Internationale Communiste, PCF, front unique et front populaire de 1922 à 1936

samedi 14 novembre 2020.
 

Serge Goudard, adhérent lyonnais et membre du CN du PG, nous a fait parvenir son texte Fronts populaires d’hier et de demain : une contrefaçon de l’unité véritable et nous l’avons mis en ligne ce 7 mai comme contribution au débat sur les questions de stratégie politique alternative au capitalisme. (Jacques Serieys)

A) Les 4 premiers congrès de l’Internationale Communiste (1919 1922) et la théorisation du Front Unique (Serge Goudard)

La première guerre mondiale montre aux populations jusqu’où les capitalistes peuvent aller pour défendre leurs intérêts. Le conflit se solde par des millions de morts, des millions de blessés souvent handicapés à vie, par des millions de veuves et d’orphelins...

La première guerre mondiale apporte également la preuve de l’inutilité des partis sociaux démocrates baratineurs de campagne électorale et de banquets républicains mais incapables d’agir dès qu’on a besoin d’eux.

Aussi, de 1918 à 1923, l’Europe connaît une période de forte combativité ouvrière et populaire, une période d’aspiration à une société apportant plus de justice, plus de démocratie réelle, l’indépendance des colonies, l’émancipation des femmes, la fin des guerres...

Sur l’élan de la Révolution russe se crée la 3ème internationale. De mars 1919 à novembre 1922, les quatre premiers congrès de l’Internationale Communiste portent haut l’idéal socialiste et internationaliste. Cependant, les thèses de ces congrès comme l’orientation pratiquée dans de nombreux pays (Hongrie, Italie, Allemagne, Tchécoslovaquie, Bulgarie...) présente des aspects gauchistes qui amènent à une minorisation puis à des répressions sanglantes de la part de la réaction.

Le 3ème congrès du Komintern est globalement encore marqué par des aspects gauchistes, par exemple dans l’analyse de la période "Ce qu’il nous faut attendre, ce n’est pas le fléchissement de la révolution mondiale ni le reflux de ses vagues, mais tout le contraire". Cependant, il mène bataille contre les déviations sectaires, propagandistes et révolutionnaristes, en particulier dans les thèses sur la tactique :

" Dès le premier jour de sa fondation, l’Internationale Communiste s’est donnée pour but, clairement et sans équivoque, non pas de former de petites sectes communistes cherchant à exercer leur influence sur les masses ouvrières uniquement par l’agitation et la propagande, mais de prendre part à la lutte des masses ouvrières... Déjà au cours de sa première année d’existence, l’Internationale Communiste a répudié les tendances sectaires en prescrivant aux partis affiliés, si petits fussent-ils, de collaborer aux syndicats... de se servir pour l’éducation et l’organisation du prolétariat, de toutes les possibilités que la constitution de l’Etat bourgeois est obligée de leur laisser ouvertes : liberté de la presse, liberté de réunion et d’association et toutes les institutions parlementaires bourgeoises."

C’est à partir de ce moment-là que l’Internationale commence à théoriser la stratégie du Front Unique que j’estime la plus élaborée et la plus juste produite par le mouvement ouvrier, socialiste et communiste depuis sa naissance. Responsable de la France, Trotsky écrit pour ce pays, le 2 mars 1922, un texte qui est adapté au combat politique et social dans le type de société existant en Europe, au Chili...

Le Front unique et le communisme en France (Léon Trotsky, mars 1922)

Le 4ème Congrès de l’Internationale communiste reprend globalement cette orientation dans les thèses sur l’unité du front prolétarien.

B) Internationale Communiste, "Troisième période" et PCF

Dans les années 1924 1926, Staline s’impose à la tête de l’URSS. Contrairement à d’autres dirigeants, il ne connaît pas la réalité concrète des conditions de lutte dans d’autres pays, ne connaît pas de langue étrangère, ne voit dans les PC et dans le Komintern qu’un moyen d’aider à la défense de Moscou.

Ainsi, Staline impose aux différents Partis Communistes ses zigzags à 180 degrés vers la droite ou vers la gauche .

A partir de 1927, le Komintern (9ème plenum puis 6ème congrès) se repaît de mots sur une prétendue "Troisième période" marquée par :

* la crise finale du capitalisme

* une radicalisation des luttes

* une poussée de la réaction, caractérisée en particulier par la fascisation des partis sociaux-démocrates.

* les masses étant portées par un élan révolutionnaire, voulant en finir avec le capitalisme alors que la social-démocrate s’est fascisée, le front unique est à présent défini comme une tactique en direction de la base des partis socialistes alors que les chefs doivent être dénoncés sans cesse.

