Dans l’émission Secrets d’histoire présentée par Stéphane Bern ce mardi soir 6 septembre 2016, France 2 a présenté l’histoire d’Edouard VIII et de son épouse américaine Wallis Simpson.
Depuis 70 ans, la Grande-Bretagne et ses alliés ont tout fait pour éliminer chaque document prouvant les actes et idées fascistes d’Edouard VIII. Comme on ne vide pas la mer avec une bouteille, on ne fait pas ainsi disparaître un choix politique aussi grave et aussi fréquent parmi les têtes couronnées d’Europe.
Parmi les révélations récentes, signalons :
le journal intime de Sir Alan Lascelles, secrétaire particulier d’Edouard
un rapport de 227 pages du FBI
la préparation, du Portugal de Salazar, d’un "coup" pour renverser le gouvernement Churchill à Londres...
1) Les sympathies fascistes de la famille royale d’Angleterre
Tant que nazisme et grand capital allemand n’ont pas eu terminé le génocide de la gauche anticapitaliste allemande, principale force syndicale et politique du mouvement ouvrier européen, la sympathie de la famille royale britannique pour les nazis a été profonde et, je crois, générale.
En 1917, la révolution russe balaie le tsarisme. Le roi d’Angleterre George V fait son possible pour sauver Nicolas II, en particulier en coordonnant le soutien international aux armées blanches. Il transmet à son fils Edward
une haine inextinguible du mouvement ouvrier et du risque de révolution sociale
la haine aussi des "politiciens" qui ont, d’après lui, limité l’aide militaire du Royaume-Uni face aux bolcheviks de 1917 à 1922.
« Juste avant que les bolcheviks ne s’emparent du tsar, mon père avait personnellement conçu le projet de venir à son secours avec un croiseur britannique mais, pour quelque raison, il ne put donner suite à ce projet... Ah, ces politiciens, disait-il toujours, s’il s’était agi d’un des leurs ils n’auraient pas tardé à réagir. Mais simplement parce que le pauvre homme était empereur... » (Mémoires, Edouard, duc de Windsor).
Mary de Teck, fille du duc allemand François de Wurtemberg, épouse du roi George V et mère de l’actuelle reine Elisabeth n’a jamais caché à l’époque son total soutien aux nazis. Récemment la revue britannique The Sun a rendu publique une vidéo (et des photos extraites de la vidéo) tournée en 1933 ou 1934 dans la résidence d’été de la famille royale, le château écossais de Balmoral. Cette vidéo permet de voir la future Elisabeth 2, sa soeur Margaret, sa mère Mary de Teck et son oncle Edouard exécutant un salut fasciste convaincu.
https://www.youtube.com/watch?v=unv...
Il faut ajouter qu’à l’époque, la totalité ou presque des têtes couronnées d’Europe sont sur cette position et participent de la "constellation fasciste", diverse mais réelle.
Prince Bernhard de Hollande, du parti nazi à Bilderberg
Royalisme et fascisme. Camelots du Roi et Résistance
2) Les sympathies fascistes d’Edouard, prince héritier
Edward naît le 23 juin 1894, arrière-petit-fils de la reine Victoria, proche parent du tsar de Russie et de l’empereur d’Allemagne. Fils aîné de George V et héritier légitime du trône, il reçoit évidemment l’éducation destinée à un futur roi, d’où son bilinguisme anglais allemand, sa pratique courante du français et de l’espagnol, sa connaissance des problèmes politiques concernant tous les pays de l’univers, ses capacités de manager capitaliste. Cerise sur le gâteau : les biographes insistent sur son intelligence.
L’attachement à la culture germanophone constitue un autre aspect fondamental de sa personnalité. Il est vrai que son nom de famille est allemand (Saxe Cobourg Gotha), que sa mère est de nationalité allemande (princesse Mary de Teck), que "l’oncle Willie" (kaiser Guillaume, empereur d’Allemagne) l’invite chez lui pour des vacances...
