Pourquoi Macron supprime la redevance publique de l’audiovisuel.

vendredi 26 août 2022.
 

Pour comprendre les véritables raisons de la suppression de la redevance audiovisuelle, il est nécessaire de faire une petite rétrospective historique depuis Sarkozy des documentaires d’investigation de la chaîne publique qui ont dérangé à la fois certaines multinationales et le gouvernement en place.

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Les pressions exercées par le gouvernement sur les chaînes publiques depuis 2017 pour obtenir des journalistes économiques et politiques un discours conforme à leurs vœux a discrédité pour bon nombre d’auditeurs et donc d’électeurs l’information véhiculée par des journalistes perçus de plus en plus comme des militants politiques masqués.

Alors nombreux auditeurs se disent : « Tant pis pour eux, ils n’avaient qu’à résister aux pressions. Par leur faute l’information sur une chaîne publique n’est pas plus indépendante des pouvoirs économiques et politiques en place que celle des chaînes privées. »

Alors il n’y aura pas des centaines de milliers de manifestants dans les rues pour demander le maintien de la redevance.

Évidemment, tout cela a été prévu.

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Source :off investigation

https://www.off-investigation.fr/re...

Le texte qui suit est illustré par un petit reportage sur une manifestation protestant contre la suppression de la redevance. Il est accessible avec le lien ci-dessus.

Le 28 juin 2022, des centaines d’employés de l’audiovisuel public défilaient entre Montparnasse et l’Assemblée Nationale pour défendre la contribution à l’audiovisuel public (reportage de Milan Mur, image Jean-Baptiste Rivoire, montage Stella Miquel)

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En limitant drastiquement la publicité sur France télévision lors de son quinquennat, Nicolas Sarkozy fait perdre au groupe public près de 700 millions d’euros par an. De quoi satisfaire ses amis Vincent Bolloré (D8) ou Martin Bouygues (TF1), les dirigeants de chaînes privées qui appellent alors de leurs voeux, comme Nicolas de Tavernost (M6), la limitation de la publicité sur les chaînes publiques.

Des “pieds de nez” au CAC 40

Mais Patrick de Carolis résiste. En 2011, Remy Pfimlin, que Nicolas Sarkozy vient de nommer à sa place à la tête de France Télévision, laisse émerger un nouveau programme sur la société de consommation : Cash investigation. Sous la houlette de Thierry Thuillier, alors directeur de l’information, d’Elise Lucet, ancienne présentatrice de Pièces à conviction et de Première lignes télévision, agence crée par Paul Moreira et Luc Herman, anciens patrons de 90 Minutes remerciés par Canal + en 2006, Cash va devenir la meilleure émission d’enquête sur la mondialisation jamais diffusée par l’audiovisuel public.

Business des laboratoires pharmaceutiques, évasion fiscale, sabotage de la planète par le plastique, effets pervers de la mondialisation, mépris du climat, depuis 2012, les limiers d’Elise Lucet pointent sans relâche les dérives des multinationales et les complicités dont elles bénéficient parfois de la part de nos présidents de la République.

Au grand dam des barons du CAC 40, les équipes de Complément d’enquête, alors dirigées par Benoit Duquesne, renchérissent. Elles lancent à leur tour des enquêtes offensives sur les grands oligarques français, dont beaucoup ont pris le contrôle de puissants médias : Bernard Arnault (Le Parisien, les Echos), Patrick Drahi (Libération, l’Express, BFMTV), Arnaud Lagardère (Paris-Match, le JDD, Europe 1, …).

Si Arnaud Lagardère accepte de répondre aux questions de France 2, Patrick Drahi les traite par le mépris. La direction de LVMH, elle, va faire exercer via Bernard Squarcini des pressions inédites sur Complément d’Enquête et son présentateur, Benoit Duquesne. Mais celui qui va déclencher la guerre la plus terrible contre l’audiovisuel public, c’est Vincent Bolloré.