" Le renforcement de la lutte contre la social-démocratie déplace le centre de gravité du front unique vers la base, mais il ne diminue nullement, augmente même encore, le devoir des communistes de faire la distinction entre les ouvriers social-démocrates, qui se trompent en toute sincérité, d’une part, et les leaders social-démocrates vils serviteurs de l’impérialisme, d’autre part ". La nouvelle orientation répond à un nouveau slogan : "classe contre classe".

Cette analyse est évidemment complètement fausse. Au niveau international, l’année 1927 marque plus la fin du flux révolutionnaire des années 1920 que l’entrée dans une nouvelle phase révolutionnaire. Dès le mois de décembre 1927, la concomitance de 2 erreurs de Staline ( surestimation des potentialités révolutionnaires et alliance avec les "bourgeoisies nationales") amènent au mouvement révolutionnaire de Canton puis son écrasement sanglant par la "bourgeoisie nationale" de Tchang Kai-Chek.

Pour prétendre que la situation est également révolutionnaire en France, l’Internationale Communiste s’appuie sur l’augmentation du nombre de grévistes de 1927 à 1930 et sur la violence de masse déployée par exemple lors de la manifestation de soutien à Sacco et Vanzetti.

Cette orientation gauchiste et sectaire passe difficilement dans le PCF pour plusieurs raisons dont sa crainte d’être marginalisé politiquement et de perdre beaucoup d’élus lors des législatives de 2008 et des municipales de 2009. Aussi, le Komintern intervient plusieurs fois pour lui imposer de suivre "la ligne". C’est le cas par exemple le 2 avril 1927 contre les accords de désistement pour le second tour avec la SFIO. Comme le PCF n’assume pas la préparation de la révolution (par exemple il ne développe pas suffisamment les manifestations non autorisées), Moscou intervient à nouveau en septembre 1927. Nouvelle lettre de l’exécutif de l’IC en février 1928, particulièrement contre la gauche de la SFIO "" la soi-disante gauche socialiste s’est révélée, au cours de cette période, non comme une opposition irréductible, fidèle aux principes fondamentaux du socialisme, mais davantage comme un groupe s’efforçant de retenir, par sa démagogie, les ouvriers sous l’influence du Parti Socialiste et comme une barrière les empêchant de passer au Parti Communiste ".

L’insistance du Komintern provoque une grave crise au sein du PCF, comme l’indique la résolution votée lors de la session du Comité central tenu du 2 au 6 novembre 1928 " Depuis plus d’un an, des divergences profondes sur les problèmes essentiels ont divisé le bureau politique et le Comité Central. Les divergences qui se sont produites sur les questions de l’imminence de la guerre et du rôle de l’impérialisme français, sur la question de la répression, de l’attitude à l’égard des partis de " gauche ", et en particulier de la social-démocratie, de la conduite des luttes économiques du prolétariat, ont montré qu’il ne s’agissait pas d’erreurs occasionnelles et temporaires de quelques camarades, sur une ou plusieurs questions isolées, mais ces divergences on fait surgir, au contraire, et de plus en plus nettement, deux lignes politiques conséquentes et deux groupements qui ont de plus en plus tendance à se cristalliser l’un et l’autre à l’intérieur même de la direction du PCF. Le Parti doit donc choisir entre deux lignes politiques qui s’excluent l’une l’autre, et entre lesquelles aucun compromis ne peut trouver place ".

De 1929 à 1933, le Komintern suit de très près l’évolution du PCF et envoie un émissaire sur place (Eugen Fried).

Cette même année 1932, le Parti perd 279.000 voix, tombant à 6,8% des suffrages exprimés.

L’Internationale Communiste ne cesse de se poser des questions sur le cas français, et de mettre en avant des solutions que le PCF fait à chaque fois semblant d’accepter.

Un rapport fait à l’I.C. par Piatnitski constate (toujours en 1932) que " si l’on considère l’importance que les problèmes posés devant le PCF prennent en liaison avec l’importance que l’impérialisme français a pour le mouvement révolutionnaire ouvrier et paysan du monde entier (la France, en effet, étouffe l’Allemagne, ses propres colonies, encercle l’URSS, en vue d’une intervention militaire par l’intermédiaire de ses vassaux :Tchécoslovaquie, Roumanie, Pologne, etc.), il faut constater que le PCF n’avance pas, mais, bien au contraire, retarde plus que les autres sections (…).

Le retard du PCF s’exprime cependant dans tout le travail du Parti et des syndicats rouges, et cela malgré l’aide constante apportée par l’Internationale Communiste et l’Internationale Syndicale Rouge (…). Le Parti n’a pas mené la lutte contre les partis social-démocrate et pupiste [Parti d’Unité Prolétarienne] bien que le Comité Exécutif de l’I.C. en ait vigoureusement souligné l’importance ".