Aussi, il suit de près et avec sympathie le processus de construction puis mise au pouvoir du nazisme :
Allemagne Pourquoi et comment le patronat a fondé le fascisme ?
Allemagne 1931 1932 Patronat, armée et droite marchent au nazisme
11 octobre 1931 Front de Harzburg (nazis, droite, patrons, militaires...)
Dans les années 1918 à 1927, le développement du mouvement ouvrier révolutionnaire ne se limite pas à l’URSS. Le syndicalisme et le socialisme se développent même rapidement en Grande-Bretagne, culminant dans la Grève générale de 1926. En tant que prince héritier, Edouard multiplie ses visites dans les pays du Commonwealth, dans les mines du Pays de Galles... pour faire valoir le rôle positif de la monarchie.
« Edouard, comme la-plupart des membres de la famille royale, avait une peur irrépressible du bolchevisme... Il vit dans le fascisme la voie de l’avenir. Loin de s’en tenir à considérer d’un oeil favorable les progrès réalisés dans l’Italie mussolinienne, il ne tarda pas à vouer un véritable culte à Hitler et aux nazis allemands. Il admirait le programme d’Hitler... » (Martin Allen, historien)
Edward exprime fréquemment cette admiration, cette affection et ce soutien aux nazis, par exemple en 1933, alors que les camps de concentration commencent à fonctionner :
Document de mars 1934 sur le premier camp de concentration nazi, ouvert en 1933 : Dachau
« Le Prince de Galles était très pro-Hitler et déclarait que ce n’était pas notre rôle d’intervenir dans les affaires intérieures de l’Allemagne, qu’il s’agisse des Juifs ou de toute autre chose. Il ajoutait que les dictatures sont très populaires de nos jours et que nous pourrions bien en avoir besoin en Angleterre avant longtemps. » (Sir Bruce Lockart, Diaries, Macmillan, 1973)
Pour l’héritier du trône de Londres, si l’Angleterre doit à nouveau entrer en guerre, « ce sera (dans) le camp allemand, pas dans le camp français. »
Cette orientation fasciste du prince Edward n’est évidemment pas indépendante du même choix opéré :
par une partie significative des "élites" politiques de Grande Bretagne, par exemple le January club, groupe de droite lié aux nazis britanniques d’Oswald Mosley
par une part importante du grand capital directement en faveur d’Hitler
A l’automne 1931, à un moment difficile pour le nazisme dix huit mois avant son accession au pouvoir, Alfred Rosenberg, ami personnel d’Hitler, est reçu par de nombreuses personnalités britanniques comme Lord Hailsham (secrétaire d’Etat à la guerre) et Lord Lloyd (qui professe des idées national-socialistes).
"Les grands intérêts pétroliers ont eu d’étroits contacts avec le parti nazi en Allemagne" (J and S Poole, Who financed Hitler ?). En 1933, après l’accession au pouvoir d’Hitler, Rosenberg fait un voyage "privé" en Angleterre ; il se rend directement d’Allemagne dans la demeure du "magnat de la politique pétrolière européenne", Sir Henry Deterding. Dès 1931, celui-ci avait "prêté" 55 millions de livres sterling à Hitler.
De New-York à Berlin... Big Business avec Hitler
Comment Londres et Wall Street ont mis Hitler au pouvoir (par par William F. Wertz, Jr.)
L’attitude favorable aux nazis de la Banque d’Angleterre pose encore plus de questions. En 1931, Rosenberg est reçu longuement par Montague Norman, gouverneur de celle-ci. "Il fit tout pour aider les nazis à s’emparer du pouvoir et à le conserver, en opérant sur le plan financier depuis Threadneedle Street" (Martin Allen). En mars 1939 encore, la Banque nationale tchèque transporta sa réserve d’or à Londres mais Montague Norman détourna ce trésor "sur Berlin pour servir à l’acquisition du matériel stratégique essentiel en vue d’une guerre à venir" (Charles Higham, Trading with the Enemy).
