« Karting » en prison : Éric Dupond-Moretti dans la roue de l’extrême droite

vendredi 26 août 2022.
 

Le ministre de la justice s’est ridiculisé samedi en promettant « une enquête » sur une activité qui s’est tenue à la maison d’arrêt de Fresnes en juillet. Organisée par l’administration pénitentiaire, cette journée a été validée par la voie hiérarchique. Il a suffi que quelques personnalités d’extrême droite s’en offusquent pour l’oublier.

Sur quoi tweeter, en plein été, lorsqu’on est ministre de la justice ? Pas la surpopulation carcérale (72 000 détenus pour 60 000 places au 1er juillet). Pas les vagues de chaleur successives qui frappent les prisonniers et, dans une moindre mesure, le personnel pénitentiaire. Pas les suicides à répétition à la maison d’arrêt de Nantes. Samedi 20 août, Éric Dupond-Moretti a trouvé un combat plus noble : le karting.

« Après les images choquantes de la prison de Fresnes, j’ai immédiatement ordonné une enquête pour que toute la lumière soit faite. La lutte contre la récidive passe par la réinsertion mais certainement pas par le karting ! »

Le 27 juillet dernier, un épisode de l’émission YouTube « Kohlantess », librement inspirée du jeu télévisé « Koh Lanta », a été tourné à la prison de Fresnes (Val-de-Marne). Détenus, surveillants et jeunes habitants (libres) de la ville de Fresnes ont formé trois équipes pour affronter une suite d’épreuves - questionnaires, parcours du combattant, tir à la corde au-dessus d’une piscine éphémère et karting - dans l’enceinte de la prison. 1 700 euros ont été récoltés au profit de trois associations.

Au moment de promettre une « enquête », le ministre de la justice peut-il l’ignorer ? Cette activité estivale était organisée par la responsable locale d’enseignement de l’établissement, avec le soutien du directeur du centre pénitentiaire de Fresnes. Sur Twitter, celui-ci avait salué le soir même un « moment d’engagement fraternel ». Une semaine plus tard, il évoquait (toujours publiquement) une réunion visant à faire un « retour sur l’expérience ».

Directeur de Fresnes depuis octobre 2019, Jimmy Delliste est entré dans la pénitentiaire en 1988 comme simple surveillant. Il communique volontiers sur les initiatives sportives, culturelles ou éducatives qui permettent de désenclaver la prison ne serait-ce que quelques heures, pour un petit nombre des deux mille détenu·es sous sa garde. La veille de « Kohlantess », Mediapart avait ainsi pu rentrer à Fresnes pour assister à une pièce de théâtre jouée devant 90 détenus.

Pour « Kohlantess » comme pour toute activité organisée en détention, le service communication de l’administration pénitentiaire a délivré des autorisations de reportage aux journalistes qui souhaitaient rendre compte de l’événement, comme Le Parisien et Konbini. Ce n’est qu’après la publication de vidéos par ce dernier média et par le créateur de « Kohlantess », vendredi 19 août, que de vives réactions politiques ont éclaté.

Ce samedi, le garde des Sceaux a donc fini par céder aux interpellations conjointes des députés Éric Ciotti (LR), Hélène Laporte (RN), Nicolas Meizonnet (RN), de Gilbert Collard (Reconquête) et de Damien Rieu (extrême droite).

Une semaine plus tôt, un article de Valeurs actuelles s’était déjà ému d’une initiative qui donne à la prison « des allures de parc d’attractions ». L’article, qui donnait la parole à des surveillants mécontents mais aussi au directeur de Fresnes, précisait que la journée avait obtenu « la validation du cabinet du ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti ». L’auteur de l’article s’interrogeait en ces termes : « La prison de Fresnes est-elle devenue un gigantesque Club Med pour détenus ? »

De son côté, Djibril Dramé, le créateur de « Kohlantess », a expliqué à Konbini ses objectifs : « Toutes les personnes qui sont là le sont pour une bonne raison. Et la voie de la réinsertion passe par le travail qu’ils font en prison. Mais nous avons le devoir de ne surtout pas les mettre de côté et de ne surtout pas oublier qu’ils sont des humains comme vous et comme moi. »

Le ministère de la justice, contacté et cité par BFMTV, a indiqué que la tenue de cette activité avait bien été validée mais que les images qui en ont été diffusées ne correspondaient pas à ce qui avait été accepté.

En 2003, Nicolas Sarkozy estimait, dans une formule restée célèbre, que « la police n’est pas là pour organiser des matchs de rugby dans les quartiers mais pour arrêter les délinquants ». Vingt ans plus tard, l’ancien avocat Dupond-Moretti sera celui qui refuse de voir des surveillants pénitentiaires et des détenus s’éclater ensemble sur un circuit de kart. Si l’extrême droite le lui reproche, en tout cas.

Camille Polloni

• MEDIAPART. 20 août 2022 à 20h41 :


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