Le président du Sri Lanka chassé du pouvoir, plombé par l’inflation et les pénuries

mardi 12 juillet 2022.
 

Gotabaya Rajapaksa a dû fuir samedi sa résidence de Colombo, prise d’assaut par des milliers de manifestants accablés par la crise économique que traverse le pays. Retranché, il a fait savoir qu’il démissionnerait le 13 juillet.

Le président du Sri Lanka, Gotabaya Rajapaksa, 73 ans, qui a fui samedi son palais de Colombo, a fait savoir qu’il démissionnera la semaine prochaine, selon des propos rapportés par le président du parlement. « Pour assurer une transition pacifique, le président a dit qu’il allait démissionner le 13 juillet », a précisé ce dernier à la télévision.

Accusé d’être le responsable de la crise économique sans précédent à laquelle le pays est confronté, le chef de l’État avait dû battre en retraite, samedi matin, alors que des milliers de manifestants forçaient les grilles de sa résidence officielle dans la capitale économique, à l’occasion de l’une des plus grandes marches antigouvernementales de l’année.

Malgré un couvre-feu et une grave pénurie de carburant qui paralyse les services de transport, des protestataires de toutes les régions de l’île se sont entassés dans des bus, des trains et des camions pour rejoindre Colombo samedi, afin d’exprimer leur fureur contre l’incapacité du gouvernement à les protéger de la ruine économique.

Depuis des mois, le pays rencontre des difficultés à importer des produits essentiels, ce qui provoque de graves pénuries de médicaments, de nourriture et de carburant ; les 22 millions d’habitants subissent une inflation galopante et des coupures de courant prolongées. Les Nations unies estiment ainsi qu’environ 80 % de la population saute des repas pour faire face à la flambée des prix.

Samedi midi, des vidéos circulaient de la résidence du président envahie par des manifestants, profitant de ses cuisines comme de sa piscine.

Le président Gotabaya Rajapaksa affirmait demeurer en fonction et avoir trouvé refuge dans un lieu tenu secret, sous protection de l’armée – avant, sous-entendu, un retour en force, qui n’est pas à exclure.

Pour l’heure, le premier ministre a annoncé avoir accepté de démissionner, son porte-parole précisant qu’il s’était dit prêt à laisser son poste une fois que les partis du pays se seront entendus pour former un gouvernement d’union nationale.

La chute du président sonnerait comme le dernier acte de la fin d’un clan, d’une clique, d’une faction ayant mis le pays en coupe réglée. Ce soulèvement populaire du 9 juillet ressemble en effet à celui du 9 mai dernier, qui a chassé de son poste de premier ministre le frère aîné de l’actuel président : Mahinda Rajapaksa. Mahinda n’est autre que le boss suprême, surnommé « Terminator » par les siens. Il avait lui-même été président de la République de 2005 à 2015 – réservant à son petit frère Gotabaya le poste de ministre de la défense.

Battu au bout de dix ans, alors qu’il se présentait pour un troisième mandat, il avait alors tenté de se cramponner au pouvoir, avant de concéder sa défaite pour mieux préparer sa revanche : faire installer en 2019, après bien des pressions et des manœuvres, son frère puîné à la présidence, tout en se réservant le poste de premier ministre. Et ce, avec l’appui d’une armée à sa botte (depuis l’écrasement de la révolte séparatiste tamoule en 2009) et d’une famille noyautant le pays – deux autres frères Rajapaksa sont députés (dont Basil Rajapaksa, un temps ministre des finances, surnommé « monsieur 10 % ») ; une flopée de neveux essaiment de leur côté…

Tant d’abus de pouvoir et de conflits d’intérêts de la part d’une famille et de milieux d’affaires parasitaires se gavant littéralement dans l’ex-Ceylan (colonie britannique jusqu’en 1948) s’accompagnèrent d’une faillite économique totale. Colombo s’est livré pieds et poings liés à Pékin, sous couvert de contracter des emprunts devenus impossibles à rembourser.

7 milliards de dollars de prêts chinois ont ainsi été engloutis dans des infrastructures aussi fantômes que loufoques et entretenant la corruption : un aéroport dépourvu d’avions, un stade de cricket où aucune balle n’a jamais été lancée, un centre de convention dernier cri n’ayant jamais accueilli la moindre conférence.

Le scandale le plus symptomatique s’avère le port en eau profonde de Hambantota, qui a dû être loué à la Chine pour 99 ans en 2017, Colombo n’ayant pu rembourser la dette contractée pour mener à bien ce projet.

L’endettement dépasse les 50 milliards de dollars, dont 35 milliards de dette extérieure publique. Les rentrées fiscales ont été sapées par quantité d’allègements d’impôts et les ressources essentielles liées au tourisme ont été brutalement taries par la pandémie de Covid-19.

Défaut de paiement

Les frères Rajapaksa ont obtenu, jusqu’au bout, des lignes de crédit en jouant sur la rivalité entre l’Inde et la Chine pour que le Sri Lanka fût assisté au-delà du raisonnable et du possible. Mais le 12 avril dernier, rien n’a pu éviter le défaut de paiement : le Sri Lanka annonçait, par l’intermédiaire du gouverneur de sa Banque centrale, Nandalal Weerasinghe, la suspension du remboursement des 35 milliards de sa dette extérieure.

Conséquence de la guerre en Ukraine, la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie a porté un coup fatal à une économie si mal gérée, au point de faire descendre dans la rue jusqu’à d’anciens partisans du gouvernement. Les dominos du clan Rajapaksa sont alors tombés un à un.

L’Economist de Londres, qui se veut le porte-parole des milieux d’affaires éclairés occidentaux, constatait au mois d’avril dernier les dégâts, bientôt mondiaux, à travers la situation particulière du Sri Lanka : « Il est plus difficile que jamais de fournir une aide d’urgence aux pays pauvres en difficulté. Ceux-ci, dans l’ensemble, doivent davantage à la Chine qu’au “Club de Paris” des gouvernements riches, qui ont généralement coopéré pour restructurer les dettes. Jusqu’à présent, les tentatives d’inclure la Chine et d’autres nouveaux prêteurs comme l’Arabie saoudite et l’Inde dans les efforts de restructuration de la dette ont échoué. Le FMI [Fonds monétaire international] ne prête qu’aux pays dont la dette est viable et l’Occident refuse que son aide soit siphonnée par d’autres créanciers. Les conflits géopolitiques aggravent les problèmes économiques des pays pauvres et les rendent plus difficiles à résoudre. »

Le monde du Sud est menacé par le spectre d’émeutes de la faim provoquées en particulier par la hausse insupportable du prix du blé – cause de tant de jacqueries et de soulèvements « frumentaires » dans la France d’Ancien Régime. De l’Afrique au Pakistan, la situation alimentaire, économique et financière se dégrade, tandis que le désespoir et l’exaspération montent parmi des peuples qui se sentent dépossédés de tout.

Sans oublier la question des réfugiés économiques et alimentaires : l’afflux de Sri-Lankais en Inde – en particulier dans l’État du Tamil Nadu –, inquiète les autorités locales et nationales.

Le Sri Lanka, par sa position extrême – les membres de la famille Rajapaksa en pillards nuisibles et le nœud coulant chinois qui se resserre –, paraît prendre de l’avance sur une situation explosive que pourrait connaître une partie de la planète, déjà confrontée aux bouleversements climatiques.

Antoine Perraud


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