Fascismes de 1918 à 1945 : naissance, caractéristiques, causes, composantes, réalité par pays
Les nazis comprennent très vite l’intérêt de relations suivies avec ce réseau de personnages dont l’influence internationale est immense. Hitler dispose d’une ligne téléphonique directe indépendante pour discuter lorsque nécessaire avec Edward. De Ropp, agent de celui-ci est reçu le 23 janvier 1935 par le frère cadet George (père de la reine Elisabeth), duc de Kent, "qui sert souvent d’émissaire à son frère aîné". Ce De Ropp informe Berlin d’ "un réseau de gens haut placés favorables à la cause nazie" en Angleterre (Martin Allen).
Les liens entre la famille royale britannique et le NSDAP passent aussi par les relations amicales fortes entre le prince héritier Edward et son cousin allemand, le duc Karl Eduard de Saxe Cobourg Gotha, soutien actif du parti nazi dans les années 1920 et 1930, futur officier supérieur SS.
3) L’action fasciste d’Edouard VIII devenu roi
Le 20 janvier 1936, le roi George V décède et son fils lui succède sous le nom d’Edward VIII. Celui-ci informe Hitler par son cousin Cobourg
de son souhait de rapprochement Allemagne Grande-Bretagne et de son objectif consistant à prendre en mains tous les pouvoirs de son pays.
de son accord idéologique avec le principe du Fuhrerprinz
Cette accession d’Edouard VIII sur le trône d’Angleterre, donne des ailes à Mussolini comme à Hitler. Tous deux créent ainsi un rapport de forces en Europe qui ne sera plus inversé avant 1943.
L’action d’Edouard VIII en faveur de Mussolini s’étend des derniers mois avant son intronisation aux premiers mois de son règne. Il met tout son poids institutionnel britannique au service du fascisme lors de l’invasion de l’Ethiopie en octobre 1935 afin d’éviter des sanctions de la Société Des Nations contre l’Italie. Dès son accession au trône, Sa Majesté du royaume-Uni reçoit en grande pompe, à Londres, l’ambassadeur de Mussolini. Au moment où cette SDN essaie de peser contre la marche à la guerre provoquée par les coups de boutoir fascistes, Edward déclare "Il faut tenir pour morte la Société Des Nations." (document n° 8015/E576522-4 des archives nationales allemandes)
Edward VIII joue aussi un rôle d’allié d’Hitler. C’est en particulier le cas le 7 mars 1936 lorsque celui-ci lance ses soldats sur la Ruhr démilitarisée depuis la fin de la Première guerre mondiale.
7 mars 1936 L’Allemagne nazie réoccupe militairement la Rhénanie avec l’accord des Britanniques
Dans son ouvrage, "La couronne et la croix gammée", l’historien Peter Allen a bien résumé cette journée décisive où Hitler pouvait être arrêté. "Il savait que la réaction de l’Angleterre serait paralysée par son roi pro-allemand qui, si on s’opposait à lui, menacerait de provoquer une crise constitutionnelle de première grandeur."
Les "penchants profascistes et dictatoriaux d’Edouard" (Martin Allen) allaient-ils entraîner la Grande-Bretagne aux côtés d’Hitler et Mussolini ? En 1936, les intérêts britanniques ne pouvaient se limiter à un tel choix. Aussi, de hauts responsables eurent l’idée de faire monter un dossier des services secrets sur la compagne du roi Mrs Wallis Simpson, ses liens personnels avec Von Ribbentrop (ambassadeur d’Hitler à Londres), son passé dans des bordels chinois...
En août 1936, Edward VIII aggrave son cas en parcourant le Bassin méditerranéen à bord du Nahlin "le bon vieux Swastika" alors que le général Metaxas vient de prendre le pouvoir à Athènes et que les franquistes ont tenté leur coup d’état :
Edward VIII bénéficie de soutiens de poids en Grande-Bretagne, par exemple celui de Winston Churchill. Cependant, il croit pouvoir passer outre aux principes constitutionnels britanniques et s’isole de plus en plus.