La fureur de Vincent Bolloré

Quand en mai 2015, le milliardaire Breton fait censurer un documentaire de Spécial investigation (Canal +) sur les dérives du Crédit Mutuel, banque de son ami Michel Lucas, France Télévision lui fait un pieds de nez en le diffusant quelques mois plus tard dans Pièces à conviction (France 3). En 2016, quand il éradique brutalement « l’esprit Canal + » qui s’était tant moqué des dérives de son ami Nicolas Sarkozy, l’un des meilleurs limiers de Complément d’enquête s’attelle à décrypter les coulisses de son empire Africain.

Furieux, Vincent Bolloré décide alors d’étendre à France Télévision une vaste offensive, judiciaire, celle là, qu’il avait lancé dès 2009 contre Radio France après que le journaliste Benoît Collombat ait osé évoquer sur France Inter ses pratiques néo-coloniales au Cameroun. A France 2, Vincent Bolloré va réclamer des dizaines de millions d’euros de dommages et intérêts sous l’oeil impavide de François Hollande. Il perdra toutes ses « procédures baillons », mais aura harcelé au passage Tristan Waleckx et la direction de France Télévision durant cinq ans.

Sarkozy à la rescousse

Toujours en 2016, alors qu’il tente de remporter les primaires de la droite dans l’espoir de reconquérir l’Elysée, Nicolas Sakozy vient à la rescousse de Bolloré en dénonçant dans un livre les « excès d’’impertinence » de Canal + et « l’investigation racoleuse », de France Télévision, dont il assimile les journalistes à des « Che Guevarra ». En septembre 2016, mettant ses principes en application, l’ancien président de la République obtient de Delphine Ernotte et de son directeur de l’information d’alors, Michel Field, qu’ils ordonnent la déprogrammation d’un Envoyé Spécial dévastateur sur ses comptes de campagne de 2012. Emmenées par Jean-Pierre Canet, les équipes d’Elise Lucet résistent, et la diffusion est maintenue. Mais l’alerte a été chaude.

A peine Emmanuel Macron arrivé au pouvoir, France 2 diffuse deux nouveaux documentaires embarrassants pour l’Elysée : un Cash investigation sur la souffrance au travail qui met en lumière les pratiques anti-syndicales des centres d’appel de Free, l’opérateur téléphonique de Xavier Niel, alors soutien notoire d’Emmanuel Macron.

Et un Complément d’enquête bizarement “non disponible” aujourd’hui révélant qu’en coulisses, la reine des paparazzis, Michèle Marchand, fait retoucher les photos exclusives que son agence a négociées avec la première dame, Brigitte Macron. Furieux contre France 2, les conseillers d’Emmanuel Macron tentent alors d’empêcher Thomas Sotto, présentateur de Complément d’Enquête, d’installer ces célèbres fauteuils rouges dans la cour de l’Élysée. Mais quand il menace de se replier sur la Rotonde, impertinent clin d’oeil au Fouquets’s ou Nicolas Sarkozy avait fêté sa victoire en 2007, l’Elysée cède.

“Ce type a insulté ma femme !”

Emmanuel Macron

Découvrant à l’antenne le témoignage de Jean-Michel Psaïla (patron de l’agence Abacca) montrant que Bestimage, l’agence de Michèle Marchand, retouchait régulièrement les photos de son épouse Brigitte, Emmanuel Macron aurait lâché à ses conseillers : “Ce type a insulté ma femme !”

Les pressions budgétaires de Macron

Dans ce contexte, Emmanuel Macron emboite le pas à Nicolas Sarkozy. Il fait exercer sur France télévision une forte pression budgetaire. Sous prétexte d’économies, Delphine Ernotte entreprend alors d’externaliser en urgence Complément d’enquête et Envoyé Spécial. L’un de ses conseillers, Rodolphe Belmer, avait réussi une opération de ce type juste avant la présidentielle de 2007. Alors patron de Canal +, contrarié que l’équipe de 90 Minutes s’insurge contre des pressions Chiraquiennes, il avait brutalement supprimé cette remarquable émission d’investigation dirigée en interne par Paul Moreira au profit de Spécial investigation, une hebdo reposant sur des producteurs extérieurs. Plus facile à « museler », elle sera à son tour mise sous pression, censurée, puis finalement supprimée par Vincent Bolloré en 2016.