Le PCF va donc appliquer la ligne "classe contre classe" mettant aux prises d’une part "la dictature bourgeoise" (fascistes, patronat, partis de droite, républicains, socialistes...) et d’autre part le PCF. Notons cette déclaration aveugle parue dans L’Humanité quinze jours après l’accès d’Hitler à la Chancellerie " Il ne s’agit pas aujourd’hui de fascisme ou de démocratie bourgeoise, mais de dictature de la bourgeoisie ou de dictature du prolétariat (…). Un pacte avec les alliés de l’ennemi de classe est un pacte avec l’ennemi de classe " (PC de France, d’Allemagne et de Grande-Bretagne, Texte de l’Humanité du 13 février 1933).

C) Internationale Communiste, réactions à la montée du fascisme, Fronts populaires, PCF et SFIO (Jacques Serieys)

Heureusement, en France, l’aspiration à l’unité face au fascisme, dans la classe ouvrière comme dans la gauche, amène à la grande manifestation du 12 février 1934 et au développement d’un mouvement de masse antifasciste.

A partir de ce moment-là :

* que Moscou théorise la stratégie des Fronts Populaires, alliance dans chaque pays du Parti Communiste, du Parti Socialiste et des partis bourgeois considérés antifascistes.

* que Trotsky et l’Opposition de Gauche critiquent cette orientation de Front Populaire, maintenant globalement celle du Front Unique portée par les 3ème et 4ème congrès de l’Internationale Communiste.

A) Le texte de Serge Goudard repose essentiellement sur 4 points

A1) Les Fronts populaires sont des trahisons du socialisme

Quelle définition donne-t-il des fronts populaires ?

"Les fronts populaires ont en commun des situations où s’intensifie la lutte des classes, où l’aspiration à l’unité devient un élément majeur dans les rangs ouvriers. Ce ne sont pas de simples gouvernements de « collaborations de classes » auxquels participent des ministres de partis ouvriers, comme ce fut le cas, par exemple, avec le cabinet Waldeck Rousseau en 1899 auquel participa le socialiste Millerand. Ce sont des gouvernements composés (ou appuyés) par l’ensemble des partis ouvriers en alliance avec une ou des forces bourgeoises. La fonction politique de tels gouvernements est de canaliser le mouvement des masses populaires puis de les décourager, de les faire refluer, afin de permettre à la bourgeoisie de reprendre l’initiative politiquement et, dans certains cas, militairement."

A2) Les Fronts populaires des années 1930

Dans quelles circonstances historiques sont-ils apparus ?

* La victoire du nazisme en Allemagne

* La manifestation du 12 février 1934 en France

* Le soutien de Staline à une orientation de Front populaire en Europe

Quels exemples de Front Populaire ? Kuomintang en Chine, Front populaire en France, Frente popular en Espagne, PRM au Mexique, APRA au Pérou...

A3) Les Fronts populaires après 1968

"La vague de 1968 balaya l’Europe tout entière : les braises de la révolution rougeoyaient de nouveau. La grève générale ébranlait le régime gaulliste, puis De Gaulle était défait lors du référendum de 1969. C’est dans cette situation, différente de celle des années trente, mais menaçante pour l’ordre bourgeois, que le parti socialiste et le parti communiste jugeaient nécessaire, avec les radicaux, de nouer une alliance.

" Cette alliance, qui accéda au pouvoir en 1981, était fondamentalement de même nature que celle nouée en 1936 : il fallait canaliser le mouvement des travailleurs et de la jeunesse, protéger l’État bourgeois et le système capitaliste.

" Dans ces mêmes années soixante-dix et quatre-vingt, l’ordre capitaliste fut également ébranlé au Portugal, en Espagne et en Grèce. Les dictatures s’effondraient sous les coups de buttoir des masses populaires (1974 en Grèce et au Portugal…..). Dans le prolongement de ces bouleversements, sous des formes différentes selon les situations et le moment, furent mis en place des gouvernements de collaboration de classes dont certains furent d’authentiques gouvernements de fronts populaires. C’est le cas par exemple du gouvernement constitué en Grèce par le Pasok en 1981 (soutenu dans un premier temps de l’extérieur par le KKE).

" Pour ce qui concerne la France, le gouvernement d’Union de la gauche mena une politique qui découragea rapidement les travailleurs qui avaient voté pour Mitterrand et pour les députés du PS et du PCF. Il y eut le tournant de la rigueur, la préservation du financement de l’école privée …et le respect scrupuleux des institutions de la V° République."