Il maintient sa volonté d’épouser Mrs Wallis mais :
les dominions du Commonwealth refusent celle-ci comme future reine
celle-ci ne l’aide pas par ses initiatives publiques. En octobre, elle marque ouvertement son propre choix fasciste en adressant ses félicitations au chef nazi britannique Sir Oswald Mosley, lors de son mariage à Berlin dans la résidence de Goebbels en présence d’Hitler.
Cet Oswald Mosley affaiblit encore le position d’Edward au sein de l’establishment britannique en annonçant à la radio que ses Chemises noires se mettaient au service du roi et en agitant le spectre de la guerre civile.
Le 10 décembre 1936, après en avoir discuté avec ses proches, Edward abdique.
Le soir même, plusieurs centaines de Chemises noires se massent devant le palais de Buckingham, salut fasciste collectif et fréquent, prétendant imposer le retour d’Edward. D’autres défilent devant la Chambre des Communes.
Le lendemain matin, 3000 Chemises noires se rassemblent agressivement (vitres brisées), en formation militaire, pour écouter Mosley exiger un référendum sur l’abdication ou non du roi. Des socialistes affrontent ces partisans d’Hitler ; le combat fait rage dans les rues.
Le 11 décembre, Edward quitte l’Angleterre pour rejoindre le palais où il est invité, celui du baron de Rothschild en Autriche. Il va y demeurer, servi comme un coq en pâte jusqu’en mars 1937.
Il était une fois, un prince en son château. Son père George V, le roi, mourut le 19 janvier 1936. Et dès le lendemain, le jeune prince Édouard monta le trône, comme il sied aux ainés dans les familles régnantes.
Ce prince-là était charmant nous dit-on. Et fort amoureux aussi d’une dame venue d’au-delà de l’océan. La dame avait déjà connu l’amour à plusieurs reprises. Et la cour n’eut pas le bon goût d’accepter qu’une telle dame devînt la première en ce royaume. Ainsi, après à peine 45 semaines de règne, le nouveau roi renonça au trône. Sur lequel on hissa derechef son frère cadet, prénommé George lui aussi. Le souverain déchu s’empressa d’épouser sa belle et de partir filer le parafait amour là où le soleil brille en ce bas monde.
Tout aurait été pour le mieux si des esprits chagrins ne s’étaient inquiétés de certaines amitiés politiques du roi déposé.
En ce temps-là, sur l’Europe voulait s’installer un régime détestable, venu d’Allemagne, avec à sa tête de dangereux idéologues aux principes d’exclusion et d’extermination propres à rebuter tout humaniste sincère. Les nazis, puisqu’il faut les appeler par leur nom, avaient séduit le roi Édouard. Et il leur prodiguait maints signes de sympathie. Il faut dire que leur chef lui avait promis de lui rendre son trône, s’il parvenait à chasser le premier ministre. Récompense élémentaire pour celui qui aurait fourni des secrets d’État à l’armée allemande, afin de lui faciliter l’invasion de la France.
Sa proximité politique avec le régime nazi ne fait guère de doute, lorsqu’on lit l’entretien qu’il accorda à un journal états-unien. Il y proclame sans ciller que l’Allemagne était en Europe la seule puissance capable d’abattre le communisme pour toujours. Le journal semblait avoir oublié que quelques mois plus tôt, le même appelait de ses vœux l’écrasement… des USA par Hitler !
Le temps et la guerre passèrent. Les nazis furent vaincus, y compris par les communistes d’URSS, faisant mentir l’ancien roi devenu duc de Windsor.
Mais dans l’Europe pacifiée, qui ne désirait pas remuer de vieilles rumeurs, son image et celle de son épouse, n’eurent de cesse d’être étalées dans toutes les revues en papier glacé, plus sensibles aux concours d’élégance qu’à une certaine forme de rigueur politique ! Et la légende savamment entretenue du roi qui abdique par amour s’installa durablement…
Tant il est toujours vrai que « lorsque la légende est plus belle que la réalité, c’est la légende qu’on imprime » !
Brigitte Blang
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