Mais à France Télévision, l’externalisation de l’investigation se heurte à plus de résistance qu’à Canal +. En novembre 2017, une fronde de journalistes, soutenue notamment par Elise Lucet, Catherine Deneuve ou Robert Badinter, permet de sauver temporairement Envoyé spécial et Complément d’enquête, derniers bastions, avec Cash investigation et Pièces à conviction, de l’investigation audiovisuelle en France.

L’audiovisuel public, “honte de la République” ?

Furieux que Delphine Ernotte ait échoué à externaliser ces émissions irritant l’exécutif, Emmanuel Macron qualifie alors l’audiovisuel public de « honte de la République ». Dans les mois qui suivent, sous pression du CSA, la direction de France Télévision va avoir tendance à minimiser la violence de la répression anti Gilets jaunes (cinq éborgnés, trente mains arrachées, 4500 blessés). En outre, elle écarte discrètement plusieurs projets documentaires de nature à embarrasser les Macronistes.

En 2019, l’instauration d’un « guichet unique » rappelant l’époque de l’ORTF permet aux équipes d’Ernotte de contrôler encore plus étroitement les projets documentaires acceptés par France 2, France 3 ou France 5. Fin 2021, le seul projet documentaire censé esquisser un (timide) bilan du premier quinquennat d’Emmanuel Macron donnera surtout la parole à… des Macronistes, comme Edouard Philippe, Christophe Castaner, Sibeth N’diaye ou Jean-Marc Dumontet, alors conseiller à l’Elysée.

Restaient les magazines d’information. Depuis quelques années, sous la direction d’Elise Lucet ou de Tristan Waleckx, des journalistes de Cash investigation ou de Complément d’enquête résistent. Pétition contre la loi « secret des affaires », diffusion de documentaires questionnant des pratiques contestables du pouvoir Macronien (fiscalité « pro-riches », affaire Benalla, rôle de Michèle Marchand ou instrumentalisation de l’armée française par la dictature égyptienne), les « poils à gratter de l’audiovisuel public » s’efforcent de « faire le job », même si certains de leurs documentaires sont aujourd’hui étrangement introuvables sur le web alors que d’autres, plus anciens, y figurent.

Poignard dans le dos

Par la voix de Gérald Darmanin ou Marlène Schiappa, l’exécutif a laissé poindre à plusieurs reprises son exaspération, avec à la clé une menace larvée de suppression de la redevance. Emmanuel Macron lui même a boudé ostensiblement à plusieurs reprises les journalistes de l’audiovisuel public, préférant s’exprimer sur TF1, comme lors d’un déplacement en Ukraine en mai 2022. A un mois de la présidentielle, il a assumé pour a première fois de supprimer brutalement tout financement pérenne pour l’audiovisuel public.

Le démantèlement et la fragilisation de France Télévision et Radio France qui s’annonce inquiète, mais dans les couloirs, peu s’expriment. Selon les derniers sondages, près de 80% des français applaudiraient la fin de la redevance. En faisant exercer d’insidieuses pressions éditoriales sur l’audiovisuel public depuis cinq ans, en l’incitant à craindre les foudres de l’exécutif, Emmanuel Macron a contribué à le domestiquer. Et donc à le discréditer auprès d’une partie des français. Il ne restait plus qu’à le poignarder dans le dos. C’est désormais chose faite.

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Fin de l’article

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Les chaînes publiques n’ayant plus la possibilité et capacité financière de pouvoir mener des investigations indépendantes du pouvoir politique et du pouvoir économique dominants, c’est désormais le rôle de médias indépendants alternatifs comme Mediapart, Le Média .tv, Blaste,Off Investigation, Basta !, Radio parleur, Investig’action (deux Michel Colomb), etc. d’effectuer ce travail pour maintenir la liberté d’information et donc de conscience. Ces chaînes sont donc appelées à se faire financer par des dons des auditeurs ou de rendre leur site payant.

De même, pour avoir des informations scientifiques médicales indépendantes on est obligé de se référer à des sites comme réinfo covid et son Conseil Scientifique Indépendant par exemple. Le temps passant, les ultralibéraux se succédant au pouvoir finissent par rendre impossible par des organismes d’État l’attribution d’une information indépendante au service de l’intérêt général.

Ainsi le mot « libéralisme » a été vidé de son sens par les… libéraux.

** HD


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