques publiques, et pas seulement de l’analyse économique » – que par son contenu.

Il refuse en effet de céder au « procès en incrédibilité économique » fait à la Nupes, et de se placer sur le terrain du « crédibilisme économique », pour promouvoir « une nouvelle façon de concevoir l’économie » : « Ce texte est important car il remet la crédibilité économique à sa place, derrière l’articulation entre urgence sociale et urgence écologique. Le discours sur la crédibilité économique, c’est le programme implicite du pouvoir en place, qui n’a pas d’autre programme que de dire : “Nous sommes la raison économique.” Il ne faut pas adopter le langage de nos adversaires », estime-t-il.

Plus largement, Cédric Durand inscrit l’avènement de cette nouvelle doctrine économique dans un « mouvement historique » général après la crise de 2008 et celle du Covid : « On est à un moment où Thomas Piketty parle de dépassement du capitalisme et où ceux qui se situent à l’extrême gauche se retrouvent dans la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Cela s’explique par la crise du néolibéralisme. Il n’y a plus de grain à moudre dans le blairisme, ce qui ouvre la voie à une politique plus interventionniste. »

Quoi qu’il arrive le 19 juin, Aurélie Trouvé, qui entretient de bonnes relations avec le secteur universitaire – étant depuis vingt ans elle-même économiste –, souhaite que ce groupe perdure sous la forme d’un « conseil économique de la Nupes » et alimente le travail de la coalition à l’Assemblée nationale – qu’elle soit majoritaire ou pas.

Mathieu Dejean


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