Face au chaos climatique, le séparatisme des riches

vendredi 19 août 2022.
 

Alors que des milliers de Français sont évacués à cause des incendies, que d’autres sont privés d’eau potable voire meurent au travail à cause de la chaleur, les ultrariches se déplacent en jet privé, bénéficient de dérogations pour pouvoir jouer au golf et accumulent les profits grâce aux énergies fossiles. Un sécessionnisme des riches que le gouvernement acte en perpétuant le statu quo climatique.

C’est une petite commune des Vosges qui, en ce début de mois d’août, incarne notre temps. À cause de la sécheresse hors normes qui s’est abattue sur la France, Gérardmer a été privée d’eau potable. Le temps de pallier le problème en puisant dans le lac voisin, les habitant·es de cette station touristique et de quatre bourgades limitrophes ont eu pour consigne, pendant quarante-huit heures, de ne pas boire l’eau sans la faire bouillir au préalable.

En réaction à la pénurie d’eau, au cours d’une nuit de la fin juillet, les jacuzzis de cinq habitations de Gérardmer ont été éventrés en catimini. Dans leurs bains à remous saccagés, les propriétaires ont découvert un mot sur lequel on pouvait lire : « L’eau, c’est fait pour boire. »

Gérardmer révèle comment, sous nos yeux, s’esquisse un nouvel ordre climatique profondément clivé.

D’une part, un monde où, comme le signalait l’an dernier le Haut Conseil pour le climat, « les deux tiers de la population française sont déjà fortement ou très fortement exposés au risque climatique ».

À l’heure actuelle, l’ensemble des départements de la France métropolitaine font l’objet de restrictions en eau. Et une centaine de communes n’ont plus aucun accès à l’eau potable, après un mois de juillet le plus sec jamais enregistré.

En Gironde, plus de 35 000 personnes ont dues êtres évacuées en juillet pour échapper aux megafeux qui ont dévoré une superficie de forêt proche de deux fois celle de Paris. Cette semaine, 10 000 personnes de ce même territoire étaient déplacées pour fuir les flammes.

Enfin, rien que durant la seconde vague de chaleur du 12 au 25 juillet, au moins quatre personnes sont mortes en France à leur travail, « en lien possible avec la chaleur » et « durant une vigilance canicule orange ou rouge », selon l’agence Santé publique France.

Une classe hors sol a décollé de notre réalité climatique et hypothèque notre futur.

Mais d’autre part, face au désastre climatique, un autre monde a déjà fait sécession. Celui qui sait qu’il possède les conditions matérielles pour échapper au chaos climatique. Celui du 1 % de la population les plus riches qui ont une empreinte carbone huit fois supérieure à la moitié la plus pauvre des Français. Celui qui souffle sciemment sur les braises pour attiser le réchauffement planétaire.

Alors que la pénurie d’eau fait rage en France, que des jardins potagers sont interdits d’arrosage et que des maraîchers et maraîchères sont restreint·es en eau, les terrains de golf ont fait l’objet d’une dérogation spécifique pour utiliser 30 % de leur consommation habituelle d’eau.

Fin juillet, pour marquer la fin des premiers incendies en Gironde, des centaines de bateaux de plaisance aux moteurs rutilants se sont rassemblés et ont longuement tourné en cercle au large de la dune du Pilat. En somme, pour fêter l’extinction des mégafeux liés au changement climatique, les plus riches de la région ont choisi, comme « geste de solidarité », de brûler du pétrole.

Pis, dans cet été aux airs d’apocalypse, les milliardaires Martin Bouygues, Bernard Arnault ou François-Henri Pinault ont effectué en jet privé des sauts de puce entre Paris, la Côte d’Azur ou les côtes italiennes, survolant les incendies. Allégorie d’une classe hors sol qui a décollé de la réalité climatique et hypothèque notre futur.

Rien que durant la journée du 8 août, et alors que les feux de Gironde reprenaient, le jet du milliardaire Vincent Bolloré a émis autant de CO2 qu’un·e Français·e moyen·ne en deux ans.

Les deux jets privés de la compagnie pétrolière Total auraient, pour le seul mois de juillet, rejeté l’équivalent de soixante-six ans d’empreinte carbone d’une personne désireuse de préserver le climat.

Dernier exemple du séparatisme climaticide de cette élite : alors que Total prévoit d’ici 2025 des projets pétro-gaziers qui représentent 18 centrales à charbon, Patrick Pouyanné, le patron de la firme tricolore, a augmenté son salaire de 52 %. Et l’entreprise fossile a annoncé, pour la plus grande joie de ses actionnaires, près de 18 milliards d’euros de profits sur le seul premier semestre 2022.

Le gouvernement invisibilise les disparités climatiques énormes entre ultrariches et Français·es modestes.

La relation entre ceux qui ont brûlé le plus d’énergies fossiles et ceux qui souffrent le plus du changement climatique est cruellement inversée. Une inversion à la fois chronologique – la génération d’aujourd’hui paie pour les responsables des émissions passées – et socio‐économique – les pauvres subissent le mode de vie insoutenable des plus riches.

En ce sens, le rôle d’un gouvernement réellement soucieux de justice climatique est de tout mettre en œuvre pour renverser cette relation.

Mais le 5 août dernier, le ministre en charge de la transition écologique Christophe Béchu a déclaré à propos des sécheresses qu’« il [allait] falloir s’habituer à des épisodes de ce type ». En déplacement en Gironde ce jeudi 11 août, Elisabeth Borne s’est contentée d’indiquer que le gouvernement va « continuer à travailler ».

À contre-courant des recommandations de l’ONU, Bruno Lemaire s’est quant à lui obstiné à refuser de taxer les superprofits des majors fossiles, alors que l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni ont instauré une taxe temporaire sur les profits des pétroliers pour aider les ménages les plus précaires face à la crise actuelle.

En guise de solution, les membres du gouvernement ont préféré vainement agiter le drapeau d’une fausse sobriété en demandant à « l’ensemble des Français » de « couper le wifi » pendant leurs vacances ou encore de « baisser un peu la clim’ ».

Ces déclarations affligeantes sont loin d’être politiquement naïves. Elles martèlent un récit dominant : celui que la catastrophe en cours serait la funeste conséquence d’une somme de responsabilités individuelles.

Ce narratif permet au gouvernement d’effacer les disparités climatiques énormes entre ultrariches et Français·es modestes. Entre celui qui prend son jet privé ultra-polluant comme il prendrait un taxi, et celui qui, relégué dans un territoire périphérique, ne bénéficie souvent même pas de transports publics. Un narratif qui met délibérément sous le tapis le fait que le patrimoine financier des soixante-trois milliardaires français émet autant de gaz à effet de serre que celui de 50 % des ménages français.

Le gouvernement, en perpétuant le statu quo en matière écologique et en invisibilisant les vrais fossoyeurs du climat, aménage et légitime ce séparatisme climatique des riches.

Mais c’est oublier que le ruissellement du capital n’éteindra pas les mégafeux. Et que la lutte pour le climat est, aussi, une lutte des classes.

Mickaël Correia


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