Chili : la gauche perd son référendum pour le changement de constitution.

mardi 13 septembre 2022.
 

Ce qui vient de survenir au Chili ce 4 septembre 2022 est une véritable « leçon de choses » pour la nouvelle gauche radicale (de rupture) en France qui est dorénavant un pays où l’extrême droite a un poids politique considérable (c’est-à-dire à considérer avec sérieux).

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Premier article

Au Chili, la nouvelle Constitution massivement rejetée par référendum Près de 62 % des Chiliens n’ont pas soutenu, dimanche, le texte qui devait remplacer celui hérité de la dictature de Pinochet. Le président, Gabriel Boric, a aussitôt annoncé sa volonté de relancer « un nouveau processus constitutionnel ».

Source : Le Monde avec AFP. Le 06/09/2022

https://www.lemonde.fr/internationa...

Le projet de changement social au Chili a subi un coup d’arrêt. Les Chiliens ont massivement rejeté, dimanche 4 septembre, la proposition de nouvelle Constitution, qui visait à remplacer celle héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990).

Le verdict de ce référendum à vote obligatoire est sans ambiguïté et dépasse toutes les prédictions des instituts de sondage. Quelque 61,9 % des électeurs, soit plus de 7,8 millions de personnes, ont glissé le bulletin « je rejette », contre 4,8 millions (38,1 %) favorables à la mention « j’approuve », selon les résultats définitifs.

Ce choix ne fait cependant que suspendre le processus de nouvelle Constitution entamé après le violent soulèvement populaire de 2019 rejetant celle rédigée sous le régime militaire et réclamant plus de justice sociale.

« Appel à toutes les forces politiques »

« Je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour construire un nouveau processus constitutionnel », a solennellement déclaré, après les résultats, Gabriel Boric, le président de gauche de 36 ans élu en décembre 2021.

Depuis le palais présidentiel de la Moneda, il a lancé « un appel à toutes les forces politiques pour qu’elles fassent passer le Chili avant toute divergence légitime, et qu’elles se mettent d’accord le plus rapidement possible sur les délais et les contours » de ce nouveau processus « dans lequel, bien sûr, le Parlement devra être le principal protagoniste ».

Célébrant la « défaite pour les refondateurs du Chili », Javier Macaya, président de l’Union démocrate indépendante (UDI, parti ultraconservateur), a dit lors d’une conférence de presse vouloir également « poursuivre le processus constitutionnel », comme s’y était engagée l’opposition durant la campagne pour faire barrage au texte proposé.

Le lien institutionnel avec la dictature Pinochet serait totalement rompu »

Un premier référendum en octobre 2020 avait clairement appelé à la rédaction d’un nouveau texte fondamental (79 %), et voir effacée l’ombre de Pinochet et d’un Chili laboratoire de l’ultralibéralisme. Mais le fruit d’un an de travail des 154 membres d’une Assemblée constituante, élus en mai 2021 pour rédiger la proposition, a semble-t-il, beaucoup bousculé le conservatisme d’une majeure partie de la société chilienne.

Climat de désinformation

De nouveaux droits sociaux avaient pourtant été pensés pour équilibrer une société aux fortes inégalités sociales, en proposant de garantir un droit à l’éducation, à la santé publique, à une retraite, ainsi qu’à un logement décent, pour ne plus les laisser aux seules mains du marché.

L’inscription dans le marbre du droit à l’avortement, un sujet qui fait débat dans le pays où l’interruption volontaire de grossesse n’est autorisée que depuis 2017 en cas de viol ou de danger pour la mère ou l’enfant, ou encore la reconnaissance de nouveaux droits aux peuples autochtones ont crispé les débats souvent houleux dans une campagne baignée dans un climat de désinformation.

Cette volonté de changement perçue à l’étranger et dans la capitale, Santiago, surtout par la jeunesse qui a envahi les rues, a été balayée par l’immense rejet qu’inspirait le texte « dans le sud et le nord du pays », selon Marta Lagos, sociologue et fondatrice de l’institut de sondage Mori.

Ces deux régions connaissent de graves problèmes de violence et d’insécurité. Dans le Sud, en raison de conflits autour de terres revendiquées par des groupes radicaux indigènes mapuche et, dans le Nord, de fait de l’afflux migratoire, des problèmes de pauvreté et de trafic d’êtres humains.

« La Constitution est un véhicule de changement »

L’ancienne présidente Michelle Bachelet, qui vient de quitter son poste de haut-commissaire des nations unies aux droits de l’homme et demeure très populaire dans le pays, a estimé que si la nouvelle Constitution était rejetée « les demandes de Chiliens resteront insatisfaites ».

« Président Boric : cette défaite est aussi la vôtre », a déclaré le leader d’extrême droite Antonio Kast, ouvertement admirateur d’Augusto Pinochet, qui s’était incliné lors du second tour de la présidentielle.