A4) L’orientation du PCF depuis 2002 et la perspective d’un possible nouveau front populaire pour 2012

La défaite de 2002 " sembla clore toute une période ouverte en 1981... Et le PCF, oubliant qu’il avait pleinement participé à ce gouvernement, considéra qu’il n’y avait plus désormais d’alternative gouvernementale possible avec un Parti socialiste gravement affaibli. Les attaques se multiplièrent contre le « social-libéralisme... La ligne politique de Robert Hue avait fait son temps, et Marie George Buffet prit sa place. Certes, le PCF participa sans état d’âme aux exécutifs régionaux avec le PS après qu’aux élections régionales de 2004 les listes « de gauche » aient emporté 20 des 21 régions. Mais la direction du PCF tint bon sur l’essentiel : il n’y avait plus d’alliance gouvernementale possible avec le Parti socialiste.

" « Dans quelle situation politique nous trouvons-nous au lendemain de ces élections régionales ? D’abord et avant tout dans un contexte d’amplification prévisible et dramatique de la crise capitaliste », ce qui signifie « une intensification de l’affrontement de classe » en particulier face aux réformes. « Ce climat peut conforter la combativité politique et sociale sans laquelle rien n’est possible face à la droite au pouvoir (…). En même temps (…) tout montre que le défi de la construction d’une alternative reste entier ».

Je partage cinq soucis avec lui :

1) La mémoire critique est une fonction centrale de tout parti (intellectuel collectif pour reprendre le concept de Gramsci) se réclamant du socialisme. Elle implique en particulier de tirer un bilan d’expériences gouvernementales passées pour éclairer la stratégie politique présente et à venir.

2) Nous devons combattre toute alliance électorale avec un parti bourgeois, par exemple en France aujourd’hui combattre toute hypothèse d’alliance du PS, du PC, des Verts avec le MODEM qui ne serait au pouvoir que pour mieux défendre les intérêts du capital.

3) Comme nous l’avons voté lors du congrès constituant du PG, notre but est de " Reformuler l’idéal socialiste pour tourner la page du capitalisme... Notre stratégie de transformation sociale devra combiner conquête du pouvoir politique et implication populaire permanente. La démocratisation et la socialisation de l’économie résulteront d’une série d’avancées transformatrices partielles, mais qui combinées font reculer le pouvoir du capital jusqu’à poser la question du choix : « République sociale ou Capitalisme ? ». Notre stratégie nécessite des victoires électorales mais elle n’est pas électoraliste ; son but est une transformation sociale "Ce changement d’un modèle de société vers un autre implique un processus d’élaboration programmatique, de conquête de l’hégémonie idéologique, de prises de positions institutionnelles, d’extension des domaines ou seuls prévalent l’intérêt général et les services publics, de développement d’expériences d’autogestion sociale, de contrôle accru des citoyens sur les institutions, d’interventions des travailleurs dans les affaires économiques..." Or, à mon avis, la stratégie d’Union de la Gauche de 1981 comme de 1997 étaient effectivement surtout électoralistes.

4) La thématique de l’unité pour la transformation sociale, pour changer la vie a souvent servi à cacher des stratégies de conquête du pouvoir sans transformation sociale et sans changer la vie. Il est donc important de pousser à la réflexion collective sur ce point : quelle unité pour quelle stratégie ?

5) Je partage également avec lui des références historiques et théoriques, par exemple sur le contexte d’élaboration de la stratégie de front unique et sur son intérêt aujourd’hui pour une stratégie de transition.

Par contre, je ne considère ni opérationnels, ni justes, plusieurs points autour desquels s’articule son écrit

a) Il caractérise de Fronts populaires d’innombrables expériences fort différentes en Chine, en France (1936, 1981, 1997), au Mexique, au Pérou, en Espagne (1936 1938), au Chili (1970 1973)... et les réduit fondamentalement à des trahisons. Je ne peux être d’accord et tiens à procéder à un inventaire plus précis.

b) Pour nos concitoyens, les Fronts Populaires, ce sont ceux de France et d’Espagne dans les années 1936. Ils sont plus vécus comme des moments positifs de l’épopée républicaine et socialiste que comme des trahisons. Dans ces conditions, le texte de Serge Goudard est trop elliptique sur le sujet.

c) Le résumé stratégique " Non aux Fronts populaires ! Oui au Front unique !" peut d’autant moins être compris lorsque l’on propose seulement la Révolution russe durant quelques mois comme exemple historique de Front unique.

d) Expliquer la différence entre Front populaire et Front unique essentiellement par la présence ou pas d’un parti bourgeois dans l’alliance électorale ne me paraît ni suffisant, ni éducatif aujourd’hui vu le rôle de beaucoup de partis de l’Internationale Socialiste qui n’ont pas besoin d’alliance avec un parti bourgeois pour défendre le système.

En résumé, je ne crois pas que le Parti de Gauche doive être le Parti anti Front Populaire pour se construire.

à suivre

Jacques Serieys


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