Le Monde avec AFP

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Deuxième article

Site source : les humanités ou leshumanites-media.com

URL de l’article https://www.leshumanites-media.com/...

Vaincue à l’élection présidentielle de décembre 2021, l’extrême-droite nostalgique de Pinochet tient sa revanche. Avec une participation record, cependant marquée par l’abstention des jeunes et une campagne polluée par une multitude de fake news, les Chiliens ont rejeté, à 61,9 % des voix, la nouvelle Constitution qui leur été proposée. Deux ans plus tôt, ils étaient pourtant à 78,3 % à plébisciter un changement de constitution. Pour sortir du néolibéralisme de l’extrême, le Chili devra encore attendre. Les héritiers des "Chicago Boys", qui s’étaient ralliés à Pinochet, sont encore parvenus à tenir en laisse les exigences sociales et écologiques qui avaient pourtant porté la gauche au pouvoir. Et cette fois-ci, sans coup d’État.

En 2020, 78,3 % des Chiliens avaient approuvé par référendum le choix de se doter d’une nouvelle Constitution. Deux ans plus tard, les Chiliens rejettent à près de 62 % le projet de nouvelle Constitution élaboré par une Assemblée constituante qu’ils ont eux même élus, après avoir élu en décembre 2021 un jeune Président de gauche. Paradoxes ? Oui et non.

Lors du référendum de 2020, 7,8 millions de personnes avaient voté. Le référendum de ce dimanche a mobilisé près de 13 millions d’électeurs (sur 15,2 millions d’inscrits), un niveau de participation jamais atteint au Chili, très au-delà de ce que prévoyaient les sondages (qui misaient sur une participation de 10 millions de personnes). Pour la première fois au Chili, le vote était obligatoire, avec risque d’amende à la clé.

Selon de premières analyses, les "abstentionnistes traditionnels" qui ont voté cette fois-ci sont en majorité des personnes âgées. Les 18-25 ans semblent s’être grandement désintéressés du référendum. Or, c’est parmi les plus âgés (pas tous forcément nostalgiques de la dictature de Pinochet) que la campagne de la droite (pour le Rechazo) a fait mouche, à base de fausses nouvelles distillées tout au long de la campagne, avec d’énormes moyens financiers et publicitaires. De toute évidence, cette campagne, destinée à semer la peur parmi la population (avec parfois des relents racistes : les peuples autochtones, notamment Mapuche, allaient du jour au lendemain exproprier les "braves gens" ; ultra-catholiques : au nom de l’égalité des genres, des cours sur l’homosexualité seraient introduits à l’école dès le primaire ; ou triviaux : au nom de la protection du bien être animal, la consommation de viande serait interdite ; etc., etc.), résulte d’une opération d’intense "marketing" qui ne doit rien au hasard. Certains lobbys (financiers, industriels, extractivistes…) menacés par le projet de nouvelle Constitution, alliés aux forces les plus réactionnaires du pays, ont donc réussi à saboter le processus démocratique de l’Assemblée constituante. Pas besoin d’un coup d’État comme celui qui avait renversé Salvador Allende en 1973 : la dictature néo-libérale et écocidaire utilise des moyens plus "modernes" pour maintenir ses privilèges. Et elle peut de surcroit compter, au Chili comme ailleurs, sur l’extrême dépolitisation d’une grande partie de la jeunesse. En face, comme l’a reconnu ce dimanche soir la députée communiste Carmen Hertz, les partisans de l’Apruebo ont mal mesuré les ravages de cette campagne brutale de fake news et n’ont pas trouvé les moyens d’y répondre efficacement.

Au final, la victoire du Rechazo, avec 62 % des voix, est une défaite cinglante pour Gabriel Boric et son gouvernement. Du pain bénit pour José Antonio Kast, le candidat d’extrême-droite que Boric avait vaincu à l’élection présidentielle. Celui-ci s’est aussitôt réjoui du résultat du référendum, affirmant que le « peuple chilien » avait rejeté « l’idéologie et la violence », appelant à une restauration des valeurs morales et familiales : « C’est précisément ce dont le Chili a besoin, après le profond processus de désintégration morale, institutionnelle et sociale que nous avons connu ces trois dernières années. Nous ne voulons plus que notre drapeau soit souillé, nous ne voulons plus de ces offenses contre nos familles et nos enfants par des personnes qui détestent ce qui est notre tradition, notre culture et notre patrie. »

Gabriel Boric a convoqué, ce lundi au Palais de la Moneda, une réunion avec les principales forces politiques du pays, pour envisager la poursuite d’un processus de révision constitutionnelle. Mais il est terriblement affaibli par l’ampleur du score du Rechazo. Un remaniement ministériel est inévitable, et sans doute devra-t-il se séparer de quelques-uns de ses plus proches et emblématiques ministres, à commencer par Izkia Siches, ministre de l’Intérieur, et Giorgio Jackson, secrétaire général de la Présidence, deux des plus fidèles lieutenants de Boric lors de la campagne présidentielle. Mais aussi, sans doute, de la ministre de l’Environnement, la climatologue Maisa Rojas, l’une des autrices du dernier rapport du Giec, puisqu’en rejetant le projet de Constitution, les Chiliens ont fermé la porte à son volet écologique : limitation des projets extractivistes, protection de la biodiversité, déprivatisation de l’eau, etc.

Quel que soit le nouveau gouvernement qu’il va devoir former, Gabriel Boric sera de toute façon entravé dans la poursuite de certaines réformes pourtant essentielles, sur les retraites, la santé et l’éducation. Tout projet de véritable réforme dans ces domaines-clés risque fort d’être déclaré anti-constitutionnel, puisque dans l’esprit et la lettre de la "constitution-Pinochet", qui demeure donc en vigueur, l’État n’est responsable que des fonctions que le secteur privé ne peut pas assumer. Or l’éducation, la santé, les retraites, l’eau, tout cela ressort du "libre marché".

Sous Pinochet, le Chili n’a pas seulement été le joug d’une dictature brutalement répressive, mais aussi le laboratoire d’un néolibéralisme décomplexé qui s’est ensuite répandu dans le monde entier.

A lire, sur les humanités (20 décembre 2021) : « Chili, les visages de l’extrême-droite »

A la fin des années 1960, les disciples de Jaime Guzmán au sein du "mouvement grémialiste", ceux-là même qui ont préparé le coup d’État contre Salvador Allende, s’étaient en effet associés pour soutenir la dictature à de jeunes économistes néo-libéraux formés aux États-Unis, qu’on appellera plus tard les "Chicago Boys". Et l’histoire continue : lui-même grémialiste (le mouvement conserve une forte influence au sein de l’Université pontificale, qui forme aujourd’hui encore les élites politiques et économiques du Chili), l’actuel leader d’extrême-droite José Antonio Kast (fils d’un officier nazi allemand qui a trouvé refuge au Chili) est relié à cette "famille de pensée" économique (son oncle, Miguel Kast, a notamment été directeur de la Banque du Chili sous Pinochet).

Sur l’histoire des Chicago Boys et leur implication dans la dictature chilienne, il faut voir un extraordinaire documentaire (2015, en espagnol), de Carola Fuentes et Rafael Valdeavellano, que les

Pendant plus de 40 ans, ce néolibéralisme de l’extrême a gangréné la société chilienne. S’en défaire n’est pas chose aisée. Malgré l’élection présidentielle de décembre 2021, malgré tout le processus démocratique de l’Assemblée constituante, les héritiers des Chicago Boys, alliés aux franges les plus conservatrices de l’Église catholique, n’ont pas dit leur dernier mot. Les milieux d’affaires qui ont financé la campagne de José Antonio Kast ont échoué de peu, en décembre 2021 (arrivé en tête au premier tour avec 27,91 % des voix, Kast avait perdu au second tour avec 44,13 % des voix). Aujourd’hui, avec la victoire du Rechazo au référendum sur la Constitution, ils tiennent leur revanche sur la démocratie… en utilisant les failles de la démocratie (abstention de la jeunesse, mobilisation de 4 millions d’électeurs supplémentaires grâce à une campagne de fake news)…

A lire sur les humanités (11 mars 2021) : « D’Allende à Boric, le retour de la gauche au Chili »

En prenant ses fonctions, Gabriel Boric n’était pas dupe des difficultés qui le guettaient. Il avait prudemment averti que son gouvernement ne pourrait, en 5 ans, accomplir toutes les réformes nécessaires, souhaitant que son mandat puisse ouvrir la voie à une profonde transformation de la société chilienne. Ce n’est pas encore perdu, mais la voie s’annonce étroite, et rude.

Jean-Marc Adolphe

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Commentaire HD.

1) Le lecteur pourra comparer le contenu informatif des deux médias précédents. Il constatera que la quantité d’information du média alternatif est beaucoup plus importante et permet de mieux comprendre la raison de l’échec du référendum pour la gauche.

2) Ce genre d’événements ainsi relatés fait comprendre pourquoi Jean-Luc Mélenchon est très attentif aux évolutions politiques dans les pays de l’Amérique latine.

Si la NUPES était amenée à gagner les élections présidentielles future et décidait de réunir une assemblée constituante pour définir une nouvelle constitution, à la lumière de ce qui vient de se passer au Chili ce 4 septembre 2022, on peut comprendre que la partie ne serait pas gagnée d’avance. L’expérience chilienne nous incite à réfléchir plus en profondeur sur la stratégie politique à adopter dans un environnement politique dont il faut analyser correctement tous les paramètres.

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Hervé Debonrivage


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